Un des thèmes de prédilection de Cristina Lucas est l’influence du capitalisme sur notre rapport au monde. « Trading Transcendence » au Mudam tourne et retourne le sujet, tel un couteau dans la plaie.
Devant l’omniprésence de Wim Delvoye au Mudam ces derniers temps, assortie d’événements médiatiques encore à venir, on pourrait être tenté de remettre sa visite. Ce serait une erreur, car l’exposition « Trading Transcendence », qui occupe la totalité du niveau inférieur, est une excellente façon de se remémorer les ravages du système capitaliste sur notre inconscient collectif.
Pas pour tout le monde, d’ailleurs. Car pour certains (peut-être même à proximité immédiate du Mudam), ce sera peut-être l’occasion de constater l’apport positif du modèle désormais dominant à notre mode de vie. En effet, l’intention déclarée de Cristina Lucas est de ne pas prendre ouvertement parti, quitte à conforter chacun dans sa vision des choses.
En descendant l’escalier qui mène au foyer, on est d’abord frappé par les dix tableaux monochromes réalisés spécialement pour le Mudam. Lorsqu’on s’approche, leur structure se révèle : l’artiste a entrelacé des logos de marques connues, regroupés par couleur, qui forment un dense tissu de sollicitations marketing. L’idée ? Mettre en évidence le processus d’influence des messages commerciaux sur notre perception des couleurs.
Juste à côté, un écran LED propose les cotations, en direct des marchés financiers, de la majorité des éléments chimiques existants. On sait que le capitalisme attribue une valeur marchande à tout et n’importe quoi. Mais là, les éléments constitutifs de notre corps et de l’air que nous respirons déroulent froidement dans la liste, ce qui ne manquera pas de faire frissonner.
Dans la galerie 2, il faudra enfiler des surchaussures pour visiter l’installation « Clockwise » : 360 horloges décalées chacune de quatre minutes, dont la dernière marque 24 heures de plus que la première. Ici, Cristina Lucas souligne l’importance de l’unification de la mesure du temps dans la création du capitalisme financier mondial. Elle suggère en même temps que peuvent y couver des contestations individuelles, symbolisées par les multiples tic-tac des mécaniques horlogères.
De conceptrice d’installations, l’artiste se fait documentariste et cinéaste dans l’auditorium. Elle retrace l’histoire du « Capital » de Karl Marx et signe un petit bijou d’humour corrosif qui fustige la spéculation immobilière en invitant les habitants d’un quartier de Liverpool à lancer des pierres sur les fenêtres d’une usine abandonnée, en attente de reconversion lucrative.
Enfin, dans la galerie 1, se trouve ce qui constitue l’œuvre majeure de cette exposition, « Philosophical Capitalism ». Sur dix écrans défilent les entretiens de l’artiste avec des décideurs et des responsables d’entreprises. Cette œuvre, commencée à Madrid, a été spécialement complétée pour le Luxembourg par des discussions avec des acteurs économiques et politiques locaux. On apprendra ainsi ce que le concept de vérité peut signifier pour des notaires, le directeur d’un fabricant de détecteurs de mensonges… ou le rédacteur en chef du Wort. Ou bien comment l’idée du citoyen-consommateur s’articule chez une directrice d’études marketing et chez le député Déi Lénk David Wagner. Du très sérieux donc, des entretiens un peu décalés (que signifie la peur pour un acteur qui officie dans un train fantôme ?), et surtout l’impression que la plupart semblent sous la coupe d’exigences économiques auxquelles ils acceptent de se soumettre. Attention : l’œuvre est addictive.
Alors, finalement, Cristina Lucas réussit-elle à ne pas prendre parti ? Voire. Si les aspects du capitalisme qu’elle illustre étaient si naturels, quel serait au fond l’intérêt d’une telle exposition ? Cette illustration « objective » a quelquefois tout d’une stigmatisation. Et l’on ne va pas s’en plaindre.
Jusqu’au 14 mai 2017 au Mudam.
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