Miriam R. Krüger : « On ne combat pas la violence avec la violence »

Depuis 2016, l’artiste et poète Miriam R. Krüger coordonne l’initiative « Toutes et tous uni.e.s dans un même cri » – un projet artistique qui sensibilise à la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans les semaines à venir, vous découvrirez des textes choisis par l’équipe du woxx. La série commence par une interview avec Miriam R. Krüger sur le projet.

Photo : Paulo Lobo

woxx : Vous avez lancé le projet artistique « Toutes et tous uni.e.s dans un même cri » en 2016. Quelle était votre motivation pour ce recueil de textes sur les violences faites aux femmes ?


Miriam R. Krüger : Je m’engage dans la lutte contre les violences faites aux femmes depuis dix ans. Depuis 2011, j’ai eu l’opportunité de le faire à travers mon art : en Espagne, j’ai participé à l’exposition collective « Mujeres vistas por Mujeres » (regard des femmes sur les femmes, ndlr), et au Luxembourg j’ai publié mon recueil de poèmes « Ego », que j’ai dédié aux femmes victimes de violence. De plus, j’organise depuis 2011 de façon bénévole le festival culturel « Cri de femme » – un festival culturel international gratuit pour rendre hommage aux victimes de violence. En 2016, j’ai organisé une exposition privée dans le cadre de l’ouverture d’une nouvelle maison de refuge pour des femmes en détresse. Rendre visibles les violences faites aux femmes est une affaire de cœur. C’est pourquoi en 2016 j’ai lancé « Toutes et tous uni.e.s dans un même cri ».

« Violence » est un mot qui a beaucoup de significations. De quelle forme de violence parle votre art ?


Si je dis violences faites aux femmes, je ne pense pas qu’à la violence conjugale ou domestique. Je parle de tous types de violence : au travail, dans la rue… La violence, ce n’est pas que les bleus, mais aussi la violence psychologique au travail, par exemple. La violence psychologique détruit les personnes, même si on ne la voit pas. Combattre toutes formes de violences faites aux femmes – que ce soit dans le milieu privé ou dans le milieu professionnel ou sociétal –, c’est ma lutte.

En quoi « Toutes et tous uni.e.s dans un même cri » diffère de vos autres projets contre les violences faites aux femmes ?


Je veux donner la parole à tout le monde. Les textes publiés ne sont pas que des mots de personnalités publiques, mais aussi ceux des femmes au foyer, des éducatrices, des artistes, des femmes retraitées – il faut donner la même importance à toutes ces voix. Que dirait-on si on avait la possibilité de parler des violences faites aux femmes ouvertement ? Il y a beaucoup de personnes qui aimeraient s’exprimer, mais qui sont privées de la visibilité nécessaire.

Comment le projet s’est-il développé au cours des années ?


Au début, j’ai contacté mes connaissances, puis le projet est devenu de plus en plus public. J’ai reçu des textes plus engagés et plus longs. J’ai créé un blog où on peut lire les textes intégraux et j’ai publié des vidéos sur ma chaîne YouTube avec des extraits. Sur le site web du projet, j’ai rassemblé des informations utiles pour les victimes et leurs proches. Je jette des bouteilles à la mer en espérant qu’elles arrivent quelque part.

Les textes publiés sont multilingues.


Oui, ils le sont depuis le début. Je veux que ce soit un projet ouvert qui reflète les langues parlées au Luxembourg. Je reçois des textes en luxembourgeois, anglais, espagnol, allemand, italien… Je les traduis si nécessaire. Pour les autrices et les auteurs, c’est plus facile de s’exprimer dans leur langue maternelle.

Est-ce que les groupes linguistiques parlent du sujet différemment ?


La différence consiste dans l’utilisation de la langue. Le message principal est le même. Je suis émue par les messages, par toutes les voix différentes.

Refusez-vous des textes ?


Normalement non. Je n’ai refusé qu’un seul texte. C’était un texte violent. Je veux passer notre message sans mépriser les auteurs et les autrices de violences. Il y a des services pour eux et pour elles, des spécialistes pour les aider. On ne combat pas la violence avec la violence. Je comprends qu’on soit fâché, mais je me sens aussi responsable des textes que je publie. Je veux garder le respect des autres. La personne concernée a compris ma position, mais elle ne trouvait pas d’autres mots pour parler de la violence et a donc retiré sa participation.

Combien de textes avez-vous reçus au cours des derniers mois ?


Depuis janvier jusqu’à maintenant : 15. En 2016, la vidéo durait 16 minutes. Le dernier montage que j’ai publié en novembre 2020 sur YouTube dure 27 minutes. En tout, je compte 200 participations depuis le début du projet. C’est un projet qui ne se terminera jamais.

