Expo : Frida et Diego

Une rétrospective consacrée à la photographe Gisèle Freund nous replonge dans l’univers intime de Frida Kahlo et Diego Riviera.

Frida Kahlo dans son jardin, Coyoacan, Mexico City, circa 1951 (Collection of Dr. Marita Ruiter, Galerie Clairefontaine Luxembourg / © Gisèle Freund/IMEC/Fonds MCC)

En 1950, Gisèle Freund se trouve en Amérique latine, en Argentine plus précisément, où elle était venue s’installer au début des années 1940 sur invitation de Victoria Ocampo, fondatrice de la mythique revue « Sur ». À l’origine d’une crise diplomatique entre l’Argentine et les États-Unis, après avoir publié un photoreportage sur la vie de luxe d’Eva Perón dans « Life », où l’on voit la première dame argentine admirer ses bijoux, Gisèle Freund, suspectée de communisme, est contrainte de se réfugier en Uruguay d’abord, au Mexique ensuite. Forcée de quitter l’agence Magnum, la photographe juive d’origine allemande, connue pour ses portraits en couleur de Sartre, Beauvoir, Joyce, Benjamin et tant d’autres, réalisés à Paris dans les années 1930 (au moment où la folie hitlérienne et antisémite embrasait l’Allemagne entière en menaçant le continent) était devenue une nouvelle fois la cible d’un pouvoir.

Au Mexique, où elle avait prévu de rester deux semaines, elle passera finalement trois ans et se liera d’amitié notamment avec la peintre Frida Kahlo et son époux Diego Riviera, connu alors pour ses peintures murales socialistes et sa fascination pour la culture précolombienne. Frida Kahlo quant à elle n’exposera seule pour la première fois qu’en 1953, l’année où Gisèle Freund retourne en Europe pour s’installer définitivement à Paris, le Mexique ayant failli selon ses propres dires la « dévorer », tant les contrastes y auraient été « violents » et « surhumains ».

Reine de la douleur

De ses amis peintres, Gisèle Freund réalisera néanmoins un certain nombre de clichés avant son départ. Ils comptent aujourd’hui parmi les plus intimes témoignages sur les locataires de la Casa Azul, la maison où vivaient et travaillaient Frida Kahlo et Diego Riviera. Même si, des deux, c’est sans doute de Frida Kahlo que Gisèle Freund s’est sentie la plus proche. Voilà du moins ce que suggèrent les splendides photographies actuellement exposées à la galerie Clairefontaine, qui accueille Frida Kahlo au rez-de-chaussée et Diego Riviera au premier étage, comme pour souligner le don mystique de la première et l’introversion opaque du second.

Sous l’œil et l’objectif espiègle de Gisèle Freund, Diego Riviera semble se transformer tantôt en nain de pierre, dont les traits ennuyeux portent à sourire, contrastant avec la dureté des figurines précolombiennes de sa collection, tantôt en homme-enfant vêtu d’un énorme veston jean frôlant le ridicule. Frida Kahlo, somptueuse, est célébrée sous le regard amoureux de la photographe. Réduite dans sa liberté de mouvement depuis un grave accident d’autobus et connue pour ses portraits et autoportraits mélangeant genre, classe et race, l’impossibilité de la maternité et la relation tumultueuse qui la liait à Diego Riviera, Frida Kahlo nous surprend dans son jardin, en donnant à manger à ses canards, accompagnés de deux chiens, comme sur une image de dévotion ; fumant sous un arbre, en aristocrate affranchie n’obéissant qu’à son code ; ou bien en reine de la douleur qui a transformé en œuvre d’art aussi bien son corps que le périmètre réduit au sein duquel il lui était permis de vivre, où tout devient à la fois sacré et objet de sacrifice, comme le suggère cette photographie de Gisèle Freund montrant Frida Kahlo sur son lit (de mort ?) – les yeux ouverts, en résurrection permanente.

Jusqu’au 9 juin à l’espace 2 de la galerie Clairefontaine au 21, rue du Saint-Esprit. Entrée libre.

http://galerie-clairefontaine.lu/gisele-freund


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