Musique classique : Énergie et mystère


À son arrivée, il avait promis de diriger l’Orchestre philharmonique du Luxembourg dans un opéra. Ce sera « Simon Boccanegra » de Giuseppe Verdi, la semaine prochaine. À cette occasion, le woxx s’est entretenu avec le directeur musical de l’OPL, Gustavo Gimeno.

Gustavo Gimeno à la baguette lors de son dernier concert en date à la Philharmonie, le 17 mars. (Photo : François Zuidberg)

woxx : Vous voilà à mi-chemin de votre deuxième saison à la tête de l’OPL. Quel est votre sentiment sur les objectifs réalisés jusque-là ?


Gustavo Gimeno : Je suis tout simplement fier de ce que nous avons accompli et très motivé par ce qui reste encore à venir. Mais chaque nouvelle étape, chaque nouvelle phase de notre progression demande du temps, même si parfois je me laisse emporter par l’enthousiasme devant les futurs concerts et les futures œuvres que nous ajouterons à notre répertoire.

Vous avez donc prolongé votre engagement jusqu’en 2022.


(Il rit.) Pas seulement pour ça ! Ce qui est certain, c’est que je ne manque pas d’idées pour les années à venir. Très souvent, au bouclage d’une saison, on se dit que certaines partitions qui nous sont chères font encore défaut. Alors pouvoir disposer de temps est, effectivement, un avantage indéniable.

Venons-en à « Simon Boccanegra ». Comment avez-vous choisi cet opéra ?


En fait, pour les opéras, nous travaillons avec le Grand Théâtre, qui a de nombreux contacts pour réaliser des coproductions. C’est le moyen le plus efficace de monter une œuvre lyrique pour nous, même si nous ne contrôlons pas toute la production. Une excellente solution, mais qui demande bien entendu beaucoup de concentration et de travail en l’espace de quelques jours seulement : on dispose de peu de temps avec les solistes, les chœurs et l’orchestre pour se préparer dans un planning déjà serré. Pour cette année, parmi les options qui m’étaient proposées, j’ai choisi « Simon Boccanegra » parce que c’était un des opéras préférés de Claudio Abbado, dont j’étais très proche. J’ai même pu récemment, à la Staatsbibliothek de Berlin, consulter la partition qu’il avait annotée. Et puis musicalement, pour un chef et son orchestre, c’est aussi une partition formidable, très symphonique, avec des moments d’énergie pure et de mystère absolu.

« Pour un chef et son orchestre, c’est une partition formidable et très symphonique. »

« Simon Boccanegra » à l’Opera Vlaanderen, une mise en scène résolument moderne à découvrir bientôt au Grand Théâtre. (Photos : © Opera Vlaanderen/Annemie Augustijns)

Comment présenteriez-vous l’intrigue ?


Mieux vaut ne pas essayer de la résumer, car elle est plutôt complexe et indissociable de la musique. Ce que je peux dire, c’est que d’un point de vue personnel – c’est peut-être mon côté émotionnel qui ressort -, je suis particulièrement attiré par ce qu’elle présente des relations humaines et de la psychologie de ses personnages. Simon Boccanegra perd sa femme et sa fille, puis retrouve cette dernière après des décennies ; cette même fille découvre qu’elle a été élevée par son grand-père sans le savoir ; le grand-père et Simon, qui étaient ennemis, se réconcilient grâce à elle… Il y a beaucoup d’émotion dans cette œuvre, qui en dit long sur comment les circonstances peuvent faire changer un être humain ou comment l’âge peut faire revenir sur des certitudes pourtant bien ancrées.

C’est aussi une parabole politique, par exemple sur la solitude du pouvoir…


Oui, car les partisans qui portent Simon Boccanegra à leur tête n’ont pas forcément des intérêts communs. Une fois installé dans le fauteuil de doge de Gênes, celui-ci doit conjuguer pouvoir et vie privée. Il a une responsabilité envers le peuple, mais il vit aussi un drame personnel. Bien entendu, toute l’intrigue est magistralement écrite, mais on me pardonnera d’insister sur le fait que la partition est tout simplement magnifique !

