Discours sur l’état de la nation : Des mots et des maux

Partir en pension plus tard, repousser des projets d’infrastructures pour financer l’armée ou encore mettre en sourdine les sujets environnementaux au nom de la compétitivité : dans son deuxième discours sur l’état de la nation, Luc Frieden a défini le cap de son gouvernement pour les mois et années à venir.

(Photo : ChD)

Il y a d’abord les grands mots sur le bouleversement « d’une ampleur sans précédent » du monde, sur « un moment charnière dans l’histoire de notre pays et de notre continent ». Il y a ensuite les mots-clés : liberté, paix, justice, stabilité, progrès, résilience et modernité. Des termes aussi désirables que leur définition est large, mais auxquels chacun·e peut s’identifier et dont le chef du gouvernement parsème son discours sur l’état de la nation, prononcé à la Chambre des députés, ce mardi 13 mai. Intitulée « Progrès par la stabilité, stabilité par le progrès », cette deuxième déclaration de politique générale de Luc Frieden dans son costume de premier ministre est conforme à l’exercice : un propos fleuve empilant autosatisfaction sur l’œuvre déjà accomplie, des annonces plus ou moins concrètes et des projets évasifs qui confinent parfois à des plans sur la comète.

« Si tu veux la paix, prépare la guerre » : c’est au titre de ce principe que le Luxembourg va accélérer ses dépenses de défense et ne pas attendre 2030 pour investir 2 % de son revenu national brut dans son armée. L’objectif sera atteint dès la « fin de cette année », en raison « de la situation internationale complexe », justifie le premier ministre chrétien-social. Seule annonce concrète, un second satellite militaire sera mis en orbite. Mais tout cela a un prix, qui se chiffrera à plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires à trouver chaque année. Un « defense bond » sera émis, mais cela ne suffira pas. Il faudra repousser à plus tard des « projets d’infrastructures » et « prioriser les dépenses » dans un sens que Luc Frieden n’a pas précisé. Cela se fera nécessairement au détriment d’autres postes budgétaires aux contenus plus pacifiques. Derrière les mots, il y a aussi les maux, et, in fine, c’est le contribuable qui paiera.

Frieden veut signer avec le Mercosur

L’équation ne s’applique pas qu’à la défense et ne se limite pas à des questions de dépense. Dans une première réaction à ce discours, le Meco (Mouvement écologique) adresse un satisfecit à Luc Frieden sur le développement des énergies solaire et éolienne – une question de souveraineté pour le premier ministre. Mais l’ONG déplore l’absence des termes « protection de l’environnement », « développement durable », « protection des ressources » et « biodiversité ». Des omissions qui en disent long sur la vision du gouvernement conservateur et libéral, toujours prompt à répéter son mantra sur la compétitivité des entreprises, selon lui freinée par l’excès de normes environnementales. Autre sujet qui fâche les écolos – et le monde agricole –, Luc Frieden promet de soutenir la signature de l’accord Mercosur entre l’UE et l’Amérique latine.

L’entreprise est au cœur du projet politique de Luc Frieden, et de la richesse qu’elle crée dépend la survie « de notre modèle social », répète-t-il à l’envi. Un modèle qu’il bouscule passablement. Sur les pensions d’abord, où il veut repousser l’âge réel du départ, qui se situe en moyenne à 60 ans, pour atteindre l’âge légal de départ fixé à 65 ans, auquel il ne veut pas toucher. La mesure sera progressive, les salarié·es devant travailler trois mois de plus par an, jusqu’à ce que l’âge de départ réel rencontre l’âge légal. Sur les heures d’ouverture dans le commerce, le premier ministre ne bouge pas d’un iota, déterminé à libéraliser le secteur, prétextant l’adaptation aux nouvelles réalités de la société. Sur les conventions collectives de travail, il a une nouvelle fois concédé que leur négociation demeure une prérogative des syndicats représentatifs. Avec un bémol, des « détails » sur les conditions de travail et de rémunération devant pouvoir être directement négociés dans les entreprises, entre patronat et salarié·es. Soit une ligne rouge pour les syndicats, qui l’accusent de vouloir vider ces accords de leur substance. Le front syndical uni, composé du LCGB et de l’OGBL, a vivement réagi à ces projets dans un communiqué publié le jour même et qui pourrait se résumer à cette seule formule : « Rendez-vous le 28 juin dans la rue. » C’est-à-dire à la manifestation nationale convoquée ce jour-là par les deux syndicats, qui espèrent faire reculer le gouvernement par l’ampleur de la mobilisation.

Pendant le débat qui, le lendemain, suit le discours, LSAP, Déi Gréng, Déi Lénk et les pirates se retrouvent pour désapprouver la dégradation du climat social et le dialogue avec les syndicats relégué au rang de show communicationnel. Ils dénoncent le dynamitage du modèle social au profit d’un patronat avec lequel Luc Frieden partagerait une intime complicité. Quelle idée !


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