Vendredi 7 décembre, la Philharmonie arborait un petit air d’Australie bigarrée, avec la venue du Sydney Symphony Orchestra dirigé par l’Américain David Robertson et accompagnant le Français Renaud Capuçon.
Est-ce parce qu’il n’est pas si fréquent de voir le Sydney Symphony Orchestra en Europe que les allées de la Philharmonie résonnent beaucoup en anglais ce soir ? Probablement, quoique la navette de Trèves soit plutôt remplie. En tout cas, l’atmosphère est plus australe, pas de doute : les cravates et les costumes sont moins présents, l’âge moyen semble quelque peu diminué. Et puis l’orchestre est déjà sur scène lors de l’entrée des mélomanes, une tradition anglo-saxonne pas forcément désagréable. Après tout, les applaudissements sont toujours plus chaleureux à la fin, une fois que les instrumentistes ont livré leur performance.
L’orchestre a choisi de mettre en valeur pendant sa tournée un compositeur australien. La première pièce jouée est donc « Engelsflügel » de Brett Dean, en résidence cette année à Sydney. Le titre allemand de l’œuvre rappelle que Dean (né en 1961) a longtemps été violoniste pour les Berliner Philharmoniker, avant de retourner transmettre son savoir dans son pays natal en 2000. Loin de la musique contemporaine expérimentale, « Engelsflügel » est une composition envoûtante, aux aplats sonores successifs, qui joue plus sur l’harmonie que le contrepoint. Six petites minutes où la direction de David Robertson se montre angélique, dans des envolées d’ailes parfaitement identifiables à la musique. Difficile pourtant de capter l’attention du public, probablement plus classique dans l’âme, et dont les toux (nous sommes en hiver, bon, d’accord) gênent l’écoute des passages piano. On entend même des commentaires pas vraiment chuchotés. Dommage, car l’œuvre mérite une écoute concentrée… et puis six minutes, ça n’est franchement pas long.
Heureusement, voici que débarque le soliste Renaud Capuçon. Au programme, l’hyperromantique « Concerto pour violon en ré majeur » d’Erich Wolfgang Korngold. Le compositeur autrichien, naturalisé américain suite à son émigration en 1936 pour fuir le nazisme, y retourne à la musique « classique » après une impressionnante carrière hollywoodienne (deux Oscars, et surtout une influence sur tous les compositeurs de musique de film jusqu’à aujourd’hui, John Williams en tête). Il y utilise d’ailleurs des thèmes qu’il a composés pour le cinéma, tout en peaufinant une partition virtuose pour le violon. Capuçon est impeccable dans les notes, tricote des doigts avec beaucoup d’aisance. Il récolte même des applaudissements après le premier mouvement. Robertson conduit l’orchestre avec tact, ponctuant lorsque nécessaire sans empiéter sur le violon, donnant de l’allant pendant les tutti, esquissant des pas de danse pour le troisième mouvement au rythme entraînant. On sent que cette représentation est la dernière d’une longue tournée en Australie et en Europe : tout est en place, tout semble naturel. Peut-être pas le soliste cependant, qui en rajoute parfois, qui ne fait pas dans la dentelle. La musique est suffisamment sucrée pour ne pas y ajouter du miel. Une performance très extravertie, peut-être trop, qui se clôt pourtant en bis par la magnifique et sobre mélodie d’« Orphée et Eurydice » de Gluck, exécutée par Capuçon dans un silence quasi religieux. Ici, plus de toussotements, tiens !
Après la pause vient la « Cinquième symphonie en si bémol majeur » de Prokofiev. C’est l’occasion d’entendre enfin l’orchestre dans toute sa technique, qui plus est dans une œuvre exigeante. Et on n’est pas déçu : la précision et la musicalité sont bien présentes dans tous les registres ; mais surtout, l’équilibre sonore est tout simplement formidable. Une homogénéité qui montre tout le bien que peut faire à un orchestre une tournée où les morceaux sont joués dans la durée. Le Sydney Symphony Orchestra est évidemment un grand orchestre, mais ces semaines passées ensemble sur un même répertoire permettent un rendu d’exception. Au pupitre, David Robertson s’en donne à cœur joie, arpente son podium de long en large, fend l’air, continue ses pas de danse dans le deuxième mouvement. Un véritable « entertainer » à l’américaine, suivi avec entrain par l’orchestre dont il est le directeur musical depuis cinq ans. La performance est de toute beauté. Cerise sur le gâteau, le chef et les instrumentistes offrent en guise d’adieu l’ouverture du « Candide » de Bernstein. Là où Prokofiev avait fait passer par toutes les émotions, ce morceau final plein d’allégresse termine la soirée en feu d’artifice. Comme celui qui, chaque année, marque avant tous les autres le Nouvel An, dans la magnifique baie de Sydney.