Dans les salles : Le bleu du caftan

Après « Adam », un premier long métrage tout imprégné de la douceur de pâtisseries traditionnelles, Maryam Touzani revient dans les salles avec une histoire d’amour délicate, où pointe pourtant le rejet des carcans sociétaux.

Un triangle amoureux bien particulier. (Photo : Cinéart)

La médina de Casablanca – ville bouillonnante de modernité et poumon économique du Maroc – était le théâtre du précédent film de la cinéaste. Comme pour s’ancrer dans une réalité plus traditionnelle, elle cède la place dans « Le bleu du caftan » à celle de Salé, cité côtière plus que bimillénaire et séparée de la capitale Rabat par l’embouchure du fleuve Bouregreg.

De fait, c’est une tradition ancestrale qui se trouve présentée. Halim, tailleur, porte le titre honorifique de « maalem ». Celui-ci indique sa maîtrise exceptionnelle dans le domaine de la confection des caftans, ces longues robes d’apparat portées dans les pays musulmans. Pas de machine à coudre chez lui : tout se fait l’aiguille à la main… ce qui parfois implique des semaines, voire des mois d’attente pour les clientes. Mina, sa femme, tient la boutique et gère les demandes pressées ou les conflits tandis qu’il coud dans l’arrière-boutique. La complicité du couple est évidente, émouvante même, mais elle repose sur un pacte. Subtilement, Maryam Touzani distille les indices pour révéler que, si Halim aime sa femme, il ne la désire pas. Ce sont les hommes qui l’attirent. L’expliquer ici n’est en rien divulgâcher le scénario : on appréciera d’autant plus l’habileté de la réalisatrice à utiliser les non-dits ou le langage du corps – les regards appuyés sur Youssef, le jeune apprenti, par exemple – pour conter son récit.

Avec la même subtilité sera amenée la maladie qui ronge Mina. Une fatigue passagère, puis prolongée : on finit par comprendre, puis voir qu’elle souffre d’un cancer en phase terminale. Alors va se construire une relation très particulière entre elle, Halim et Youssef, qui devront apprendre à se libérer de leurs inhibitions et de leurs peurs. Fil… bleu du scénario, un magnifique caftan rehaussé de fils d’or délicatement ouvragés – brodés par le maître puis par l’apprenti quand la confiance s’installe – vient lier les destins dans une métaphore tout aussi subtile que le ton du film. Si une des composantes de celui-ci est trop appuyée, c’est la musique planante avec solos de violoncelle de Kristian Eidnes Andersen. Pourquoi faire appel au compositeur de Lars von Trier plutôt que de tenter une fusion entre classique et musique marocaine traditionnelle ? Peut-être une histoire de coproduction.

Mais la grâce que parvient à atteindre le film fait qu’on finit vite par ne plus prêter attention aux notes du Danois, heureusement. Si le mérite en revient naturellement au scénario par touches habiles de Maryam Touzani (en collaboration avec Nabil Ayouch) et à sa réalisation, la distribution joue un rôle majeur dans la réussite du « Bleu du caftan ». L’excellente Lubna Azabal, sourire chevillé au visage et gouaille rieuse dans les dialogues tant que la maladie le lui permet, offre une prestation impressionnante d’humanité. Sa Mina, en plus d’avoir toujours couvert l’homosexualité de son mari, est une femme libérée des conventions sociales qui n’hésite pas à se montrer dans un café et à y fumer, tout en restant pourtant très pieuse. Même si certaines de ses actions peuvent être interprétées comme les dernières volontés transgressives d’une femme qui se sait condamnée à brève échéance, on comprend – toujours grâce à cette propension de la cinéaste à exposer de petits détails – que, sa vie durant, elle ne s’en est pas laissé compter par la société bien-pensante.

Crissement de la soie,
 douceur des images

À son exact opposé, le Halim joué par Saleh Bakri se délecte d’introversion, prend plaisir à se laisser guider sur les chemins de l’existence par celle qui partage sa vie. Les rencontres éphémères au hammam témoignent d’une libido qui n’est pas en berne, mais sa seule passion, bien sûr, c’est de faire courir ses doigts agiles sur un caftan. L’acteur palestinien et la comédienne belge forment un duo adéquatement assorti pour incarner ces personnages attachants, que lie un amour très particulier mais bien réel. Très particulier aussi, le triangle amoureux qu’ils vont constituer avec l’apprenti Youssef, que campe avec retenue Ayoub Missioui. Le Marocain excelle dans la variété des regards, qui balaient le large spectre de la soumission au désir.

Drame intimiste, « Le Bleu du caftan » se joue en grande majorité dans deux lieux clos, la boutique et l’appartement de Mina et Halim. Les plans sont rapprochés, afin qu’on puisse au mieux interpréter l’espace entre les mots, comprendre les allusions que seuls les corps osent faire. La médina enserre de ses vieilles pierres et de ses traditions le ballet des personnages. Ce n’est qu’au plan final qu’adviendra la libération, lorsque enfin on verra la mer, qui pourtant jamais n’aura été loin. Cette métaphore, telle celle du caftan, passe très naturellement à l’écran. Tout semble caresse, crissement de la soie ou du taffetas, légèreté de l’organdi. Jamais le ton n’est haussé. Et on sort de la salle comme après deux heures d’un rêve où la douceur a remplacé le conflit, où la résistance s’incarne dans la subtilité.

À l’Utopia.

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