Prenant en compte différents événements ayant récemment occupé l’espace médiatique national et international, l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg (AAPL) souhaite à travers cet article s’attarder sur la question des droits d’auteur, ainsi que les implications de ceux-ci sur la profession d’artiste visuel-le.

C comme copyright, un symbole en apparence bien innocent, mais qui recèle de nombreux enjeux : dans sa lettre ouverte, l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg fait part de ses inquiétudes concernant les droits d’auteur des artistes au Luxembourg. (Copyright: Old Photo Profile, CC BY 2.0)
Les droits d’auteur, ainsi que les droits voisins, sont encore peu connus dans le domaine culturel et artistique. Ce sont, tout d’abord, bien des droits et non un seul et unique droit : les droits moraux protègent le lien privilégié existant entre l’auteur-e et son œuvre, tandis que les droits patrimoniaux visent l’exploitation de celle-ci. Il s’agit de droits non négligeables qui permettent de protéger l’artiste de toutes formes de plagiat et de réclamer à un tiers une compensation financière en vue de l’exploitation d’une œuvre. L’AAPL trouve donc important de communiquer à ce sujet afin de sensibiliser un plus large public et d’émettre certaines inquiétudes.
Que dit la loi ?
Au Luxembourg, le régime des droits d’auteur et des droits voisins est principalement réglementé par la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données. Cette loi pose les conditions de protection par les droits d’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique, qui sont celles de « la mise en forme de l’œuvre » (ce qui la distingue d’une simple idée) et de l’« originalité » de l’œuvre. Si ces conditions sont remplies, la protection des droits d’auteur et des droits voisins intervient automatiquement et n’est donc sujette à aucune formalité d’enregistrement ou autre démarche administrative. Il faut uniquement pouvoir justifier de la date de création de l’œuvre.
Selon l’article 3 de cette loi, les droits d’auteur comprennent le « droit de reproduction », qui accorde notamment à l’auteur-e « le droit exclusif d’autoriser l’adaptation, l’arrangement ou la traduction de son œuvre » et de s’opposer à toute copie non autorisée de celle-ci. Afin de pouvoir exploiter une œuvre appartenant à autrui, il faudra ainsi obtenir au préalable l’autorisation de son auteur-e.
Le critère de l’originalité
D’après la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, une œuvre est protégée par les droits d’auteur du moment qu’elle possède un caractère suffisant d’« originalité ». Une œuvre est donc d’office protégée par les droits d’auteur, par le simple fait d’avoir été créée et d’être originale. Elle ne nécessite donc, comme on a tendance à l’imaginer, aucune formalité administrative et légale.
Le critère de l’originalité, nécessaire à l’acquisition de ces droits, renvoie à « l’individualité, la personnalité, l’intelligence, le goût, le style et le savoir-faire » de l’auteur-e de l’œuvre. Au vu de son caractère subjectif, l’originalité reste donc un critère difficile à définir, tel que l’on a pu le constater dans un récent procès opposant l’artiste luxembourgeois Jeff Dieschburg à la photographe singapourienne travaillant aux États-Unis Jingna Zhang.
Afin de reprendre brièvement les faits, Jeff Dieschburg avait exposé un diptyque de peintures sur toile à la Biennale d’art contemporain de Strassen, pour lequel il avait obtenu un prix, dont un des deux tableaux reprenait nettement une photographie de Jingna Zhang. Alertée par deux artistes de l’existence de cette peinture, Jingna Zhang avait intenté une action en justice, réclamant à Jeff Dieschburg la cessation de toute reproduction de la photographie concernée.
Il a dès lors appartenu au tribunal de se prononcer sur l’existence d’une éventuelle violation des droits d’auteur que l’artiste détiendrait sur sa photographie. Afin de pouvoir se prononcer sur cette question, le tribunal a vérifié si Jingna Zhang détenait bien des droits d’auteur sur sa photographie, par application des critères de la loi précitée. Le 7 décembre 2022, le tribunal a conclu que l’originalité de la photographie ne serait pas démontrée, de sorte qu’elle ne saurait tomber sous la protection des droits d’auteur.
Une certaine méconnaissance de la pratique artistique contemporaine
Dans les extraits de la décision prise par tribunal, on peut lire : « S’il est vrai que la personnalité du photographe peut se révéler par les choix effectués dans la mise en scène de la photographie et en particulier sur les accessoires, voire la pose, encore faut-il que la pose présente une originalité particulière, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle est influencée par des tableaux connus et que la personne se trouve dans un environnement banal. »
Un tel jugement semble peu en accord avec nos pratiques et notre manière d’appréhender une œuvre. Le tribunal semble reprocher à la photographie de Jingna Zhang un manque d’originalité – celle-ci se serait inspirée de peintures d’œuvres picturales datant du 19e siècle –, négligeant le principe de reconstitution comme acte photographique auquel ont recours de nombreux artistes-photographes, tels que Cindy Sherman, Carla van de Puttelaar ou Christian Tagliavini. Beaucoup de photographes-auteur-es s’inscrivent dans des traditions picturales, s’inspirant de codes formels en lien avec des courants anciens en peinture. On peut aussi remarquer dans ce cas bien précis que la photographe a fait poser un modèle asiatique, rompant ainsi clairement avec les codes esthétiques de l’époque préraphaélite qui a inspiré cette œuvre, cherchant ainsi à décoloniser son sujet.
