La guerre menée par la Russie en Ukraine est non seulement une catastrophe humanitaire, mais aussi un désastre environnemental. L’association UAnimals tente de venir en aide à ces « victimes silencieuses » que sont la faune et la flore et de porter leur voix.

Des dizaines de milliers d’animaux errent dans les rues ukrainiennes depuis le début de la guerre. De nombreuses associations, à l’instar d’UAnimals, se mobilisent pour les soigner, les nourrir et leur trouver un nouveau foyer. (Photo : EPA-EFE/HANNIBAL HANSCHKE)
Pollution massive de l’air, du sol et de l’eau, bombardements, incendies, terrains minés : la guerre en Ukraine cause des dégâts considérables et préoccupants sur la faune et la flore ukrainiennes. Selon les derniers chiffres disponibles, en 2023, après un an de guerre, 20 pour cent des aires protégées du pays, 600 espèces d’animaux et 750 espèces de plantes avaient déjà été affectés par le conflit. « La Russie commet des crimes environnementaux, certains sont de véritables écocides», fulmine depuis Kiev Olga Chevganiuk, responsable du département des initiatives stratégiques d’UAnimals.
Parmi ces écocides, la rupture du barrage de Kakhovka, sur le Dnipro, dans la province de Kherson, le 6 juin 2023, « la pire catastrophe environnementale en Europe depuis Tchernobyl », selon le gouvernement ukrainien. Cette destruction – dont les belligérants se rejettent la responsabilité et qui a été unanimement condamnée − a provoqué de gigantesques inondations qui ont touché 620 km2 de terres d’après l’UNESCO, « dont de nombreuses zones protégées d’importance nationale et internationale ». Les 18 milliards de tonnes d’eau qui se sont déversés ont non seulement noyé des habitats naturels et des animaux − tant domestiques que de ferme ou sauvages −, mais se sont aussi chargés de produits chimiques et de pétrole, polluant les eaux douces et tuant de nombreuses espèces, notamment des poissons, des mollusques, des batraciens, ainsi que du bétail.
Autre conséquence de la guerre actuelle : la mort de milliers de dauphins en mer Noire, en raison des puissants sonars utilisés par les navires militaires russes, qui les désorientent et les empêchent de se nourrir. « Les scientifiques ne s’accordent pas sur les chiffres − le nombre de ces dauphins varie entre 7.000 et 60.000. Dans tous les cas, cela reste extrêmement important », déplore Olga Chevganiuk.
Animaux évacués
Depuis l’invasion russe, le 24 février 2022, l’association de défense des animaux pour laquelle elle travaille concentre ses activités sur le sauvetage des animaux qui souffrent de la guerre, aussi bien domestiques que sauvages. D’après les statistiques de la plus importante compagnie ukrainienne productrice de nourriture pour animaux de compagnie, le pays comptait 5,5 millions de chats et 750.000 chiens avant la guerre. Si nombre de réfugié·es ont emmené leurs petits compagnons dans leur périple (une situation si inédite que l’UE avait dû assouplir les conditions d’entrée pour ces animaux), « des dizaines de milliers d’animaux domestiques errent dans les rues aujourd’hui. Leurs propriétaires n’ont soit pas pu les prendre avec eux, soit ils sont morts. Le nombre de ces animaux errants a plus que doublé. Même s’il s’agit d’estimations approximatives, l’ampleur du problème est énorme. Ils souffrent de la faim et de maladies, et sont souvent victimes des bombardements russes », fait savoir Olga Chevganiuk. Avec son association, elle essaie de leur retrouver un foyer. Une goutte d’eau dans la mer, tant ils sont nombreux. Aussi, afin d’en réduire un peu le nombre « de façon humaine », UAnimals a mis en place un programme de stérilisation gratuite, qui a permis de stériliser et vacciner plus de 10.000 animaux dans 20 villes d’Ukraine. « Nous aidons également les refuges en leur fournissant des équipements médicaux et tout ce dont ils ont besoin pour passer l’hiver », ajoute-t-elle.

