Panama Papers
 : L’écroulement de Mossack Fonseca


1,2 million de nouveaux documents sortis tout droit du cabinet d’avocats Mossack Fonseca après la publication des Panama Papers. Le woxx est le premier média luxembourgeois à avoir eu l’occasion de collaborer avec la « Süddeutsche Zeitung » et le l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) pour explorer cette faille.

(Illustration : Pixabay/woxx)

Le 3 mars 2016, le monde du cabinet Mossack Fonseca établi au Panama depuis 1977 par Jürgen Mossack (fils d’un ancien Waffen-SS bavarois qui s’est refait en Amérique centrale) et Ramón Fonseca (homme politique, avocat et écrivain panaméen) s’écroule. L’ICIJ venait de lancer les Panama Papers, le plus grand leak de l’histoire récente, contenant des documents datant des années 1970 jusqu’à un passé récent. Entre-temps, Mossack Fonseca a mis la clé sous le paillasson dans toutes ses filiales et ses fondateurs ont été arrêtés au Panama – et relâchés après quelques mois passés derrière les barreaux.

Les conséquences directes pour le cabinet et – surtout – pour sa clientèle ont été néfastes : démissions d’hommes politiques (notamment le premier ministre islandais), perquisitions et arrestations partout dans le monde (pas moins de 107 médias dans 80 pays avaient fouillé dans la masse de documents).

Le Luxembourg, par le biais d’une antenne du cabinet panaméen, était arrivé septième au palmarès des pays les plus impliqués dans le scandale, avec pas moins de 405 intermédiaires qui ont aidé à établir des firmes au Panama dans le seul but d’échapper aux impôts. Mieux encore, du côté des clients, le grand-duché s’était placé quatrième avec quelque 15.479 clients – devant lui, il y avait juste le Royaume-Uni, la Suisse et Hong Kong.

Les banques de la place financière n’étaient pas en reste. Parmi les dix plus actives, quatre le sont ou l’ont été au Luxembourg : Experta Corporate & Trust Services, Société Générale Bank & Trust, la banque privée Safra-Sarasin et la Landsbanki islandaise (fermée en 2008 pourtant).

Que s’est-il passé dans ces établissements après la publication des Panama Papers en 2016 ? C’est la question à laquelle nous tenterons de donner quelques éléments de réponse, en nous basant sur des documents que nous avons pu consulter grâce à notre collaboration avec l’ICIJ et la « Süddeutsche Zeitung ».

Une des conséquences directes des révélations de 2016 a été, sans surprise, la panique et le chaos dans la communication entre les clients, les intermédiaires et le cabinet d’avocats. Et il y avait de quoi : outre la masse de documents rendus publics, il s’est avéré que Mossack Fonseca n’opérait pas vraiment de façon très professionnelle. Cela pour deux raisons essentiellement : d’abord parce que les mesures de sécurité informatique n’étaient pas au point, ce qui a rendu la pénétration des systèmes relativement facile ; et puis parce que les dossiers du cabinet n’étaient pas tenus à jour régulièrement, de façon à ce qu’il ne connaissait souvent pas lui-même l’identité de ses clients.

Ainsi, une bonne partie des correspondances entre Mossack Fonseca, les banques intermédiaires et les clients commence régulièrement par des demandes de documents de la part du cabinet – décidément en train d’essayer de sauver ce qui pourrait encore être sauvé.

Chaos et paranoïa

Par exemple en février 2017, quand ce cadre moyen d’Experta (banque dont l’État luxembourgeois est d’ailleurs actionnaire minoritaire) demande à un représentant de Mossack Fonseca Luxembourg concernant la liquidation urgente de deux firmes : « Est-ce que vous pourriez me confirmer que tout est fermé et que ces décisions sont publiées légalement ? » (traduit par la rédaction). Dans l’échange qui s’ensuit, il est surtout question de factures encore à régler, sans lesquelles Mossack Fonseca ne pourra pas procéder à une liquidation – un problème récurrent parce que souvent (pas toujours), les banques procèdent aussi à la fermeture des comptes : « Pourriez-vous s’il vous plaît me faire savoir s’il y a une commission à payer ou non ? Nous sommes en train de fermer le compte en banque à Luxembourg et nous aimerions éviter des problèmes après la fermeture finale », écrit le même employé quelques jours plus tard.

Un problème qui ne hante pas uniquement les banques, mais aussi Mossack Fonseca. Car après la publication des Panama Papers, beaucoup de banques ne voulaient plus du cabinet d’avocats parmi leurs clients. C’est pourquoi le cabinet a contracté les services de deux autres firmes (Starsight Trading Ltd et Samag Resources Ltd – situés dans le monde arabe et à Hong Kong) dans les mois après les révélations, dans le but de recevoir encore les paiements de ses clients, même si la plupart des paiements que nous avons vus sont tous faits dans un seul but : la liquidation de compagnies. Ces changements de coordonnées bancaires ont aussi provoqué l’agacement des clients comme des banques elles-mêmes. Dans un autre échange, cette fois entre la Société générale et Mossack Fonseca, la banque se plaint de paiements rejetés par une autre banque et s’inquiète : « J’ai utilisé les mêmes données bancaires que pour tous les autres paiements, il paraît donc que leur compte n’est plus valable », écrit une cliente. Dans l’échange, qui s’étire sur plusieurs mois, toutes les difficultés du cabinet à essayer de ne pas perdre sa clientèle et à continuer à fonctionner apparaissent clairement. À un moment, la possibilité de payer par carte de crédit au lieu de passer par un virement est même évoquée.

