La chapelle de Neimënster accueille jusqu’à début mars l’exposition itinérante « The Last Swiss Holocaust Survivors », proposée par la fondation Gamaraal. Témoignages concis, photographies sobres : l’art s’efface devant la puissance de la mémoire.
Pas facile de porter un jugement blanc ou noir sur l’attitude de la Suisse face aux persécutions nazies subies par la population juive, tsigane, opposante politique ou homosexuelle dans les années 1930. La confédération ferme certes ses frontières en 1939, écrivent Gregor Spuhler et Sabina Bossert dans le rappel historique qui contextualise l’exposition, et ce bien que les autorités connaissent dès 1942 la menace qui pèse sur celles et ceux qui souhaitent en faire une étape vers d’autres contrées ou s’y réfugier. Mais d’un autre côté, pour qui parvient – illégalement, bien entendu – à traverser la frontière, l’expulsion n’est pas de mise. C’est ainsi que le pays, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, compte pas moins de 50.000 personnes réfugiées, dont 20.000 juives. Dans le même temps, l’État se bornant en quelque sorte à gérer des camps, la majorité de l’aide est apportée par des organisations non gouvernementales. Situation complexe si l’en est, qui montre que la neutralité n’est pas une sinécure.
Le fait que des personnes rescapées de la Shoah vivent en Suisse ne trouve un écho significatif dans les médias qu’à partir de la fin des années 1990, après les travaux de la Commission Bergier sur les fonds en déshérence. Nombre d’entre elles ne bénéficiaient pas de la nationalité suisse au moment des persécutions dont elles ont fait l’objet. C’est ainsi une constellation d’origines diverses que « The Last Swiss Holocaust Survivors » expose : Allemagne, actuelles Slovaquie ou République tchèque, Pologne, Hongrie, Belgique… et même Luxembourg. Quinze photographies, quinze anecdotes factuelles et très parlantes qui résument quinze parcours de vie. Leurs points communs ? Avoir échappé à la barbarie nazie, et une installation en Suisse, que ce soit après l’errance dans l’après-guerre, la fuite devant le totalitarisme de l’Est ou tout simplement une mutation professionnelle.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est le regard dénué de pathos que les photographes posent sur celles et ceux qui ont vécu l’horreur. Contraste abyssal parfois entre certaines anecdotes déchirantes et ces visages souriants, affables, aux traits ridés certes, mais à la beauté uniquement rehaussée d’une lumière directe sur fond noir. Comme si, même si rien ne peut être oublié, le temps avait réparé les blessures, atténué les douleurs. Il faut lire les panonceaux, se plonger dans les vies de ces femmes et ces hommes pour saisir à quel point le désir d’une existence rangée les taraude, malgré les soubresauts réguliers de l’histoire. Alors même que l’antisémitisme et le repli identitaire se fraient à nouveau un chemin dans tant de pays, européens ou non.
« Nous sommes à un moment charnière de la transmission de la Shoah, puisqu’il ne reste parmi nous que quelques témoins de ce génocide », rappelle Anita Winter, la présidente de la fondation Gamaraal, dans son introduction à l’exposition. De Shanghai à Tirana, de Haïfa à Singapour, de New York à Saint-Gall, celle-ci a déjà bien voyagé et pose maintenant ses valises à Luxembourg. Sa sobriété exemplaire apporte une pierre bienvenue – ou plutôt quinze panneaux bienvenus – à l’édifice du devoir de mémoire.