Comment renouveler les expositions sur Edward Steichen ? La Villa Vauban propose une mise en perspective intéressante des photographies de l’artiste luxembourgeois face à des peintures de la même époque, en écho à sa passion dévorante pour les arts.
Tout au long de sa vie, le photographe et collectionneur luxembourgeois Edward Steichen n’a eu de cesse de fréquenter les artistes de son temps. À tel point qu’il ne dressait aucune frontière entre les arts, mais en faisait une communauté d’esprit. Proche du sculpteur Auguste Rodin, du compositeur Richard Strauss ou encore du peintre Henri Matisse, qu’il a tous immortalisés dans des portraits, il organisait des expositions régulières dans lesquelles il n’hésitait pas à croiser les techniques et les signatures.
Quoi de plus logique dès lors que de montrer aujourd’hui ses photographies « en dialogue avec la peinture » ? Car dans son art, Edward Steichen avait une obsession pour la composition, la lumière, à l’image des peintres qu’il admirait. Ses clichés prenaient à la peinture autant qu’ils tentaient de s’en émanciper.
Dans l’exposition « Time Space Continuum », 44 photographies possédées par la photothèque de la Ville de Luxembourg depuis 1980, dont neuf tirages originaux, retrouvent leur éclat après une restauration minutieuse réalisée par Francesca Vantellini. « Ils étaient gondolés, parfois jaunis, ou alors avaient subi de petites déchirures », explique la spécialiste. Autant d’outrages du temps qu’elle a gommés, dans son atelier de Bertrange, pour présenter au public des clichés qui ont retrouvé tout leur éclat.
Face à eux, des peintures d’artistes luxembourgeois du début du 20e siècle comme Jean Schaack, Frantz Seimetz, Pierre Blanc, Dominique Lang, Lily Unden ou Harry Rabinger. Des natures mortes, des paysages très classiques, parfois naïfs, qui sont aussi un état des lieux de la peinture au grand-duché à l’époque où Edward Steichen brillait déjà à New York.
Ce qui fascine, dans l’exposition, c’est le regard de Steichen, toujours obsédé par la mise en scène de ses créations. Photographe, il aimait à construire son cadre comme un peintre, à ne négliger aucun détail pour obtenir exactement ce qu’il souhaitait. Il se refusait à incarner une photographie purement figurative et s’était rapidement tourné vers une forme d’avant-garde argentique qui allait devenir sa force. Un art de la composition que l’on retrouve, dans une moindre mesure, dans les tableaux de Jean Schaack ou de Pierre Blanc et qui en dit autant sur leur époque que sur une certaine société.
Si Edward Steichen s’était éloigné du Luxembourg pour briller sous les lumières de la bonne société américaine, comme photographe pour « Vogue » ou comme galeriste à la mode, il n’avait jamais totalement oublié son pays, lui l’enfant de Bivange. Le voir côtoyer aujourd’hui les artistes de sa terre natale illustre aussi la force de son œuvre. Car n’est pas Steichen qui veut, et ses clichés ne souffrent pas de la comparaison avec les quelques peintures.
L’exposition rappelle ainsi la modernité d’un artiste qui s’était affranchi tôt de l’académisme pour incarner son propre style, comme ses amis Isadora Duncan ou Constantin Brancusi. Elle permet aussi de décrypter un peu plus le secret du génie du photographe, au regard si particulier et à l’œil si affirmé. L’éclat des clichés restaurés est enfin une occasion rare de voir ces 44 photographies de la photothèque de la Ville de Luxembourg dans des conditions optimales, avant qu’elles ne rejoignent leurs étagères.