Meloni : les réseaux sociaux comme outil de victimisation

Près de deux ans après les élections qui l’ont vue accéder à la présidence du Conseil, Giorgia Meloni sort confortée du scrutin européen. En rassemblant 29,8 % des suffrages, Fratelli d’Italia reste le premier parti du pays, mais moins d’un électeur sur deux s’est rendu aux urnes (49,69 %). Dans la nuit du dimanche 9 juin, la première ministre s’est adressée à ses partisans, déclarant que « les Italiens ont choisi leur camp ». Elle a raillé Macron et Scholz, se disant fière de voir l’Italie doté du gouvernement le plus fort en Europe. Son succès doit beaucoup à son usage très particulier des réseaux sociaux.

Captures d’écran du compte Facebook de Giorgia Meloni. La première ministre se met en scène sur les réseaux sociaux, relayant ses rendez-vous officiels, singeant un journal télévisé ou encore en partageant des détails sur sa vie privée. (Photo : woxx)

Après les vingt années tragiques du fascisme, la classe politique italienne a tenté de limiter autant que possible tout terme exaltant le nationalisme, ce dernier ayant conduit à la catastrophe de la dictature. C’est la raison pour laquelle, pendant des décennies, les politiques italiens ont préféré le terme « pays » (paese) à celui, beaucoup plus partisan, de « nation ». Mais avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême droite, le premier dans l’histoire de la République, le terme « nation » revient à la mode, tout comme les mots « peuple » et « rédemption ». Le concept de nation désigne un ensemble d’individus conscients de leurs particularités historiques, culturelles et linguistiques. Il exclut donc les non-Italiens ou ceux qui voudraient le devenir, mais ne le peuvent pas, car le processus d’obtention de la citoyenneté italienne est long et tortueux. Le terme « pays » est plus générique, car il ne se réfère pas nécessairement à un groupe de personnes partageant une langue et des coutumes communes et est donc plus inclusif.

L’extrême droite italienne n’a jamais cherché à être inclusive, mais Fratelli d’Italia a toujours cherché à être proche des couches populaires. Pour donner l’illusion d’être « une personne du peuple », Meloni n’hésite pas à parler italien avec un fort accent romain et à utiliser parfois des termes dialectaux. Elle fait tout son possible pour se montrer aussi terre-à-terre et aussi peu institutionnelle que possible. Il y a quelques semaines, en pleine campagne électorale, elle a participé, en tant qu’invitée, à un podcast sur la maternité. Le sujet de l’épisode était la relation de Meloni avec sa fille. Il s’agit d’un fait plutôt rare dans la politique italienne. Normalement, les Italien·nes ne connaissent ni les conjoints ni les enfants des dirigeants en exercice. Dans le cas du précédent chef du gouvernement Mario Draghi, l’identité de sa femme n’était même pas connue. Il en va de même pour de nombreux présidents de la République, dont la vie privée était et reste top secret. Mais étaler nos vies privées nous rend plus « humain » et Meloni le sait. Ce n’est donc pas une coïncidence si de nombreux aspects de la vie personnelle de la première femme cheffe de gouvernement sont connus du public. Il en va en particulier de ses vicissitudes avec son ex-partenaire, un journaliste de télévision, exclu de la télé après la diffusion d’images le montrant en train de flirter et de se livrer à des plaisanteries machistes avec une collègue journaliste.

Sa vie privée sur Facebook

Si de nombreuses détails de la vie personnelle de la première ministre sont aussi connues, c’est en raison de l’usage très informelle qu’elle fait des réseaux sociaux. Elle a ainsi informé ses followers de la fin de sa romance avec son compagnon, et y publie des photos de sa petite fille. Son compte Facebook est utilisé d’une manière apparemment proche des gens ordinaires. Il y a les selfies et les interviews qu’elle accorde à diverses émissions de télévision. Pour donner une touche plus personnelle à son travail, elle a lancé une rubrique qu’elle appelle « Gli appunti di Giorgia » (« Les notes de Giorgia ») où elle se met en scène à la façon d’une présentatrice de journal télévisé, pour vanter les succès de son gouvernement.

Cependant, à la fin du mois de mai, pendant la campagne des européennes, elle a rebaptisé sa rubrique « Telemeloni ». L’expression a d’abord été popularisée par l’opposition pour désigner la surexposition médiatique de la première ministre sur les chaînes de la télévision publique (RAI). Meloni s’est appropriée ce néologisme et l’a fait sien, une technique de communication consistant à changer la signification et à recontextualiser des termes utilisés par d’autres. Sur un ton à la fois accusateur et victimaire, Meloni reproche à la « gauche », terme qui désigne vaguement l’opposition et qui est utilisé dans un sens péjoratif depuis les années 1990, de s’être appropriée la télévision. C’est, en réalité, faire peu de cas de l’énorme conflit d’intérêt qu’a connu l’Italie avec un premier ministre qui possédait trois chaînes de télévision, mais aussi de nombreux journaux. Si quelqu’un s’est approprié les médias en Italie, ce n’est certainement pas la gauche, mais un certain Silvio Berlusconi.

Une marque de fabrique

Récemment, la télévision publique, et en particulier la troisième chaîne de la RAI, a été confrontée à une censure visant l’écrivain et universitaire Antonio Scurati. Lors d’une émission, Scurati devait prononcer un monologue de quelques minutes à la mémoire de Giacomo Matteotti, député socialiste tué par le fascisme, dont on célèbre cette année le centenaire de l’assassinat. Quelques heures avant le début de l’émission, le discours avait été annulé, à la grande surprise de la présentatrice qui n’en n’avait pas été informée. La RAI n’a pas donné de raison officielle à cette annulation, ses responsables évoquant de vagues raisons éditoriales. L’intervention avait une signification commémorative, puisqu’elle devait être diffusée quelques jours avant le 25 avril, jour où l’Italie célèbre la libération du nazisme. Meloni a minimisé l’enjeu en affirmant qu’il y avait déjà assez de problèmes en Italie et qu’il n’y avait pas lieu de s’attarder à ces subtilités, affirmant, dans un post Facebook, que la télévision publique avait en fait refusé de payer 1.800 euros à Scurati pour quelques minutes de monologue. Par la suite, cette version des faits a été démentie par la révélation, dans divers journaux télévisés, d’échanges de courriels entre des responsables de la RAI. Dans le même post, elle a ensuite publié le texte intégral du discours de Scurati, afin de nier une quelconque censure. Cette fois encore, la stratégie est la même : jouer la victime en publiant un post Facebook dans lequel on s’approprie et on change la signification d’un texte d’autrui.

Meloni fait de cette stratégie de communication axée sur la victimisation une véritable marque de fabrique, qui ne fait que prolonger (pour l’instant) l’effet de nouveauté qu’apporte une première ministre femme et d’extrême droite.


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