Tous ces éléments ne contribuent pas vraiment à la confiance, et parfois les sommets de la paranoïa ne sont pas loin. Comme en témoigne cet email envoyé par une employée d’Experta à la représentation luxembourgeoise de Mossack Fonseca, mi-février 2017 : « Cher (…), en référence au dernier article paru dans la presse, je te prie de nous confirmer que Mossfon Luxembourg sàrl est toujours ouvert au Luxembourg et que seulement les bureaux de Mossack Fonseca Luxembourg sàrl sont fermés. Je te prie aussi de nous confirmer si ton contact est toujours le suivant : (…). En plus, confirme-nous s’il te plaît que tu es la seule personne qui travaille dans les bureaux de Mossack Fonseca sàrl à Luxembourg. » En effet, Mossfon et Mossack Fonseca au Luxembourg étaient deux entités différentes – la seconde ayant été cédée à la première en novembre 2016.

Mais tous les clients de Mossack Fonseca ne voulaient pas abandonner leur modèle d’optimisation fiscale. Ainsi, dans un échange de mails entre la banque Safra-Sarasin au Luxembourg et les services légaux du cabinet (ainsi que directement avec les représentants des clients) datant de juillet 2016, il est question d’une restructuration de firmes appartenant à une cliente. Seule détentrice des parts d’une firme panaméenne, celle-ci souhaite transférer ses participations à une autre boîte logée aux Îles Vierges britanniques (BVI, en anglais). Dans cet échange assez long, on peut percevoir l’agacement général entre les lignes et surtout le soudain attachement de Mossack Fonseca aux obligations légales à accomplir. Mais aussi une certaine méfiance parmi les avocats de ladite cliente : « Nous avons des doutes et nous aimerions avoir plus de clarté avant d’avancer », écrivent-ils au milieu des âpres négociations qui se sont étendues de juin à décembre 2017.

(© ICIJ and Arthur Jones/Shutterstock)

Méfiance et régularisation

Il existe aussi une troisième voie pour les clients qui ne souhaitent pas abandonner leurs bonnes habitudes, mais sans devoir craindre des poursuites : la régularisation. Ainsi, au détour d’un échange d’emails (de novembre 2016) entre un client et Experta, le client – français – écrit : « Messieurs, notre avocat vient de me signaler qu’il a obtenu un accord avec le fisc pour régulariser notre construction panaméenne. L’accord sera bientôt formalisé par écrit. Nous pouvons donc en premier lieu procéder à la liquidation (d’une SA et d’une fondation). Pouvez-vous m’indiquer ce que nous devons faire pratiquement ? »

Ce petit extrait est révélateur à bien des égards, puisqu’il indique qu’aussi bien la banque que son client savaient pertinemment que leur « construction panaméenne » n’était pas régulière et donc pas forcément légale. Et puis que le fisc (impossible de savoir s’il s’agit ici de l’administration luxembourgeoise ou française) ait été si prompt à passer un accord avec le client révèle aussi que les autorités étaient bien conscientes que les Panama Papers allaient leur procurer une grande quantité de clients repentis qui voulaient sortir de l’ombre sans causer trop de dégâts à leur renommée. Mossack Fonseca, qui est contacté suite à ce premier échange, procède de la façon habituelle : demande de renseignements sur le propriétaire de la firme, de documents sur les participations, de résolutions officielles de démissions et… un paiement d’avance pour la provision de ses services.

Sinon, la panique provoquée par les Panama Papers semble aussi avoir réveillé de vieux démons de la place luxembourgeoise. Dans les documents récents ayant trait à la Landsbanki, peu nombreux, vu que la filiale luxembourgeoise de la banque islandaise a été placée en liquidation en décembre 2008 déjà, et qu’ensuite toute une série d’embrouilles judiciaires a été déclenchée entre la liquidatrice et d’anciens clients de la banque, on peut trouver de curieux clients qui veulent vérifier que leurs boîtes panaméennes montées avec la Landsbanki étaient bel et bien fermées. Ainsi, un client islandais s’inquiète d’une boîte fondée en 2001 et dont le contrôle semble lui avoir échappé. Pas de chance pour lui : dans leur réponse, les représentants de Mossack Fonseca lui signifient assez sèchement qu’ils ne sont plus en charge de cette firme. La même chose vaut pour des demandes similaires provenant de clients islandais.

En somme, que peut-on retenir de ces réactions aux Panama Papers ? Premièrement, que les révélations ont eu aussi des effets bénéfiques : les firmes liquidées par la suite sont trop nombreuses pour toutes les compter et les efforts de régularisation de certains démontrent du moins que l’effet psychologique a fonctionné. Pourtant, en déduire que l’évasion fiscale aurait pris un grand coup serait erroné : Mossack Fonseca n’était qu’une boîte parmi tant d’autres, grande certes, mais pas assez pour faire s’effondrer un système qui continue de tourner. Et n’oublions pas une chose essentielle : tout ce qui a été décrit dans cet article est parfaitement légal… et c’est peut-être justement là le problème.


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