On peut se demander si une peinture aurait été considérée différemment par les juges, car plus classiquement « originale » dû au geste de peindre, bien que dans la loi il soit clairement stipulé qu’aucune différence ne devrait être faite au niveau des « genres » utilisés.
Cette décision du tribunal démontre bien à quel point l’interprétation du critère de l’« originalité » d’une œuvre est assez vague et subjective, laissée à l’appréciation des juges. Aux yeux de l’AAPL, cette subjectivité peut mener à de mauvaises interprétations, préjudiciables aux artistes. Nous plaidons dès lors en faveur d’une précision par la loi de ce qui est à entendre par le critère de l’originalité d’une œuvre, afin de pallier certains manquements en ce qui concerne la protection des œuvres.
On peut lire également dans l’extrait de la décision que « Jeff Dieschburg a soumis au tribunal de nombreuses copies de peintures et photographies illustrant des poses très similaires à celle prise sur la photographie litigieuse », afin de démontrer que la photographie, ainsi que la pose du modèle de Jingna Zhang sont banales car réalisées par de multiples autres individus. Nous ne connaissons pas ces peintures et photographies, mais nous supposons que la plupart sont le fruit du travail d’auteur-es qui pensent et qui créent, et non de simples copistes. Avec tout le respect que nous avons pour cette pratique, la démarche n’est pas comparable. Il nous semble important de connaître la source de ces œuvres et l’implication des artistes, et de ne pas considérer ces productions artistiques comme interchangeables.
Il nous semble également dangereux de comparer superficiellement des œuvres par leur simple ressemblance. Google a rapporté en 2020 qu’environ 28 milliards de photos et de vidéos avaient été téléchargées sur son service toutes les semaines et que plus de 4 milliards de photos étaient stockées sur ses serveurs. On peut en déduire que cela devient fondamentalement difficile d’être « unique ».
Nous nous prononçons aussi en faveur d’un tribunal spécialisé en matière de propriété intellectuelle, qui détiendrait assez de connaissances en matière de création artistique, d’histoire de l’art et de propriété intellectuelle afin de rendre les jugements les plus adéquats autour de tels litiges. Il serait intéressant de penser à une commission constituée de professionnel-les du secteur (artistes, historien-nes d’arts, commissaires d’exposition).
Il est aussi important de mener une réflexion profonde sur la façon de protéger les droits d’auteur dans un monde surchargé d’images, d’autant plus accessibles. L’AAPL compte également proposer des formations aux artistes afin qu’ils puissent mieux cerner les enjeux légaux et juridiques.
La nature commerciale et dirigée d’une œuvre
Notre association a pu constater une certaine confusion auprès de certains artistes, qui pensent qu’une œuvre créée dans un « cadre publicitaire et commercial » ne peut bénéficier de droits d’auteur.
Il nous semble bon de rappeler que le caractère publicitaire et la nature commerciale d’une œuvre n’enlèvent en rien l’existence de droits d’auteur. Ces droits restent généralement auprès de l’auteur-e, mais il se peut cependant qu’une cession ou licence contractuelle des droits d’auteur ait été signée avec le ou la commanditaire du projet. Selon la loi modifiée du 18 avril 2001, une œuvre correspond à « toute réalisation intellectuelle originale », peu importe son genre, sa forme d’expression, son mérite ou sa destination.
Et dans le contexte d’une « œuvre dirigée » lors d’une élaboration collective, selon l’article 6 de la loi – sauf disposition contractuelle contraire –, la personne physique ou morale sous le nom de laquelle l’œuvre dirigée a été divulguée est « investie à titre originaire des droits patrimoniaux et moraux d’auteur sur cette œuvre ». Ce qui peut rassurer un certain nombre de photographes, vidéastes ou performeurs-euses, etc.
Une méconnaissance générale des droits d’auteur
À travers son travail, l’AAPL a pu constater une méconnaissance assez générale au Luxembourg des droits d’auteur et des droits voisins, ainsi que de leurs conditions d’application. Il est cependant important de connaître et de comprendre les notions et termes principaux des droits d’auteur afin de savoir protéger une création et de mener les négociations adéquates avec toute personne désirant exploiter une œuvre.
Des membres de l’AAPL nous signalent d’ailleurs que des commanditaires sont parfois amené-es à penser que le paiement d’une rémunération à l’auteur-e d’une commande implique d’office une cession implicite des droits d’auteur. Ce n’est pourtant souvent pas le cas, et tout dépend des termes du contrat signé entre les parties.
