Entre Est et Ouest
 : Planéité sans platitude

L’artiste japonais Tomokazu Matsuyama, basé à Brooklyn, avait déjà exposé à Luxembourg en 2013. Le voici de nouveau à la galerie Zidoun-Bossuyt, avec des toiles et des sculptures récentes, toujours à cheval entre Orient et Occident.

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Tomokazu Matsuyama, « In the Midnight Hour », 2015. (Photo by David Laurent, courtesy of Tomokazu Matsuyama and Zidoun-Bossuyt Gallery)

Sous une lune parfaitement ronde dont les contours épousent la forme d’un cadre tout en courbes – ou bien est-ce l’inverse ? -, un joueur de flûte. Sabre au côté, il joue. Le vent accentue les plis de son habit aux motifs floraux et fait voleter sa ceinture. Lui, visage inexpressif, reste d’un maintien impeccable. À droite, un personnage agenouillé qui peint. Un enchevêtrement de fleurs et de feuilles agrémenté d’oiseaux divers sert de toile de fond et de liant. « Go Where Clear », l’œuvre aux plus grandes dimensions exposée par le New-Yorkais d’adoption à la galerie Zidoun-Bossuyt, respire les influences de son Japon natal.

L’artiste ne s’en cache pas, d’ailleurs : le visiteur peut consulter dans la galerie un document qui détaille ses sources d’inspiration et en propose des reproductions. Matsuyama entend « réinterpréter le sens de l’image dans un dialogue mondial en mouvement ». Viennent donc s’ajouter au fil des toiles des cow-boys typiquement américains dans cette iconographie orientale, et puis surtout des coulures, des giclures et des aplats inspirés du pop art et de l’expressionnisme abstrait américains (Jackson Pollock, Morris Louis, Sam Francis…) qui constituent les éléments fondamentaux abstraits dont l’assemblage donne à la fin un sujet figuratif. Les vues d’ensemble et les vues de près sont donc complémentaires pour approcher les œuvres.

Tous les tableaux présentés fonctionnent ainsi comme des ponts entre l’art de l’estampe japonaise et les innovations picturales occidentales du siècle dernier, tout en gardant un petit air de mangas aux couleurs vives qui présentent un attrait immédiat, avant même la réflexion artistique. Celle-ci se prolonge cependant avec les sculptures exposées : Matsuyama a souhaité s’approprier la planéité des peintures orientales pour servir des œuvres certes en trois dimensions, mais dont la profondeur s’efface devant la stylisation. Ainsi ce célébrissime buste de Louis XIV réalisé par Le Bernin qui, dans « Bust a Move », se voit détourné en quasi-personnage de bande dessinée, avec un socle presque kitsch en métal argenté. Ou bien la non moins célèbre représentation d’une « Aphrodite accroupie », dont les plis de la peau semblent former la menaçante vague d’Hokusai et dont les formes voluptueuses ont perdu tout relief aguicheur. Ici encore, il y a dans les lignes épurées des sculptures une séduction immédiate, au-delà de la réflexion sous-jacente.

Pas étonnant donc que le « world art » de Matsuyama ait déjà convaincu des institutions prestigieuses. Né en 1976, l’artiste a eu les honneurs d’expositions à l’université Harvard, au Katzen Arts Center de Washington ou au Minneapolis Institute of Arts. Il a également convaincu de grandes firmes comme Levi Strauss, Microsoft, Nike ou Toyota pour leurs collections privées. C’est peut-être d’ailleurs là, dans son aptitude au consensus qui n’effraiera pas les transnationales, que l’actuelle limite de sa démarche artistique se situe : on aimerait ces ponts entre cultures, par-delà la technique minutieuse et la réalisation précise, plus rugueux, plus critiques, plus subversifs. Mais, désormais établi, l’artiste nous réserve peut-être des surprises à l’avenir. En attendant, admirer quelques-unes de ses créations récentes au Grund est un plaisir à ne pas bouder, tant la qualité picturale est au rendez-vous.

À la galerie Zidoun-Bossuyt, 
jusqu’au 9 janvier 2016.

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