Exposition : Wiel mech !

Sous le titre « Wiele wat mir sinn », la Chambre des député-e-s (CHD) et le Musée national d’histoire et d’art (MNHA) fêtent le centenaire du suffrage universel dans une grande exposition, accompagnée d’une ribambelle d’événements. Le woxx s’y est promené.

Le long chemin vers le suffrage universel… qui mène à une nouvelle crise de la représentativité dans la démocratie luxembourgeoise. (Photos : © MNHA)

Il est encore tôt mercredi matin, l’automne maussade ne se cache plus même au promeneur le plus optimiste quand le rendez-vous pour la visite officieuse de l’exposition au MNHA a lieu. Entre équipes de nettoyage qui font leur ronde matinale, écrans pas encore tous allumés et éclairages parfois improvisés, les historien-ne-s Renée Wagener (pour la CHD) et Régis Moes (pour le MNHA) commencent leur journée remplie de multiples guidages – après votre humble serviteur, c’était le tour d’un groupe de diplomates d’explorer « Wiele wat mir sinn ».

Une exposition qui a eu un temps de préparation particulièrement long, comme l’explique Régis Moes : « Ça fait une dizaine d’années qu’on en parle et que les contacts entre la Chambre et le MNHA pour une exposition en coproduction ont été établis. Depuis deux à trois ans, nous avons commencé la planification en détail. » Pour cela, l’équipe composée de Wagener, Moes, Michel Polfer (directeur du MNHA) et Claude Frieseisen (secrétaire général de la CHD) s’est aussi fait aider par l’agence « Gotcha ! » – une start-up appartenant à Ben Olinger, transfuge bien connu de la galaxie RTL Luxembourg. Celle-ci était d’ailleurs à l’origine de la campagne virale avec le faux blogueur Yves Kinnen et ses slogans comme « Kee Wahlrecht fir Leit mat Facebook » – qui a réussi à tromper même les rédactions culturelles les plus informées du pays.

« L’agence a aussi été impliquée dans la recherche du titre de l’exposition », explique Renée Wagener. « Ce qui n’a pas été une tâche facile, car nous avions en tête plusieurs titres, dont certains en français qui étaient intraduisibles en luxembourgeois ou en allemand. Finalement, nous avons opté pour ce titre en luxembourgeois, pour deux raisons. Premièrement parce qu’il implique aussi le slogan national du ‘Mir wëlle bleiwe wat mir sinn’, et deuxièmement parce qu’il sous-entend la question identitaire du droit de vote au Luxembourg, qui reste toujours une problématique d’actualité. »

Une problématique d’ailleurs qui s’étire comme un fil rouge dans toute l’exposition. Au début, chaque visiteuse et visiteur peut se munir d’un petit badge avec un code-barres. Celui-ci lui assigne une identité au hasard, homme, femme, mineur, majeur, résident, national ou étranger – et l’informe selon les étapes historiques parcourues s’il a le droit de voter ou non. Une idée que les activistes de Richtung 22 avaient d’ailleurs aussi réalisée de manière plus artisanale lors d’une exposition au Hariko à Bonnevoie, dans le cadre de leur pièce « NAGA – Konscht op Lëtzebuergesch ». Cela n’enlève rien au fait que c’est une bonne initiative d’impliquer personnellement le public dans une exposition qui finalement le concerne en premier lieu.

C’est aussi pourquoi la première pièce de l’exposition est remplie d’écrans sur lesquels sont projetés des micros-trottoirs réalisés au sortir des cabines de vote un peu partout dans le pays, lors des législatives de l’année dernière. Le fait que sur le tout premier apparaisse le visage de Gaston Vogel, l’avocat le plus médiatique de la nation, relèverait purement du hasard selon Régis Moes – « Mais en même temps, cela peut être une bonne introduction à la matière pour les gens qui le connaissent et l’apprécient », ajoute-t-il.

Dans la deuxième salle trône un graphique qui à lui seul illustre toute la complexité de l’accès à la démocratie au grand-duché. Sur un axe temporel est représentée la part de la population ayant le droit de vote depuis la fin du 19e siècle jusqu’à nos jours. Et l’éléphant dans la salle y apparaît clairement, puisqu’au 21e siècle, ce droit élémentaire n’est toujours pas accessible à la majorité de la population résidente – si on ajoute les jeunes de moins de 18 ans à la population étrangère.

L’éléphant dans les salles : le droit de vote pour toutes et tous

Ce qui suit dans les salles suivantes est une illustration plus profonde de cet axe temporel. Avec un choix bienheureux : au lieu de commencer l’exposition stricto sensu en 1919, lorsque le suffrage universel est enfin arrivé au Luxembourg, l’exposition commence à l’époque de la Révolution française. Elle se poursuit avec l’époque de Napoléon, où le pays en tant que département des Forêts a déjà expérimenté plusieurs formes de suffrages censitaires, comme l’illustre une trouvaille exceptionnelle : la liste manuscrite des 550 personnes les plus imposées au pays, parmi les 610 plus forts contribuables, datant de 1810. On peut y trouver des noms toujours en cours parmi les patronymes, comme Hansen ou Kayser et autres. Notons au passage que le livre accompagnant l’exposition fait commencer la narration des balbutiements démocratiques bien plus tôt, avec un texte très intéressant sur Ermesinde et ses alliances avec ses vassaux et la société politique de l’époque.

