Enseignement secondaire
 : Le libre jeu des acteurs


Le ministre de l’Éducation a présenté, cette semaine, son ébauche d’une réforme de l’enseignement secondaire. Il mise beaucoup sur l’autonomie scolaire et la spécialisation – et peu sur la formation générale.

L’école a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. À travers son projet de réforme, Claude Meisch entend « oser le saut dans le 21e siècle ». (Photo : Pixabay)

L’école a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. À travers son projet de réforme, Claude Meisch entend « oser le saut dans le 21e siècle ». (Photo : Pixabay)

Il n’y a pas de doute : une réforme de l’enseignement secondaire s’impose. Non seulement le système actuel date d’une autre époque – la base légale du cycle supérieur de l’enseignement secondaire classique date de…1968 -, mais l’école publique ne remplit pas la fonction d’« ascenseur social » qui lui est conférée. Au contraire : elle renforce et accentue les inégalités, contribue à la reproduction des hiérarchies sociales et ne prend pas en compte l’hétérogénéité de la population du Luxembourg.

La nécessité d’une réforme scolaire d’envergure, Mady Delvaux, ministre de l’Éducation entre 2004 et 2013, l’avait reconnue. Or, son projet de réforme lui avait valu une vive opposition de la part de différents acteurs, et des syndicats d’enseignants en premier lieu. Comme à peu près chaque fois qu’un gouvernement a tenté de s’attaquer en profondeur aux problèmes de l’Éducation. Sa réforme du secondaire, son successeur Claude Meisch l’a définitivement enterrée.

Meisch, qui a déjà deux conflits sociaux à son actif – la mobilisation étudiante contre la réforme du système de bourses d’études et celle des enseignants du secondaire contre des coupes budgétaires les concernant -, partage lui aussi, dans une certaine mesure, le constat d’échec, qui est fait du système éducatif actuel. Mais pour lui, le chemin à emprunter est totalement différent de celui de sa prédécesseure. Plutôt que de vouloir imposer depuis le 29, rue Aldringen – le siège du ministère de l’Éducation nationale – la marche à suivre, il préfère miser sur l’« énergie créatrice » des écoles. Et peut espérer, par ce même biais, ne pas susciter la grogne des puissants syndicats de profs.

Pour le ministre, « il faut arrêter de croire que c’est à travers des lois que nous pouvons innover à l’école ». « Les lois entravent le potentiel innovateur », dit-il. « Nos écoles sont déjà plus avancées que nos lois. » Aucun doute, Claude Meisch est un libéral, et sa vision de l’éducation est on ne peut plus libérale. Mais il reconnaît aussi, en partie du moins, les problèmes de l’école publique. « L’ascenseur social ne fonctionne plus », a-t-il déclaré au début de son mandat. Et en d’autres occasions : « Il faut trouver des réponses à l’hétérogénéité et à la diversité de nos élèves. »

Les lois, une entrave à l’innovation ?

En tant que bon libéral, pour Meisch, un système éducatif fonctionnant, c’est le résultat, en quelque sorte, du libre jeu des acteurs, d’une sorte de marché libre des écoles. Le rôle de l’État se résume, lui, à créer le cadre légal pour que ce libre jeu des acteurs puisse se développer.

C’est un peu le mot d’ordre du projet de réforme présenté ce jeudi matin : laisser un maximum de liberté aux acteurs de l’éducation, et aux écoles en premier. Ainsi, le ministre compte « diversifier » l’offre scolaire. Comprenez : laisser leur autonomie aux écoles en termes de voies de formation, d’approches pédagogiques et même de recrutement du personnel.

1380stoos« Le ministère fixe le cadre et les objectifs et fournit les ressources qui permettent aux lycées de se développer », peut-on lire dans le document-cadre de la réforme, intitulé « Ënnerschiddlech Schoulen fir ënnerschiddlech Schüler ». « Les lycées choisissent leur propre démarche pour atteindre ces objectifs. Grâce à une marge de manœuvre élargie au niveau de la pédagogie, du personnel et des finances, ils forgent leur propre profil et contribuent ainsi à diversifier l’offre scolaire. »

Cette marge de manœuvre passe d’abord à travers un plus grand choix en termes de matières enseignées. Ainsi, le projet de Mady Delvaux de réduire les sept sections du lycée classique à deux sections « dominantes » et modulables est enterré. Il y aura même une section de plus : une section « I », pour « informatique », sera introduite, à travers un projet pilote, dans une ou plusieurs écoles à partir de la rentrée 2017.

