Même s’il n’a pas eu droit au « Man Booker Prize », le roman « Hystopia » de David Means est du moins une excellente narration contemporaine – et montre l’effervescence de la littérature américaine du moment.
Se baladant dans les arcanes narratifs qui auraient pu sortir directement de l’univers loufoque et visionnaire d’un Philip K. Dick, « Hystopia » est plus qu’un roman de science-fiction ordinaire. Premièrement parce qu’il se base sur le principe de l’uchronie (ce que Dick faisait déjà dans « The Man in the High Castle », récemment mis en série par Amazon), c’est-à-dire qu’il imagine un présent ou un passé basé sur une hypothèse historique irréelle.
Dans ce roman, c’est l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, qui n’a pas réussi. Ce qui fait que le président démocrate est en train de briguer un troisième mandat dans une Amérique ravagée par la guerre du Vietnam qui s’éternise au-delà de toute attente. Pour réintégrer à la société les vétérans traumatisés, l’armée américaine a développé un programme d’« enfolding », où les soldats revivent leurs expériences de guerre dans un « re-enactment », mais sont placés sous un médicament appelé « Tripizoid » – censé leur faire oublier leurs traumatismes. Bien sûr que cela ne fonctionne pas à tous les coups, et c’est maintenant l’Amérique entière qui est hantée par des groupes d’ex-soldats meurtriers associés aux gangs de bikers et au grand banditisme.
Nous suivons l’un d’eux, un mystérieux Rake, meurtrier de masse aléatoire et kidnappeur de la jeune Meg, une patiente internée pour schizophrénie. À leurs trousses se trouve un autre couple, l’ancien vétéran Singleton (lui-même un « enfolded ») et l’agente Wendy. Leur course effarée à travers une Amérique dévastée par les soulèvements et les crises à répétition est une sorte de road movie postapocalyptique qui a le bon goût de ne jamais en faire trop avec des détails superflus. Si on y ajoute que le roman est encore lui-même replié dans toute une série de poupées russes, on y trouve plus qu’une distraction parmi d’autres – mais bien un vrai roman qui pose les bonnes questions. S’il n’a pas eu le prestigieux « Man Booker Prize » en 2016 (où il figurait néanmoins dans la « longlist »), on serait étonné qu’il n’y ait pas de scénaristes qui bossent dessus en ce moment pour en faire un film, voire une série.