Le 19e siècle voit le suffrage censitaire toujours gravé dans le marbre. Sous Guillaume Ier, pas question d’y toucher. Pourtant, la pression monte de tous les côtés. La bourgeoisie libérale, le clergé et les mouvements ouvriers commencent à s’organiser pour défier le pouvoir absolu monarchique. Pour l’illustrer, une logique binaire : côté face, les grands bourgeois qui dominèrent le discours, côté pile, les masses de pauvres sans droits. Bref, pour celles et ceux qui veulent savoir qui se cache derrière de nombreux noms de rues au pays, c’est une chance d’en savoir plus.

Si les révolutions de 1848 ont été violentes dans les pays voisins, le Luxembourg reste apparemment plus calme. « Mais cela ne veut pas dire que les idées révolutionnaires n’avaient pas fait leur chemin jusqu’à chez nous », tempère Régis Moes. « Les aspirations à plus de démocratie ont aussi écloses sous nos latitudes, comme le montrent les premiers registres de pétitions qui apparaissent à cette période. » En effet, une pétition contemporaine provenant de Diekirch prouve qu’à l’époque déjà, le peuple luxembourgeois réclamait la fin du suffrage censitaire et une vraie démocratie représentative.

C’est aussi l’époque des premières manifestations de grande ampleur au Luxembourg. Et on y trouve aussi des femmes : « Dans les appels à manifester, les femmes étaient bien visées », constate Renée Wagener. « Elles faisaient bien partie des efforts pour changer. D’ailleurs, les appels à ouvrir le vote aux femmes commencent déjà en 1905 à la Chambre des député-e-s – mais il va falloir du temps jusqu’à ce que ceux-ci ne provoquent plus l’hilarité générale. »

Une lutte sur plusieurs générations

Et surtout, il va falloir passer par les épreuves de la Première Guerre mondiale pour que le grand-duché se dote d’une nouvelle Constitution ouvrant le droit de vote à toute sa population – une salle est consacrée entièrement à cette époque. L’influence de la révolution bolchevique sur les ouvriers, la crise de la monarchie à l’issue de la guerre et les tentations républicaines d’une partie de l’élite libérale et des classes populaires (ainsi que le référendum de 1919) ont finalement constitué le mélange explosif qui amena à céder devant des revendications de longue date. En cela, l’exposition illustre aussi parfaitement comment des combats politiques peuvent durer des générations entières avant d’aboutir et pourquoi il ne faut pas baisser les bras.

La nouvelle Constitution profite aussi d’une salle consacrée à son contenu, peinte en bleu avec maintes citations et un exemplaire original signé de la main de la grande-duchesse Charlotte. Pourtant, le suffrage universel ne signifie pas automatiquement une grande ouverture à toutes les classes et tous les genres. Ainsi, le premier député communiste Zénon Bernard, élu en 1934, est immédiatement exclu du parlement – parce qu’il bénéficiait de l’aide sociale publique, une condition non acceptable pour la Chambre à l’époque. Et même si la première députée, Marguerite Thomas-Clément, est élue en 1919 (elle siégera jusqu’en 1931, avec des interruptions), la suivante (Astrid Lulling) n’entrera au Parlement qu’en… 1965.

Ces thèmes sont tous illustrés dans la deuxième partie de l’exposition, un peu moins organisée que la première. On y trouve pêle-mêle une petite salle décrivant la période nazie (avec un buste d’Adolf Hitler de dos regardant la Chambre des député-e-s voilée de drapeaux aux croix gammées), des objets historiques, comme de vieilles urnes, et des témoignages plus actuels comme des affiches datant des années 1970 et 1980 montrant l’éveil de la société civile, qui demandait plus de participation démocratique et des formes alternatives de participation. Finalement, l’exposition aboutit à la campagne référendaire de 2015 et au refus des Luxembourgeois-e-s de partager le droit de vote avec la population étrangère résidente. Un partage qui est aussi le défi démocratique le plus actuel.

Car si « Wiele wat mir sinn » traduit bien les obstacles qu’il a fallu surmonter pour arriver à la situation actuelle et si elle ne l’occulte pas, elle ne dit pas clairement que ce que la démocratie luxembourgeoise est en train de traverser est bel et bien une crise de la représentativité. Le pays devra choisir s’il veut être un Dubaï ou un Koweït au milieu de l’Europe, ou bien une nation accueillante qui – par sa petite taille – se retrouve à l’avant-garde de la démocratisation de la société.

Plus d’informations et programme événementiel sous : 
www.wielewatmirsinn.lu

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