La situation paraît paradoxale : d’un côté le risque de voir une extrême droite forte malmener l’Union, de l’autre un désintérêt croissant de la population et des campagnes vides de tout message. Mais le paradoxe n’est pas ce qu’il paraît être.
Pour ces européennes, beaucoup de partis de centre-droite, les libéraux et même certains sociaux-démocrates suivent la ligne simpliste d’Emmanuel Macron : c’est nous ou l’extrême droite. Comme l’avait remarqué le candidat de Diem25 en Allemagne, Yanis Varoufakis (ancien ministre de l’Économie grec et égérie du renouveau de l’extrême gauche), la relation entre les macronistes et libéraux de tous pays et l’extrême droite n’est pas celle d’une opposition frontale des valeurs, mais elle est symbiotique. Les uns ont besoin des autres comme épouvantail. Le calcul macronien risque d’ailleurs fort de ne pas fonctionner, les derniers sondages français mettant le Rassemblement national de Marine Le Pen en tête. D’autant plus qu’il vient d’un président français qui ne rechigne pas à malmener la démocratie pour arriver à ses fins : gouvernement par ordonnances, abus des procédures judiciaires pour briser les Gilets jaunes ou encore pression inédite sur le journalisme d’investigation par le biais de la DGSI dans l’affaire des armes françaises au Yémen et plus récemment dans les affaires Benalla. Si Macron est le rempart contre l’extrême droite, il faut alors se demander pourquoi il exerce le pouvoir de façon autoritaire et jupitérienne.
Non, le problème est ailleurs. Et pour le dire franchement : si l’Europe veut survivre, elle doit mourir d’abord. C’est l’Europe du papa Juncker qui doit trépasser : celle des accords derrière des portes closes, celle de la pression néolibérale sur les États souverains qui les force à privatiser contre leur gré, celle qui n’a pas la volonté d’imposer des limites raisonnables aux lobbys. Enfin, celle qui a fait de la grande démocratie européenne une démocratie de façade. Certes, il n’est pas évident de trouver un consensus dans une union qui compte – encore – 28 États membres, mais c’est l’absence de transparence de la politique européenne et son caractère autoritaire, sans alternative, qui apporte l’eau au moulin des populistes d’extrême droite. L’Europe des nations que ces derniers prônent ne serait qu’un pas en arrière, une dégradation de l’intégration européenne et un retour vers les dangereux égoïsmes qui ont provoqué plus d’un bain de sang sur le continent et au-delà.
Si l’Union européenne veut survivre, l’Europe de papa Juncker doit mourir.
Faut-il pour cela abolir le néolibéralisme, et est-ce une perspective réaliste pour l’avenir proche ? C’est une des questions qui divise encore et encore les gauches européennes, aussi multiples que désemparées. Mais ce n’est pas la question la plus pressante. Pour abolir le néolibéralisme qui a fait tant de mal à la politique européenne, il faudrait d’abord qu’un discours alternatif soit permis. Et c’est là le fond du problème : chaque discours mettant en avant une alternative quelle qu’elle soit au néolibéralisme est immédiatement abattu en plein vol. Que ce soit par des paroles d’« experts » (des communicants connaissant la manipulation) ou d’autres moyens plus répressifs – les attaques contre les dissonances dans le chœur du tout économique et du tout compétitif sont le véritable problème. Or, bâillonner ces voix alternatives et en même temps normaliser celle de l’extrême droite, comme le font les centristes et les libéraux parce qu’ils en ont besoin, c’est aussi tuer la démocratie européenne. Il faudrait pouvoir affirmer que l’Union en l’état actuel pourrit de l’intérieur sans se faire taxer de fasciste ; il faudrait pouvoir imaginer des alternatives sans passer pour un utopiste pour que, enfin, cette énorme machine de paix puisse reprendre un peu d’oxygène. Et peut-être retrouver un nouveau souffle plus démocratique et plus digne. Cela dit : allez voter, tout de même !