Mort de Jean-Marie Le Pen : un détail de l’histoire, vraiment ?

Jean-Marie Le Pen est mort, mais l’empire politique familial qu’il a fondé menace plus que jamais la démocratie française, tandis que ses idées nauséabondes prospèrent au-delà des frontières de l’Hexagone.

Mardi soir, place de la République, à Paris, des milliers de personnes ont célébré la mort de Jean-Marie Le Pen. (Photo : EPA-EFE/Teresa Suarez)

Mardi 7 janvier au soir, des milliers de personnes ont chanté, dansé et tiré des feux d’artifice place de la République à Paris ou encore sur le Vieux-Port de Marseille, quelques heures après l’annonce de la mort de Jean-Marie Le Pen, à 96 ans. Depuis, ces célébrations du décès du fondateur du FN sont condamnées par une partie de la classe politique française. À l’extrême droite bien sûr, mais aussi à droite et dans le camp macroniste, où l’on s’insurge que l’on puisse « danser sur un cadavre », fût-il celui d’un ennemi politique. Sans même porter de jugement de valeur, l’on peut au moins convenir que voir des foules se rassembler spontanément pour fêter la mort d’un homme politique est peu courant, sinon tout à fait inédit en France. Cela raconte la détestation que suscitait le chantre de la haine raciale et antisémite chez une partie de la population française, et montre également que celle-ci est loin d’avoir totalement basculé à l’extrême droite, contrairement à ce que s’emploient à claironner les médias de Vincent Bolloré à longueur de journée.

« Jean-Marie Le Pen, un détail de l’histoire » : l’expression fait florès dans les médias de gauche et sur les réseaux sociaux depuis le décès du patriarche de l’extrême droite française. Elle se réfère à la déclaration de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz (« un détail de l’histoire »), en 1987. Et elle rappelle qui était vraiment l’homme qui a cofondé le FN en 1972, aux côtés d’un ancien Waffen-SS, de vichystes et autres membres de l’OAS pendant la guerre d’Algérie, ce conflit où il s’était lui-même distingué en para tortionnaire. Non, Le Pen n’était pas un simple polémiste, comme s’est plu à le décrire le premier ministre français, François Bayrou. Le Pen n’a jamais renié ses racines fascistes. Ses sorties racistes, antisémites, homophobes et injurieuses lui ont valu des dizaines de condamnations en justice.

Même ripoliné avec Jordan Bardella en tête de gondole, le fonds de commerce des Le Pen demeure le même : la haine de l’immigration, l’instrumentalisation de la peur comme carburant politique, le rejet de la démocratie parlementaire, la défense des intérêts des plus riches…

Après avoir présidé le FN pendant près de 40 ans, il avait cédé son fauteuil à Marine Le Pen en 2011. Quatre ans plus tard, elle l’excluait du parti, après qu’il eut réitéré ses propos sur les chambres à gaz dans l’hebdomadaire antisémite « Rivarol ». Un parricide politique pour gagner en respectabilité et dédiaboliser le FN, que la fille rebaptise en Rassemblement national en 2018. Mais même ripoliné avec Jordan Bardella en tête de gondole, le fonds de commerce des Le Pen demeure le même : la haine de l’immigration, l’instrumentalisation de la peur comme carburant politique, le rejet de la démocratie parlementaire, la défense des intérêts des plus riches…

« L’homme est mort, mais le combat continue », ont résumé plusieurs personnalités politiques de gauche. Plus que jamais, est-on tenté d’ajouter. Marine Le Pen a été deux fois finaliste à l’élection présidentielle, et le RN est aujourd’hui le premier parti en nombre de député·es à l’Assemblée nationale, avec 123 élu·es. Le géniteur Jean-Marie Le Pen a engendré un monstre qui se trouve désormais aux portes du pouvoir et qui pourrait bien s’en emparer à la faveur de la prochaine présidentielle, prévue en 2027. Dans ce sens, Jean-Marie Le Pen n’est pas un détail de l’histoire, du moins à court et moyen terme. Le parti qu’il a fondé il y a plus de cinquante ans fut, en outre, la première formation d’extrême droite européenne à placer la haine des immigré·es et de l’islam au centre de son programme, idée qui a largement infusé le débat politique, bien au-delà de son propre camp et des limites de l’Hexagone. Plus que jamais, l’ombre de Jean-Marie Le Pen fait planer une menace sur nos démocraties.

Quant à ceux et celles qui considèrent comme indécente la célébration de son décès, l’on peut leur répliquer par une autre expression qui fait également florès ces derniers jours sur les réseaux sociaux en France. Il s’agit d’une citation de Mark Twain : « Je n’ai jamais souhaité la mort de personne, mais il m’arrive de lire avec plaisir la rubrique nécrologique. » On ne saurait mieux dire.


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