Photo : Yves Géraud

Est-ce que les premiers textes sont toujours accessibles sur votre site ?


Oui. Je donne la même importance à tous les textes en les publiant sur la page Facebook, sur le blog et sur ma chaîne YouTube. Il n’y a pas de date d’expiration. Les nouvelles publications ne font pas glisser les premiers textes dans l’oubli. Moi, ça me touche de voir ce recueil grandir. Surtout parce que ce n’est pas évident d’avoir une réponse positive.

Dans quel sens ?


Tout le monde est contre la violence, mais au moment où on demande une prise de position publique, les gens ne trouvent pas les mots. Il faut du courage. Souvent les personnes ne répondent pas à mes appels ou préfèrent rester à l’écart. Il est plus facile de soutenir quelque chose en cachette. Parfois, cela m’a découragée, mais j’ai repris le travail parce que je suis convaincue que tout message contre la violence est important.

Pour les victimes de violence, c’est sûrement difficile de verbaliser leurs expériences. 


Les victimes se sentent souvent seules. Je veux montrer qu’elles ne le sont pas. Il y a quelqu’un qui les écoute. J’ai remarqué que les personnes qui ont participé au projet se sont soutenues mutuellement. Ce travail de sensibilisation est important.

Quel rôle y jouent les arts en général ?


Les arts permettent un travail de sensibilisation plus discret. Il est plus facile d’aller voir une soirée de poésie, de musique ou une exposition que de consulter une organisation sociale. À travers les arts, on a une autre façon de parler de la violence. C’est aussi plus facile d’aider une victime de violence par les arts – le message passe plus facilement. On ne se sent pas si agressé que par un débat politique.

Avez-vous l’impression que la situation a changé au niveau politique depuis 2011 ?


J’ai vu naître petit à petit des organisations qui luttent contre les violences faites aux femmes. J’ai l’impression que la sensibilité est plus forte maintenant. Il est plus facile de contacter les organisations, car elles sont plus visibles. Quand j’ai commencé mes projets, je me sentais seule. Il n’y avait pas trop d’initiatives. En 2021, mon projet n’est plus un cas isolé. Les choses ont commencé à bouger, par exemple aussi à travers la grève des femmes. C’est un plaisir de voir de nouveaux liens dans la société.

Qu’en est-il de la participation des hommes dans la lutte contre les violences faites aux femmes ?


La violence contre les femmes n’est pas un problème de femmes – c’est un problème de société. Le projet n’a rien à voir avec la haine des hommes ou avec le féminisme. Les services et les institutions créés pour aider les victimes ne sont pas seuls à devoir lutter contre la violence. C’est aussi la responsabilité des citoyennes et des citoyens.

« Toutes et tous uni.e.s dans un même cri » contient cependant aussi des textes écrits par des hommes. Est-ce que vous avez remarqué des approches différentes entre les sexes ?


La seule différence est peut-être la façon de s’exprimer. Chacun a ses propres mots, mais l’essence du message est plus ou moins la même.

Dire « stop ! » à la violence semble donc réunir une bonne part de la société, indépendamment des langues et du genre.


Il faut qu’on crie ensemble, qu’on dise « stop ! » ensemble. Le silence est un signe problématique, d’indifférence. Je ne sais pas où ce projet va m’emmener, mais je sais que je ne vais pas laisser des voix sur le côté. Il faut libérer toute voix qui vient vers moi.

L’artiste Miriam R. Krüger pratique l’écriture poétique et les arts plastiques. Elle expose ses œuvres au cours d’exposition personnelles et collectives entre autres en Espagne, en Allemagne, en France et au Luxembourg. Elle est poète ambassadrice au Luxembourg pour le mouvement Femmes poètes international depuis 2011. En 2019, elle a représenté le grand-duché lors des événements du Printemps des poètes organisés au Luxembourg. La violence contre les femmes joue un rôle important dans son travail, comme dans son recueil de poèmes « Ego » (autoédition, 2011) ou son festival artistique « Cri de femme » (depuis 2011). En 2017, elle a organisé un atelier avec un groupe du Meederchershaus − refuge pour jeunes filles. Le travail réalisé, un livre d’artiste, a été exposé dans le cadre du 20e anniversaire du Meedesrchershaus à Neimënster, comme la série de dessins « Big Little Girl in the Big World ». Dans « Toutes et tous uni.e.s », Krüger rassemble des textes de genres différents. Les autrices et les auteurs sont des personnes privées, mais aussi des écrivain-e-s connu-e-s comme Carla Lucarelli, Francis Kirps, Guy Helminger ou James Leader.


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