L’AAPL espère que la médiatisation du procès Dieschburg-Zhang pourra apporter une certaine prise de conscience au sein de la société de l’importance des droits d’auteur. Il nous faut petit à petit créer une « culture du droit d’auteur ».
Une Sacem pour les arts visuels ?
Les droits d’auteur existent afin de protéger la création, mais servent également de sources de revenus pour les artistes visuel-les. L’AAPL est en train de mettre en place un guide de bonnes pratiques et des outils pour les professionnel-les ainsi que pour les usagers-ères concernant ces droits.
L’association aimerait également réfléchir au développement d’une structure semblable à la Sacem, une société privée à but non lucratif ayant pour mission principale d’assurer la collecte et la répartition des droits dus à ses membres, au titre de la diffusion des œuvres. Mais qu’en est-il des arts visuels ? Malgré de nombreux accords multilatéraux et d’harmonisation de droits, nous constatons qu’il y a un véritable manque à combler.
L’ère de l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle se déploie dans notre quotidien, avec des outils performants, désormais disponibles pour un large public, remettant fortement en question la notion d’« auteur-e ». ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer), un modèle de traitement du langage naturel développé par OpenAI, a été lancé en novembre 2022 et a fait la une des journaux avec un certain nombre de craintes. Il fait partie de ces intelligences artificielles dites « génératives », qui créent des contenus en analysant des milliards de textes et images existants. Des outils comme DALL-E 2 et Midjourney permettent ainsi de créer des images à partir de descriptions étayées sous format texte, utilisant la masse colossale de données disponibles.
Ces algorithmes s’inspirent d’œuvres originales existantes. Qui détient les droits d’auteur dans ce cas ? Est-ce la machine, le concepteur du programme, qu’en est-il des milliards d’auteur-es des images sources employées ? Il n’y aura bientôt plus besoin de créateurs-trices et d’artistes avec le pool d’images disponibles dans le monde. Le cas de Joe Avery, récemment dans les médias, est révélateur de tels changements. L’artiste, qui avait créé le buzz sur Instagram avec ses portraits immaculés, vient d’avouer qu’il les avait en fait réalisés grâce à Midjourney, le programme ayant synthétisé les œuvres de millions d’artistes.
On voit que l’IA porte des atteintes à la création artistique, et nul ne sait l’incidence qu’elle aura sur l’économie de la création et le fait même de créer. Ces développements technologiques devraient pousser le législateur à une révision de la loi sur les droits d’auteur et les droits voisins au plus vite.
Le consentement
Finalement, l’AAPL souhaite soulever l’importance de la recherche du consentement auprès d’un-e artiste avant d’en exploiter l’œuvre. Il arrive trop souvent que nos membres ou autres artistes nous fassent part du fait que leur œuvre a été copiée, publiée, exploitée – commercialement ou non – sans qu’aucune requête ne leur ait été formulée. Il s’agit souvent de gestes anodins : une photographie exposée est rephotographiée afin d’être imprimée ; une image est « empruntée » à un site web ; une photo dont les droits ont été octroyés dans le cadre d’un projet spécifique est utilisée plus tard dans un tout autre cadre, etc.
Par exemple, à l’échelle internationale, nous avons actuellement le différend entre la maison de luxe LVMH et la fondation Joan Mitchell, la première s’étant permis d’utiliser une œuvre de l’artiste dans le cadre d’une campagne publicitaire sans l’accord de la seconde. La directrice de la fondation s’est dite « sidérée que Louis Vuitton ait décidé de ne pas tenir compte de ces refus ». LVMH s’est emparé de l’œuvre afin d’arriver à ses fins, un acte violent.
L’AAPL estime que le consentement devrait constituer une obligation morale pour toute personne désirant exploiter l’œuvre d’un-e auteur-e. Il semble facile d’en conclure que s’approprier une œuvre sans en demander la permission ne soulève aucun réel enjeu. Mais, au contraire, la violation de droits d’auteurs est punissable au niveau civil et pénal.
Nous aimerions encourager toute personne souhaitant utiliser l’œuvre d’autrui à se livrer à la recherche de l’artiste concerné-e. Ce simple geste permettrait de discuter d’une rémunération ou de sa possible exemption, et ainsi de ne pas mettre l’artiste devant le fait accompli, évitant de cette manière tout plagiat ou contrefaçon.
Fondée en 2013 et conventionnée auprès du ministère de la Culture depuis 2018, l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg (AAPL) vise le dialogue et l’échange entre artistes. Elle a également pour mission de représenter et de défendre les intérêts matériels et moraux ainsi que les droits sociaux de la profession et ceux de ses membres, à travers un travail de consultation et de plaidoyer auprès des autorités nationales et autres organisations compétentes. Ce travail de professionnalisation du secteur se fait également à travers la gestion et la mise à disposition d’ateliers à prix abordables. La lettre ouverte intégrale est disponible sur www.aapl.lu