La production a déjà été présentée à Anvers et à Gand, avec un orchestre et un chef différents. Comment préparez-vous les représentations au Luxembourg ?


C’est effectivement une préparation totalement distincte de celle d’une nouvelle production. Je dois en particulier anticiper les éventuels déséquilibres sonores qu’il faut à tout prix éviter dans l’opéra, pour que musique et paroles soient entendues et comprises. Il me faut aussi préparer l’orchestre à adopter une texture plus opératique et bien adaptée à l’atmosphère dramatique. En ce qui concerne les chanteurs, comme ils ont déjà donné des représentations, je ne veux pas tout changer à mon idée ; je vais plutôt m’appuyer sur ce qui a été préparé jusqu’ici et procéder avec parcimonie à d’éventuels ajustements.

Avez-vous eu l’occasion de vous entretenir avec le metteur en scène, David Hermann ?


Malheureusement non. Mais de mon expérience de l’opéra, peut-être que ça nous a évité des querelles ! Je suis allé à Anvers pour assister à une représentation. J’étais au premier rang, pour pouvoir collecter autant d’informations que possible. La production fonctionne très bien. Peut-être que je changerais, musicalement, quelques tempos lors de certaines interventions purement orchestrales. À la fin, par exemple, un nouveau doge est nommé et Simon Boccanegra meurt empoisonné. Ces deux événements sont concomitants. Je voudrais insister sur le côté tragique du décès, en contraste avec le sentiment que la vie continue qui domine visuellement sur scène. Ce sont ces petites touches orchestrales qui constitueront mon apport à la production qui sera donnée au Grand Théâtre.

« Nous pouvons certainement pousser un peu plus le répertoire plus récent. »

Vous avez un discours passionné lorsque vous parlez d’opéra. Ce n’est cependant que votre deuxième apparition dans la fosse d’orchestre. Peut-on attendre dès la saison prochaine une nouvelle production avec vous et l’OPL ?


La logique voudrait que oui ! L’opéra, c’est pourtant complexe et épuisant : je me souviens d’avoir éprouvé une fatigue encore inconnue après les répétitions de « Norma » à Valence. J’étais plein d’adrénaline, mais avec pourtant le corps complètement vidé. Mais je suis un homme de défis, et ce genre est une forme d’art total qu’on ne peut pas ignorer en tant que chef. C’est une bonne chose tant pour l’OPL que pour moi. Bien sûr, nous ne ferons pas de l’orchestre une formation d’opéra à part entière, qui connaît ce répertoire sur le bout des doigts et peut le jouer presque sans répétitions, mais aborder des œuvres lyriques fait partie du processus de développement mutuel que j’ai engagé avec l’OPL depuis deux ans.

Vous avez déjà relevé la plupart des défis que vous aviez annoncés lors de votre venue. Quels seront donc les suivants ?


Il y a beaucoup de pans du répertoire symphonique que nous n’avons pas encore explorés. Je pense par exemple à certains compositeurs français du 20e siècle, comme Dutilleux ou Messiaen, qui représentent clairement un objectif pour moi. Il y en a évidemment d’autres. Mais nous devons aussi quelquefois rester un peu plus sages tant pour notre public que pour les salles qui nous accueillent en tournée, et puis nous dépendons aussi de la disponibilité de certains solistes. Jusque-là, je suis content de l’équilibre que nous avons réussi à trouver entre œuvres classiques et œuvres modernes, mais le chemin ne s’arrête pas ici et nous pouvons certainement pousser un peu plus le répertoire plus récent. Mais pour ça, comme je l’ai dit… il nous faut du temps !

Les 29 et 31 mars à 20h au Grand Théâtre.

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