Vers une spécialisation accrue

À l’intérieur même des désormais huit sections, les lycées auront beaucoup plus de liberté qu’à l’heure actuelle. Ainsi, les branches enseignées seront catégorisées en quatre blocs : le volet « langues et mathématiques », le volet « spécialisation », regroupant les branches propres à chaque section, le volet « formation générale », comportant par exemple l’histoire, la philosophie, l’économie ou l’éducation physique, et le volet « domaine optionnel ».

Au sein du volet « spécialisation », une école pourra par exemple décider d’accentuer la spécialisation en échangeant une des branches classiques contre une branche plus spécialisée. Ainsi, le profil de la section peut être renforcé selon les goûts de l’école. Au sein du volet « formation générale » aussi, une branche pourra être remplacée par une autre du volet « formation générale » d’une section différente, ou par une discipline du domaine optionnel. Par exemple, dans une section C (sciences naturelles), l’enseignement de l’histoire pourrait être troqué contre celui de l’informatique. L’élaboration de la composition des différentes sections devra être le fruit d’un « long processus participatif » au sein de l’école en question, impliquant les acteurs concernés.

Le saut dans le 21e siècle

Le nombre d’épreuves lors de l’examen de fin d’études sera réduit à six – deux épreuves dans le volet « langues et mathématiques », trois dans le volet « spécialisation » et une dans le domaine de la formation générale. Les branches non présentes lors de l’examen de fin d’études seront néanmoins valorisées : toutes les branches enseignées en deuxième et en première seront mentionnées sur le diplôme de fin d’études. Ce seront en effet les notes obtenues au cours de l’année scolaire qui détermineront si oui ou non l’élève réussira son bac.

(Photo: Pixabay)

(Photo: Pixabay)

Au sein de l’enseignement secondaire technique, les premiers changements auront lieu au cycle inférieur. Le cycle supérieur devra lui attendre la rentrée 2018 pour avoir « sa » réforme. Au cycle inférieur, l’idée est de permettre « un parcours plus flexible pour promouvoir les talents au maximum ». La septième technique sera organisée comme un cours commun, tous les élèves ayant accès aux mêmes disciplines. À partir de la huitième, l’allemand, le français et les mathématiques seront partagés en cours « de base » et cours « avancés ». L’orientation se fera selon les notes, mais l’influence des conseils de classe deviendra plus grande. L’idée étant de « valoriser le savoir-faire de nos enseignants ».

C’est donc surtout au sein de l’enseignement secondaire classique que Meisch compte répondre aux attentes du « monde du travail » et des universités – surtout des universités « de renommée » – par une spécialisation accrue. Aux dépens, dans une certaine mesure, de la formation générale, pendant longtemps le socle du régime secondaire classique. « Laissons le passé derrière nous et osons le saut dans le 21e siècle », a martelé le ministre lors de la conférence de presse de jeudi. Tant pis pour l’idéal d’une école humaniste, procurant à l’élève une large formation générale et le préparant ainsi à une vie de citoyen.


Réforme de l’enseignement secondaire : les points clés

En plus des grandes lignes du projet de réforme telles qu’esquissées ci-dessus, Claude Meisch prévoit un certain nombre de changements ponctuels au sein de l’enseignement secondaire. Ainsi, l’orientation scolaire devrait être renforcée et améliorée, notamment à travers la définition d’une « démarche d’orientation scolaire et professionnelle » mise en place par chaque lycée. L’appui et l’encadrement des élèves devraient aussi être élargis. Un service socio-éducatif composé de pédagogues, d’éducateurs et d’éducateurs gradués viendra renforcer l’équipe pédagogique des lycées. Au niveau des compétences informatiques (« E-Skills »), outre la création d’une section « I » pour informatique, trois pôles de formation devront regrouper les enseignements liés aux nouvelles technologies. Côté élaboration des programmes scolaires, une maison d’édition luxembourgeoise d’ouvrages scolaires pourrait voir le jour. Finalement, le projet de réforme de Meisch prévoit aussi une « école plus participative ». À cette fin, une représentation nationale des parents sera créée. La Conférences nationale des élèves sera, elle, dotée de plus de ressources et d’un secrétaire administratif. La réforme qui, pour l’instant, devrait comporter sept projets de loi et deux règlements grand-ducaux, se déroulera en deux temps : à la rentrée 2017, le cycle supérieur de l’enseignement secondaire classique ainsi que le cycle inférieur du technique seront réformés. À la rentrée 2018, le cycle supérieur du technique suivra.


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