Le MNHA réactive en ce moment la mémoire du passé colonial du Luxembourg. Une exposition ambitieuse qui soulève le capot des dérives et livre des récits jusqu’ici méconnus.
Vers la fin de l’année dernière, le collectif Richtung 22, en plein contexte du mouvement Black Lives Matter, avait déboulonné provisoirement huit plaques de rues sur lesquelles figuraient des noms, dont quelques luxembourgeois, impliqués dans les pages noires du colonialisme. Elles donnèrent lieu à une exposition au Casino Luxembourg. En ce mois d’avril 2022, le MNHA rattrape le temps perdu autour de ce thème inconfortable, remis aux oubliettes depuis les années 1960, mis à part un documentaire de Paul Kieffer et Marc Thiel (« Ma vie au Congo/Ech war am Congo »), et surtout le mémoire de master de l’historien Régis Moes portant sur la collaboration coloniale belgo-luxembourgeoise au Congo. Régis Moes est également commissaire de l’expo. L’historien parvient à documenter à travers plusieurs axes l’implication coloniale luxembourgeoise et met en exergue celle qui fut perpétrée au Congo de Léopold II.
Le noyau central de l’expo part d’une question qui de prime abord semble banale, mais dont la réponse s’avère plus complexe qu’il n’y paraît : le Luxembourg a-t-il un passé colonial ? Comme indiquent les notes introductives de l’expo, « si le Luxembourg n’a jamais exercé d’autorité politique sur un territoire d’outre-mer ou sur des populations, nombre d’hommes et de femmes du grand-duché ont émigré aux 19e et 20e siècles pour s’établir et travailler dans des colonies d’autres pays européens. Ainsi, près de 600 Luxembourgeois-es vivaient au Congo belge peu avant la proclamation de l’indépendance de la République démocratique du Congo en 1960 ». À partir de ce constat, l’expo évoque, entre autres, le courage politique que des bourgmestres ont eu, comme Christiane Thommes-Bach de la commune de Wahl en retirant le nom de Nicolas Grang à une rue, le 8 juillet 2020. Nicolas Grang, premier Luxembourgeois mort au Congo, participa à la dévastatrice conquête de ce pays en tant que lieutenant de l’armée belge aux côtés de l’explorateur américain Henry Stanley. Ayant du sang sur les mains, il fut pourtant considéré comme un héros pendant longtemps. Autre personnage controversé : Nicolas Cito. Cet ingénieur luxembourgeois prit part à la construction de la première ligne ferroviaire du Congo et en devint son directeur d’exploitation. Plus de 5.000 ouvriers africains succombèrent en raison des exactions colonisatrices et du travail forcé. Néanmoins, la fortune engrangée par Nicolas Cito inspira certains de ses compatriotes, qui suivirent sa trace en tant que soldats, scientifiques, missionnaires, hommes d’affaires ou fonctionnaires coloniaux.
Centenaire au goût amer
Organiser cette expo en 2022 n’est pas le fruit du hasard. À la suite de l’union économique belgo-luxembourgeoise de 1921, les autorités belges attribuèrent aux Luxembourgeois le même statut de citoyenneté que celui des Belges du Congo l’année suivante. Ils étaient même autorisés à occuper des postes en tant que fonctionnaires. L’expo signale ainsi ce centenaire et pointe du doigt le soutien des autorités politiques luxembourgeoises de l’époque et leur connivence face à cet exode colonial au profit de l’exploitation des populations locales. D’ailleurs, une photo met à l’honneur le chef de gouvernement de l’époque, Pierre Dupong, verre à la main, sur le stand du Luxembourg de la Foire commerciale, industrielle et agricole du Kivu à Bukavu en 1953. Sur deux étages, « Le passé colonial du Luxembourg » regorge d’autres histoires.
La photo de l’affiche de l’expo n’a évidemment pas été choisie au hasard. Elle parvient à elle seule à résumer et à caricaturer le colonialisme. On y aperçoit un fonctionnaire luxembourgeois muni d’un casque typiquement colonial et vêtu d’une chemise d’un blanc immaculé, oisivement installé sur un bateau mené par plusieurs pagayeurs congolais. Cela reflète tout bonnement la soumission de peuples indigènes face au colonisateur blanc, convaincu de sa supériorité raciale, venu exploiter les richesses naturelles et les matières premières d’un pays tiers.
Cette expo franchit un cap plus que décisif dans ce processus de restauration de vérités et de mea culpa. Un premier pas vient d’être remarquablement effectué au niveau culturel. Des excuses officielles de l’État lui succéderont-elles ? Affaire à suivre. En tout cas, avant l’inauguration de l’expo, la pertinence du titre attribué à cette dernière a fait l’objet d’une question parlementaire du député ADR Fernand Kartheiser. Il a été diplomatiquement invité à visiter ce nouveau travail du MNHA afin de répondre à sa propre question. Cela dit, pour beaucoup, l’expo permettra de découvrir des pans d’un passé colonial pas si lointain et pourtant méconnu. Pour d’autres, il s’agira d’assumer ses pages noires. Et pour quelques-uns, un exercice d’exorcisation serait plus que le bienvenu.
Au MNHA jusqu’au 6 novembre.
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