La « marée populaire », mobilisation conjointe de certains syndicats, de la société civile et de la gauche politique, n’était pas le raz-de-marée espéré. Alors que le mouvement social actuel entre dans sa phase décisive, il semble s’essouffler.
« Un petit quotient de marée », a ironisé le premier ministre Édouard Philippe à propos des manifestations appelées « marée populaire » qui ont eu lieu samedi 26 mai. Et en effet, si elles n’étaient pas un échec, elles n’étaient pas de véritables marées non plus. À l’appel de plus de 80 organisations, un peu plus de 200.000 manifestant-e-s, dont 80.000 à Paris selon les organisateurs, auraient déferlé dans toute la France.
Une fois n’est pas coutume, la CGT (Confédération générale du travail) et la France insoumise avaient pour la première fois lancé un appel commun. Sud, syndicat qualifié de « révolutionnaire », la FSU (Fédération syndicale unitaire), premier syndicat de la fonction publique, ainsi que les anarchistes de la CNT (Confédération nationale du travail) s’étaient joints à l’appel, tout comme des organisations de la société civile – Attac et la Confédération paysanne entre autres – ou encore le mouvement « Génération.s » lancé par Benoît Hamon. Les syndicats plus réformistes, dont la CFDT (Confédération française démocratique du travail) ou encore FO (Force ouvrière) avaient préféré s’abstenir et renvoyer vers l’indépendance des syndicats vis-à-vis de tout parti politique.
Partout en France, des cortèges de plusieurs centaines à plusieurs milliers de manifestant-e-s ont donc eu lieu. Mis à part quelques échauffourées à Paris ou encore à Nantes, l’ambiance y était plutôt bon enfant en général.
C’était le cas à Metz, où environ 1.500 personnes s’étaient retrouvées sur le parvis de la gare à 14h30. Au son des sempiternelles chansons révolutionnaires, du « Hasta siempre, Comandante » nostalgique au « On lâche rien » obligatoire, le cortège s’était mis en branle, camion et drapeaux CGT en tête, suivis par les groupes et groupuscules de la gauche radicale, de Lutte ouvrière à la CNT en passant par le Parti ouvrier indépendant démocratique (POID). Suivis par des militant-e-s pour les droits des migrant-e-s, puis par un bloc relativement important de la France insoumise, la « marée » avait fait le tour du centre-ville de Metz, au grand plaisir des badauds et des quelques dizaines de touristes allemands longeant le cortège en petit train touristique.
Si les militant-e-s de la France insoumise s’étaient employé-e-s à la rendre plus festive, notamment avec du théâtre de rue, le reste de la manifestation restait tout de même relativement classique. Seules les traditionnelles merguez avaient été remplacées par des gâteaux.
« C’est nous on braque Paris »
À 300 kilomètres de là, à Paris, la manif était tout aussi modeste – du moins relativement –, mais a tout de même été le théâtre d’un nouveau moment dans les mobilisations de gauche : quelque 6.000 militant-e-s issu-e-s des banlieues ont, à l’appel de collectifs contre la violence policière, pris la tête du cortège. Derrière une banderole reprenant les paroles d’une chanson de rap « C’est nous on braque Paris », ils et elles se sont invité-e-s sur le devant de la scène et ont fait le choix d’imposer « leurs » sujets, tels que les violences policières, l’exclusion sociale et le racisme.
Néanmoins, la « marée » n’était pas le succès escompté. Et même si Jean-Luc Mélenchon, leader pour le moment incontesté de la France insoumise, s’est dit satisfait de la mobilisation et a promis que « la marée fera des petits », on est loin d’un raz-de-marée populaire. Et la « convergence des luttes », objectif déclaré des syndicats dits révolutionnaires et de leurs relais en politique, apparaît de plus en plus comme un objectif lointain.
Plusieurs raisons à cela. Premièrement, Emmanuel Macron, même s’il est déjà fortement contesté, bénéficie encore d’un certain crédit de confiance : « Laissons-le faire et tranchons ensuite », voilà la devise. Ensuite, les mobilisations syndicales actuelles – pour lesquelles la « marée populaire » aurait dû faire figure de soutien – ont toutes un caractère plus ou moins corporatiste.
Entre les cheminots largement perçus et décriés comme « privilégiés » – même si les « privilèges » en question sont dérisoires face à ceux dont bénéficient d’autres groupes sociaux – et le personnel d’Air France, relativement bien payé, difficile de faire comprendre à de larges franges de la population que soutenir leurs luttes, c’est aussi défendre un certain modèle social.
