Le premier roman – noir – de l’écrivain nancéen, prix Goncourt cette année pour « Leurs enfants après eux », ressort en format poche. L’occasion d’explorer les racines de cette écriture aussi sociale que sensible, qui évite la psychologisation à outrance.
L’argument est aussi simple que banal : dans les Vosges en pleine désindustrialisation, Velocia, une usine qui faisait dans les pièces automobiles et qui nourrissait les habitant-e-s des bleds environnants sur plusieurs générations, va plier bagage. Un petit reportage sur France 3, quelques départs à la retraite anticipée pour les ouvriers chanceux, la misère pour le reste – et puis on retombe aux oubliettes. L’occasion aussi pour quelques drames personnels de se nouer. Comme celui de Martel, secrétaire du comité d’entreprise de la boîte et petite frappe en mal de cash, qui va s’allier à Bruce, un abruti bodybuilder en manque d’amour et de reconnaissance. En traficotant avec une bande de malfrats locaux, ils vont se retrouver dans une intrigue qui les dépasse – impliquant notamment le kidnapping d’une prostituée mineure dans les rues de Strasbourg.
Et tout autour, Mathieu brosse les portraits de personnages secondaires qui font toute la richesse de son style. Il y a Rita, l’inspectrice du travail qui doute de son boulot, l’adolescent Jordan Locatelli qui va vivre ses premières amours dans des conditions plutôt extraordinaires ou encore le vieux Duruy, un ancien de l’OAS qui s’est terré dans la région depuis des décennies et qui semble n’attendre que sa rédemption.
Mathieu réussit à mettre en scène la violence du monde du travail sans pathétisme et sans trop donner dans la littérature engagée. Certes, il reste humainement du côté des travailleurs, mais ne vilipende pas le patronat pour autant. Au contraire, il réussit à lui donner un visage humain pas démoniaque. Son roman en devient du coup aussi la chronique d’une déchéance, d’un dénouement de la mondialisation malheureuse, et aussi le portrait d’une France que les éditorialistes des JT peinent à comprendre, parce qu’elle ne se comprend plus elle-même. Cette France qui déteste le pouvoir autant que les immigré-e-s, les capitalistes autant que les gauchistes, ces gens qui selon un des personnages ne sont pas « le sel de la terre ou ce genre de truc. Les braves gens sont des salauds comme vous et moi, c’est tout. À peine qu’ils ont des circonstances atténuantes, comme les pauvres, les malades ou les vieux, quand ils sont bêtes et méchants ». Bref, en 2014, Mathieu anticipait bien plus clairement et avec beaucoup plus d’empathie le mouvement souvent paradoxal des gilets jaunes que le Houellebecq national et décoré récemment de la Légion d’honneur par Macron, devant un parterre de gens peu recommandables.
Alors plutôt que de regarder la série que France 3 en a tirée, qui a eu des critiques mitigées, lisez l’original : vous n’en ressortirez pas plus bête !