Politique culturelle (1/3) : Céder l’accès

C’est une des questions cruciales de l’organisation de la vie culturelle qui trop souvent est passée sous silence, parce qu’elle paraît tellement évidente : l’accès à la culture. Or, dans une société sous tension entre le vœu de plus d’inclusion et des symptômes de dislocation, l’accès devient un enjeu primordial.

Il se passera encore un certain temps avant que les barrières ne tombent. 


Il se passera encore un certain temps avant que les barrières ne tombent.

Mais avant de parler de l’accès en tant que tel, il faut évoquer la question suivante : à quelle culture les gens veulent-ils accéder et par quels moyens ? Le sondage présenté par le ministère de la Culture fin juin dernier apporte quelques éléments de réponse. Si les questions sur l’importance de la culture (deux tiers des sondés s’accordent à dire que la culture est « très », voire « extrêmement » importante pour le pays) et des élites (80 pour cent estiment que la culture ne leur est pas réservée) peuvent donner une note d’optimisme, d’autres réponses beaucoup moins. À commencer par la fréquentation, où 43 pour cent admettent ne profiter que très peu de l’offre culturelle. Et puis le type d’activité culturelle, où « aller au cinéma » et « écouter un disque » caracolent en tête.

Cela veut dire que le public luxembourgeois a bien conscience de l’offre culturelle qui l’entoure (et qu’il finance avec ses impôts), mais qu’il n’en profite que très – ou trop – rarement. Une étude publiée par le Statec en 2013 confirme d’ailleurs cette tendance.

Alors que faire face à ce paradoxe ? Une partie de la réponse est dans la fiche 21 dudit sondage : 34 pour cent estiment en effet que « l’école ne sensibilise pas assez, voire pas du tout les enfants et les adolescents à la culture ». Nous voilà donc à présent sur un terrain miné, celui de l’éducation à la culture. Miné parce que depuis des décennies, tous les ministres de la Culture sans aucune exception ont évoqué une meilleure coopération entre l’éducation nationale et le domaine de la culture. Mais malgré toutes ces promesses, il y a lieu de constater qu’aucune initiative coordonnée entre les deux ministères n’a vu le jour jusqu’ici. Certes, il y a de bonnes volontés, même des fonctionnaires employés à faire le lien entre le monde de la culture et celui de l’éducation. Mais, il n’y a aucun master plan pour apporter une solution durable à ce problème, ne serait-ce que pour coordonner toutes les initiatives bénévoles qui existent ici et là dans les établissements.

Pour le dire autrement, l’éveil et l’éducation à la culture dépendent toujours de quelques idéalistes. Les raisons sont multiples, et tout n’est pas à mettre sur l’incompétence de l’un ou l’autre ministère. Il y a d’un côté le ministère de la Culture, qui est toujours en sous-effectif ; de l’autre, au ministère de l’Éducation, on veut se tenir en respect devant les corporations des enseignants et ne pas trop les froisser. Car, s’il existe bel et bien des bénévoles idéalistes qui offrent leur temps libre pour apporter un peu plus de culture à leurs élèves, il y a aussi un nombre important d’enseignants récalcitrants à tout effort supplémentaire. Et surtout en période de grandes réformes, ce n’est pas l’heure de demander encore du bénévolat par-dessus le marché. L’éducation reste donc un grand chantier dans l’accès à la culture. Et peut-être qu’au lieu de jouer au Kulturkampf entre éducation aux valeurs et catéchisme, le monde politique aurait mieux fait de donner ses heures à l’éducation culturelle et artistique, voire à la philosophie – qui transmettent des valeurs depuis des siècles.

Trop de chantiers

Un autre volet important est celui de l’accès culturel pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de fréquenter assidûment les musées et les théâtres. Car, il faut le dire, l’accès aux « temples culturels » n’est pas évident quand on gagne juste assez pour survivre. Là du moins, il y a eu un petit mais significatif progrès. Après des années de bataille, l’association « Cultur’All » a été reconnue par le ministère de la Culture et peut désormais faire connaître ses services à un public plus large, ainsi que nouer des partenariats officiels avec les différentes institutions culturelles et groupements artistiques du pays. Le service proposé par Cultur’All est simple : chaque citoyen luxembourgeois qui a droit à l’allocation de vie chère reçoit automatiquement un « Kulturpass », avec lequel il peut réserver des places soit gratuites, soit à prix réduit auprès des institutions partenaires – qui de leur côté réservent toujours un contingent de places pour les détenteurs d’un Kulturpass. Une évidence en soi, mais elle a mis son temps à paraître digne de l’attention de la politique culturelle.

Pourtant, garantir l’accès pour les jeunes et les moins fortunés n’est pas tout. Car pour apprécier la culture, la meilleure façon est toujours de pouvoir en produire. Il faudrait donc donner la priorité à toutes les initiatives qui travaillent avec des personnes dont l’accès aux sphères culturelles n’est pas garanti de par leur condition physique ou sociale.

C’était justement pour parler de ce thème que l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte avait invité lundi passé à une table ronde sur le thème : « Faciliter l’accès à la culture ». Comme l’a fait remarquer Pierre Bley, le président de l’Œuvre, dans son discours d’introduction, la soirée était consacrée à la recherche de nouvelles pistes et de nouveaux formats que son institution pourrait soutenir à l’avenir. D’autant plus qu’après une table ronde similaire sur le thème des jeunes artistes luxembourgeois émergents, l’Œuvre a déjà créé le programme de bourses « Start Up » – dont le succès est indéniable.

Pourtant, au cours de la soirée, on a dû constater que le dynamisme n’était pas vraiment au rendez-vous. Trop différentes dans les approches, les structures et les modes de financement, les initiatives présentées montraient surtout qu’un concept unificateur manquait toujours à l’appel. Cela ne veut dire en aucun cas que le Luxembourg manque de bonnes idées, tout au contraire. Du collectif « Dadofonic », qui est un ensemble de 13 personnes souffrant de handicaps mentaux ou physiques, qui y sont professionnalisées – disposant donc d’un vrai salaire régulier – et sont souvent « empruntées » par d’autres compagnies, au collectif « CUEVA », qui a organisé les expositions très populaires « Quartier 3 » et « Zaepert » à Esch, attirant un public qui n’aurait jamais mis les pieds dans une galerie d’art, en passant par le projet « Toystroy Crew » qui – c’est une belle exception – réunit éducation et pratique culturelle sous le signe de la musique, de la technique et de l’écologie – tout y est.

Mais le problème est que toutes ces initiatives (et d’autres encore comme la fondation EME, le Kollektiv D et d’autres compagnies) se sont constituées individuellement et ont un mode de fonctionnement et de financement qui leur est propre. Encore une fois, il manque un master plan grâce auquel on pourrait garantir leur financement équitable, et surtout veiller à une bonne distribution géographique et sociologique des efforts fournis par les différents acteurs sur le terrain. Attention, il n’est pas question de centraliser ces efforts, une chose logistiquement impossible pour le ministère de la Culture, mais de bien les distribuer. Ce serait déjà un beau début !


Dans cette nouvelle petite série, nous tenterons une analyse des besoins de la politique culturelle luxembourgeoise. Cette première partie est dédiée à la problématique de l’accès à la culture. Les deux suivantes seront consacrées aux modes de financement et aux risques et opportunités du mécénat.


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