Le mouvement étudiant contre la sélection à l’accès à l’université, qui aurait pu être l’étincelle qui allait embraser le pays, n’a, jusqu’ici, pas réussi à prendre de l’ampleur. Ni la répression policière contre les occupations de facultés ni même l’énorme frustration des élèves passant le bac qui se sont retrouvée-s sur les listes d’attente pour la filière qu’ils avaient choisie n’ont réussi à donner un nouveau souffle à un mouvement qui s’étiole et qui, à l’approche de l’été, risque de toute façon de bientôt s’éteindre.
Beaucoup dépendra de l’attitude de la CFDT
Le même sort pourrait attendre le mouvement des cheminots – même si le dernier mot n’a pas encore été dit. Avec le vote du projet de loi de la réforme au Sénat le 5 juin, le gouvernement et la direction de la SNCF espèrent que le conflit entrera dans sa phase finale.
Mais la CGT, en la personne de Laurent Brun, secrétaire général de la fédération des cheminots, annonce d’ores et déjà que ce vote ne serait pour elle rien de plus qu’une « formalité » et que, bien entendu, la lutte continuera après. L’intersyndicale des différentes organisations impliquées dans le mouvement doit prendre une décision quant à la suite du mouvement cette semaine. Si tout indique que l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes) pourrait être le premier syndicat à décrocher, beaucoup dépendra de l’attitude de la CFDT – qui dit vouloir rester mobilisée pour le moment.
Le gouvernement tente de son côté de diviser au mieux les syndicats. Ainsi, Édouard Philippe a reçu l’Unsa le 25 mai. Le syndicat réformiste s’est ensuite félicité des résultats d’ores et déjà obtenus – la reprise de la dette de la SNCF à hauteur de 35 milliards d’euros, une augmentation des investissements et une convention collective « de haut niveau social » pour remplacer le statut des cheminots –, mais a aussi estimé que « le compte n’y est pas encore ». Le gouvernement avait par ailleurs cédé sur un point important aux yeux des syndicats réformistes : l’incessibilité de l’entreprise, c’est-à-dire une barrière à toute privatisation, est inscrite dans le projet de réforme.
Le mouvement des cheminots a donc sans aucun doute porté ses fruits. Un référendum organisé parmi tous les cheminots par l’intersyndicale, mais non reconnu par la direction, a néanmoins renforcé les syndicats « de combat » dans leur volonté d’aller jusqu’au bout de leur démarche visant à faire retirer complètement le projet de réforme : avec un taux de participation d’environ 61 pour cent, près de 95 pour cent des cheminots se sont prononcés contre la réforme ferroviaire.
Sans que cela ait le même effet qu’un autre référendum du même genre pour autant… Chez Air France, trois semaines plus tôt, c’était la direction du groupe qui avait organisé un vote parmi les salarié-e-s afin de mettre un terme au conflit social qui perdure, là aussi, depuis plusieurs semaines. Sauf que l’accord salarial soumis au vote a été rejeté par plus de 55 pour cent des salarié-e-s, obligeant le PDG du groupe à démissionner.
Le mouvement s’essouffle
La mobilisation reste cantonnée aux secteurs concernés. Même si la France insoumise comme les syndicats tentent de proposer une grille de lecture qui va au-delà des premiers et premières concerné-e-s en faisant du mouvement actuel le cheval de bataille pour la défense du service public, et donc de ratisser plus large, cela ne suffit pas, pour le moment, à mettre le feu aux poudres.
Contrairement à la loi travail qui avait mobilisé de larges secteurs de la société en 2016 ou encore au « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale de 1995, qui avait dû être en partie retiré suite à une mobilisation d’envergure, les projets de réformes actuels ne parviennent pas à mobiliser tout ce « peuple de gauche » au sein duquel la France insoumise est désormais la force politique hégémonique. Le mouvement social actuel court par conséquent de forts risques de s’essouffler dans les semaines à venir.
Entre stand de la France insoumise, tireuse à bière CGT et tracts du collectif « Bure Stop », c’est sur une note quelque peu festive que s’est terminée la « marée populaire » à Metz. Au son de chants révolutionnaires réinterprétés pour l’occasion par un trio de musiciens proches de la soixantaine, l’événement avait tout d’une petite réunion de famille. À défaut de convergence des luttes et de raz-de-marée populaire, c’était au moins l’occasion de papoter un peu et de boire l’une ou l’autre bière… histoire de prendre des forces pour le prochain grand mouvement social, qui viendra très certainement.
Das könnte Sie auch interessieren:
- Élections législatives en France : La gauche se fera-t-elle voler sa victoire ?
- Face à l’extrême droite : « Nous voulons une France joyeuse »
- Loi immigration en France : Macron ouvre un boulevard pavé d’or à Le Pen
- Après le 1er-Mai : Macron : un dangereux déni de réalité
- Retraites en France : Macron le boutefeu