Les Photomeetings version 2018 sont entièrement féminins et hispanophones. Avec Isabel Muñoz, Ada Trillo et Liza Ambrossio, ils donnent à voir un regard différé sur ce qui se passe dans le monde.
Mythologies, altération du corps et écologie – tels sont les trois termes sous lesquels on peut résumer les deux séries de photographies dans la galerie 1 appartenant à la galerie Clairefontaine. Au rez-de-chaussée, Isabel Muñoz montre ses « Mythologies » : inspirées soit du catholicisme, soit des religions précolombiennes, les images sont avant tout faites pour interpeller le regard du spectateur. Tant par leur grande taille que par leur contenu d’ailleurs – parce que presque tous les modèles utilisé-e-s par Isabel Muñoz sont des personnes ayant altéré leurs corps par des tatouages et des implants. La photographe originaire de Madrid leur a fait rejouer des scènes bibliques, comme la Pietà qui accueille le regard du passant devant la galerie. Ou une crucifixion qui a l’air bien plus douloureuse que celle décrite dans les Évangiles. Pour les rites des peuples autochtones sud-américains, elle a choisi une mise en scène moins provocante – le plus souvent des femmes dont la tête est cachée par des masques rituels.
Femmes sans têtes qu’on retrouve aussi dans la deuxième série « Agua », où elle a photographié des modèles sous l’eau, luttant contre des sacs en plastique dans lesquels ils/elles sont pris-e-s au piège dans des poses esthétiques. Selon la cheffe de la galerie Clairefontaine Marita Ruiter, qui a eu l’occasion de rencontrer Isabel Muñoz, la photographe aurait elle-même plongé avec ses modèles afin d’obtenir l’image parfaite : « C’est un tout petit brin de femme, qui a l’air d’être la douceur en personne. Pourtant, Isabel Muñoz sait exactement ce qu’elle veut et mieux vaut ne pas la contrarier, tellement elle est énergique. »
Une énergie qui se retrouve aussi dans la deuxième galerie sise place Clairefontaine. Brute et documentariste pour la série d’Ada Trillo sur les femmes dans les bordels de Ciudad Juárez au Mexique, une des villes les plus dangereuses du monde. Dans ses portraits en noir et blanc et sans concession, la jeune photographe ne mise pas tellement sur la mise en scène de ses sujets, mais les accompagne d’un petit texte. Là, elle raconte la vie de ces femmes souvent victimes de viols depuis l’enfance, qui s’enfoncent dans le monde de la drogue et de la prostitution, toujours à la merci des cartels. Une donnée d’ailleurs avec laquelle Ada Trillo a dû composer : à certains moments de son enquête dans les bas-fonds de Juárez (sa ville natale d’ailleurs, même si elle a entre-temps déménagé aux États-Unis), elle a aussi été menacée par des membres d’organisations criminelles, lui enjoignant de ne pas poser trop de questions.
Plus onirique dans sa démarche artistique, Liza Ambrossio plonge le regard dans son album de famille avec « The Rage of Devotion ». Sur de grands tableaux polychromes, elle raconte l’histoire de sa famille de médecins en alternant métaphores, détails et portraits. Elle invite ainsi les spectateurs/trices à se plonger dans son for intérieur et à naviguer sur ses émotions. Un peu cryptique comme concept certes, mais d’une esthétique à couper le souffle.
Les travaux des deux jeunes femmes sont agrémentés et mis en valeur par une petite série de photographies de Gisèle Freund, toutes issues de l’amitié que cette dernière entretenait avec le mythique couple Frida Kahlo et Diego Rivera – pour ainsi rester dans l’atmosphère mexicaine.
Des Photomeetings hispaniques et féminins donc, qui tissent des liens inattendus entre histoire et présent, entre rêve et documentation – à voir absolument.
Aux galeries Clairefontaine 1 et 2, jusqu’au 20 octobre.
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