(Tetiana Shevereva/ Unsplash)
Un autre projet d’UAnimals consiste à évacuer les animaux qui se trouvent sur la ligne de front vers des endroits plus sûrs, parfois même à l’étranger, et ce « quels que soient leur race, leur taille ou leur âge » : chats, chiens, tigres, lions, chameaux, chevaux, vaches, ratons laveurs, loups, ânes, hérissons, lémuriens, moutons ont déjà bénéficié d’une main tendue. Parmi les quelque 5.000 d’entre eux qui sont désormais à l’abri, un grand nombre a pu être sauvé grâce à des soldats. « Ces militaires qui sont occupés à sauver le pays, qui sont au front et subissent depuis des mois des frappes, trouvent le temps de venir en aide aux animaux, en les soignant et en cherchant des solutions pour les sauver », s’émeut Olga Chevganiuk. Certains les adoptent, trouvant notamment chez leurs compagnons d’infortune un soutien psychologique, mais aussi d’excellents gardes ou chasseurs de rats et de souris, comme l’a récemment montré un diaporama du magazine « Geo ». « Nous avons une expression en ukrainien qui dit ‘À chaque tranchée son animal’ », indique Olga Chevganiuk. C’est peut-être la première fois que les animaux reçoivent tant d’attention pendant une guerre.»
Dans la mesure du possible, les associations tentent aussi de limiter les dégâts pour les animaux sauvages. « Nous refusons de baisser les bras et d’attendre la fin de la guerre, car on ne sait pas quand celle-ci prendra fin, et, d’ici là, il n’y aura peut-être plus rien à sauver », explique Olga Chevganiuk. « Nous restons en contact avec les parcs nationaux et nous levons des fonds pour les aider à poursuivre leurs programmes ou à mettre en place ce dont ils ont besoin. Généralement, nous les aidons à acheter des équipements. » Ainsi, UAnimals a participé à la construction d’abris et à la remise en état des enclos d’hivernage du parc naturel d’Ascania-Nova, dans le sud du pays, considéré comme la plus ancienne réserve de biosphère de steppe du monde et dans laquelle les animaux vivent en semi-liberté. « Les abris sont des endroits où ils peuvent venir se réfugier lors des attaques, car le bruit des explosions les effraie grandement. Dans d’autres parcs, nous avons acheté des équipements destinés à éviter les incendies », souligne Olga Chevganiuk, qui tient aussi à alerter sur la présence des mines dans le pays. Les animaux sauvages en sont souvent les premières victimes, comme le rappelle le biologiste Yehor Hrynyk dans une interview pour Reporterre. L’Ukraine est devenue le pays le plus miné du monde. D’après la BBC, les autorités nationales estiment que près d’un quart du territoire pourrait être contaminé par des mines et des munitions non explosées. Plusieurs décennies risquent d’être nécessaires pour en venir à bout.
Quant aux oiseaux, ils sont eux aussi impactés par la guerre, leur habitat étant ravagé, voire complètement détruit. Les oiseaux migrateurs se voient contraints de faire d’importants détours, les routes migratoires passant au-dessus des zones de conflit. « Désorientés, ils doivent changer de route sans se poser et s’épuisent », explique le Fonds international pour la protection des animaux. C’est le cas notamment pour les aigles criards, déjà classés vulnérables, qui ont été amenés à parcourir jusqu’à 85 kilomètres supplémentaires en moyenne, selon l’étude parue dans la revue « Current Biology ». Leur arrivée plus tardive sur les lieux de reproduction et leur condition physique amoindrie risque d’avoir des répercussions sur la reproduction de l’espèce. Pour limiter un peu les dommages, « des scientifiques tentent de recréer des espaces semi-naturels pour permettre aux oiseaux en quête d’écosystèmes similaires à celui dans lequel ils vivaient de nidifier », indique Olga Chevganiuk.
