La Commission européenne est en train d’élaborer une législation qui devrait mener les industriels à veiller à la traçabilité des minerais qu’ils utilisent, afin d’éviter que ceux-ci ne viennent de régions de conflits ou soient le produit d’une exploitation inhumaine. Le woxx a rencontré le président de la Commission épiscopale des ressources naturelles du Congo (CERN).
woxx : Pourquoi un représentant de l’Église catholique doit il s’occuper de questions d’extraction de minerais ? Les économistes et les politiques ne font-ils pas leur travail ?
Fridolin Ambongo : L’État chez nous est en faillite. L’Église catholique, comme les autres confessions, est un peu perçue comme la voix du peuple. Dans ce sens, nous sommes ici non pas comme Église, mais comme porte-parole de notre peuple qui souffre. Dans le contexte actuel, l’extraction de minerais est devenue une source de malheur pour le peuple. Il y a deux catégories d’extraction. La première est celle réalisée par les grandes compagnies minières qui ont signé des contrats avec l’État congolais. Malheureusement, ces contrats sont en défaveur de celui-ci, car ils ont été signés pendant la guerre. Le peu d’argent que les compagnies paient à l’État passe dans les poches des grands dirigeants, comme nous vivons dans un système de corruption généralisée. Ce type d’extraction ne participe donc pas au développement de notre pays. La deuxième catégorie est l’exploitation artisanale. Ce sont des conditions de travail extrêmement dures, extrêmement inhumaines. Les gens qui y travaillent gagnent très peu, parce que le bénéfice qu’ils auraient pu faire est réparti entre les intermédiaires et les bandes armées qui surveillent tout.
La politique européenne en la matière ne vous donne à ce stade pas satisfaction. Pourquoi ?
Quand nous avons appris que l’Europe avait pris l’initiative de préparer une loi, un peu sur le modèle de la loi américaine Dodd-Frank, nous avons applaudi des deux mains. Seulement, la Commission a proposé une loi basée sur le volontariat qui ne comporte pas de dimension contraignante pour les entreprises. Nous nous posons, comme d’ailleurs le Parlement européen, la question suivante : une loi, si elle repose sur le volontariat, est-elle encore une loi ? Nous demandons que celle-ci soit contraignante pour toutes les entreprises impliquées dans le processus de production – pas seulement pour les raffineries et fonderies en amont, mais jusqu’aux sociétés qui commercialisent par exemple des GSM ou des ordinateurs portables. Nous sommes restés sur notre soif, parce que nous avons le sentiment que beaucoup de gouvernements occidentaux penchent du côté des grandes sociétés qui veulent une approche d’autorégulation. Or une loi contraignante ne signifie pas nécessairement que les compagnies vont y perdre, si elles doivent toutes se conformer à un environnement clair, transparent et éthique.
Une loi contraignante ne signifie pas nécessairement que les compagnies vont y perdre, si elles doivent toutes se conformer à un environnement clair, transparent et éthique.
Vous exigez une « diligence raisonnable » de nos acteurs politiques. Quel devrait être leur rôle ?
Nous nous basons sur la notion de responsabilité qui n’est pas seulement individuelle mais aussi sociétale, autour de valeurs humaines. Cette loi en gestation ne donnera des résultats que si elle est contraignante. Elle aidera alors chacun, à son niveau de la chaîne d’approvisionnement, à savoir que ce qu’il a en main vient bien d’une zone de non-conflit.
Pourquoi ne croyez-vous pas à une régulation volontaire des industries en cause ?
Les changements de comportement de certaines entreprises que nous observons se font sous la pression de la loi américaine, qui elle est contraignante. Une loi sur le modèle Dodd-Frank au niveau européen amplifierait cette évolution. En effet, on pourrait alors enfin élargir les contrôles.
Quel est le message que vous avez apporté au gouvernement luxembourgeois ?
Nos entretiens ont justement porté sur l’évolution de ce dossier législatif et la responsabilité du Luxembourg qui assure la présidence du Conseil européen. La loi a été posée en termes contradictoires entre la Commission qui veut une loi basée sur le volontariat et le Parlement européen qui a proposé une loi contraignante. On s’achemine vers un trilogue Commission-Parlement-Conseil (procédure de conciliation informelle, ndlr) pour trouver une position commune. Comme le Luxembourg préside le Conseil, il a l’initiative de proposition. Nous sommes venus pour lui permettre de jouer son rôle : ne pas rester sensible uniquement aux voix des grandes compagnies, mais aussi prendre en considération la souffrance de nos peuples – comme l’a fait le Parlement européen.
Et quel est le feedback que vous avez pu recevoir ?
Bon, ce sont des politiciens. Ce qu’ils disent est une chose, mais nous ne savons pas exactement ce qu’ils feront. Le Luxembourg est partagé entre sa position en tant que pays et son rôle de président du Conseil. À ce niveau, on nous a signalé qu’il doit faire la synthèse entre les positions des différents États membres. Si cela penche dans une direction, c’est sur cette piste qu’il poursuivra. Mais la volonté d’arriver rapidement à une position pour pouvoir entamer la discussion au niveau du trilogue semble toujours exister. Notre souhait serait que le peuple européen, qui s’est déjà exprimé à travers le Parlement européen, maintienne la vigilance autour de ce processus, car c’est une loi qui donne beaucoup d’espoir à nos peuples.
Mais est-ce qu’il n’est pas alors un peu triste de devoir constater que le Parlement européen ne semble pas faire le poids ?
Nous continuons à espérer que l’Europe soit une vraie démocratie qui écoute la voix de son peuple. Mais les gouvernements jusque-là nous donnent l’impression d’être plus sensibles aux arguments des grandes compagnies. Le trilogue donnera l’occasion d’observer que l’Europe est cette vraie démocratie à laquelle nous croyons.
Fridolin Ambongo est évêque de Bokungu-Ikela (République démocratique du Congo) et président de la Commission épiscopale des ressources naturelles du Congo. Il est cosignataire d’un appel de 143 dirigeants de l’Église catholique pour « un devoir de diligence sur la chaîne d’approvisionnement afin de ne plus être complice du financement des conflits ».
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