« La Russie devra en répondre »
Malgré tous les efforts déployés, « plus de 80 espèces animales de notre pays sont au bord de l’extinction et risquent de cesser complètement d’exister en raison de l’agression russe. Parmi elles, l’aigle des steppes, la cigogne noire, l’ours brun, le lynx d’Eurasie, l’effraie des clochers et le hérisson à oreilles échancrées », cite la jeune femme, dont l’association estime à six millions le nombre d’animaux déjà morts en raison de l’invasion russe. Un drame pour l’Ukraine, mais pas seulement : le territoire abrite 35 pour cent de la biodiversité européenne.
Le conflit contribue par ailleurs à accélérer le réchauffement climatique, dont on craint les multiples conséquences sur la faune et la flore. Selon un rapport de l’Initiative on Greenhouse Gas Accounting of War (IGGAW), 175 millions de tonnes équivalent CO2 ont été émises depuis deux ans, soit l’équivalent des émissions annuelles des Pays-Bas. Environ un tiers de ces émissions résulte des activités directement liées à la guerre (carburant, production d’armement, etc.), un tiers de la reconstruction, et le dernier tiers est principalement dû aux incendies (y compris d’infrastructures énergétiques, comme les raffineries) et aux détournements des avions commerciaux en raison des fermetures de l’espace aérien.
Pour les militant·es, il est clair que, au vu de l’ampleur des dégâts, la Russie « devra répondre de ses crimes environnementaux ». D’après IGGAW, la seule facture climatique s’élèverait à plus de 30 milliards d’euros pour la Russie. Problème : l’écocide n’est pas encore reconnu par la Cour pénale internationale. Pour UAnimals, qui a lancé en 2022 la campagne #StopEcocideUkraine afin d’« attirer l’attention sur les crimes environnementaux commis par la Russie pendant la guerre, [de] traduire l’agresseur en justice et [d’]attirer l’aide de la communauté internationale pour restaurer l’environnement ukrainien », il existe déjà plusieurs instruments permettant de faire condamner la Russie et obtenir ainsi une indemnisation pour les dommages environnementaux occasionnés. « La Russie a violé un certain nombre de conventions, notamment des dispositions de la convention de Genève », estime Olga Chevganiuk. Le gouvernement ukrainien, désireux de prendre la mesure de ces dommages et de les faire reconnaître à terme, a entrepris de les recenser dès le début de l’invasion russe. Il a enregistré plus de 5.000 de ces crimes, qu’il qualifie d’écocides (terme entré dans le Code pénal ukrainien depuis 2001).
Mais le processus risque d’être long et compliqué. À ce jour, on ne note qu’un seul précédent : l’Irak avait été contraint par le Conseil de sécurité des Nations unies à indemniser le Koweït suite à la guerre du Golfe, au titre « de toute perte, de tout dommage – y compris les atteintes à l’environnement et la destruction des ressources naturelles ». Ironie de l’histoire : l’ONU a mis fin à ce mandat, exécuté « de manière exemplaire »… le 22 février 2022, soit deux jours avant l’invasion russe en Ukraine.
L’écocide, un crime qui tarde à être reconnu
L’écocide est le fait de porter une grave atteinte à l’environnement, avec des dommages majeurs et durables. Le terme, qui vient du grec « oikos » (maison), et du latin « caedere » (tuer), a été employé pour la première fois dans le cadre de la guerre au Vietnam, pour dénoncer l’utilisation de l’agent orange. L’écocide n’est actuellement pas reconnu comme un crime par la Cour pénale internationale (CPI). Plusieurs demandes de reconnaissance ont été formulées auprès de la CPI, sans succès pour l’instant. En juin 2021, un groupe d’experts de renom spécialisés en droit pénal international, en droit de l’environnement et en droits humains, réuni à la demande de la fondation néerlandaise Stop Ecocide, a même élaboré une définition juridique de l’écocide. Si celui-ci venait à être reconnu par la CPI, il constituerait le cinquième crime contre la paix. L’Union européenne est la première instance internationale à l’avoir reconnu comme infraction aggravée. Le texte a été adopté en février 2024 et devra être transposé dans les législations nationales des États membres d’ici le 21 mai 2026.