Résidence d’artiste 
: Les multiples talents de Jean-François Zygel


Il a déjà conquis le public luxembourgeois avec ses concerts « Dating », où il explique une œuvre classique par le menu avant son exécution. Cette saison, le pianiste et compositeur français franchit une étape supplémentaire en posant ses valises à la Philharmonie le temps d’une résidence éclectique.

Jean-François Zygel décortique la Symphonie n° 9 « du Nouveau Monde » de Dvorák, le 12 novembre dernier à la Philharmonie. (Photo : Alfonso Salgueiro)

Jean-François Zygel décortique la Symphonie n° 9 « du Nouveau Monde » de Dvořák, le 12 novembre dernier à la Philharmonie. (Photo : Alfonso Salgueiro)

« L’imagination, la joie de créer et la joie de partager. » Lorsqu’on lui demande de détailler le fil conducteur de sa résidence à la Philharmonie cette saison, Jean-François Zygel répond avec son enthousiasme habituel. Un enthousiasme que le public grand-ducal connaît bien : si, en France, le musicien a déjà la stature d’icône télévisuelle grâce à des émissions comme « Les clefs de l’orchestre » ou « La boîte à musique », son cycle de concerts « Dating » a aussi rempli la grande salle du Kirchberg à plusieurs reprises. Rigoureusement mais aussi très clairement, toujours avec humour, il y détaille les thèmes principaux et la structure d’une composition afin que les auditeurs puissent en apprécier encore plus l’écoute. Avec force anecdotes historiques et musicales, il les entraîne avec verve dans un monde musical plein de surprises inattendues et révèle au besoin les petits secrets de compositeurs quelquefois facétieux. Un monde de la musique classique qui, bien souvent, reste hermétique à beaucoup par manque des références culturelles qu’il s’attache donc à transmettre. Et, en guise d’introduction et pour l’immanquable bis, il régale le public d’improvisations au piano, brodant sur les thèmes de l’œuvre du jour.

Un exceptionnel passeur

Car, au-delà de son talent de « passeur de musiques », Zygel est un pianiste et improvisateur hors pair. Lancé sur cette dernière spécialité, il est d’ailleurs intarissable : « Il n’y a aucune raison de limiter l’improvisation au domaine du jazz ! On peut improviser dans absolument tous les styles : classique, baroque, musique ancienne, musique vocale religieuse, musiques du monde, traditionnel, etc. L’improvisation est le geste premier de la musique : la partition n’est venue qu’en second. Au fond, il n’y a aucune raison pour qu’on ne puisse faire de la musique qu’en lisant une partition préétablie. » Rompu à l’argumentation des émissions destinées au grand public, Zygel n’est pas avare d’anecdotes historiques : « L’improvisation était au cœur de la vie musicale des 17e, 18e et 19e siècles. En concert, ni Bach, ni Mozart, ni Beethoven, ni Liszt n’interprétaient leurs propres œuvres ; ils improvisaient pour la plus grande joie et le plus grand plaisir de leur public. »

Cette saison, sa résidence sera donc composée de deux parties. Après une première consacrée à trois nouveaux concerts « Dating », la seconde s’attellera entre autres à faire connaître une discipline musicale où imagination fertile et base théorique solide se rencontrent. Un atelier (mot qu’il préfère au plus pompeux « master class ») permettra aux pianistes aguerris comme aux débutants qui voudraient se jeter à l’eau de pratiquer l’improvisation au piano avec les conseils de celui qui enseigne cet art au conservatoire de Paris. Une classe qu’il a créée voilà 15 ans : « Il ne me semblait pas logique qu’il y ait des classes d’improvisation à l’orgue et pas au piano. »

Mais Jean-François Zygel a bien d’autres cordes à son arc. Il est également compositeur, et on pourra l’entendre au piano lors d’un ciné-concert, le 24 avril : il y interprétera sa partition écrite pour le « Faust » de Friedrich Wilhelm Murnau. Lui qui se passionne pour les films muets mis en musique, comment se décide-t-il entre accompagnement improvisé et écriture formelle ? « L’improvisation, ça se prépare ! Il faut connaître parfaitement le film, image par image, séquence par séquence. Et pour un chef-d’œuvre aussi incroyable que le ‘Faust’ de Murnau, il m’a semblé qu’il était nécessaire d’en établir à l’avance le découpage et les thèmes principaux. » Mais il réfute en même temps toute limite trop caricaturale entre improvisation et composition : « Entre une œuvre entièrement écrite note à note et une improvisation entièrement libre, il y a de nombreux intermédiaires ! Et depuis que nous avons l’enregistrement, la partition n’est plus le seul moyen de composer de la musique. »

Des collaborations multiples et variées

Si le public luxembourgeois ne pourra pas, du moins cette saison, entendre ses compositions pour ensembles musicaux plus étoffés que le simple piano, Jean-François Zygel n’hésite pas à s’y atteler pour autant. En témoigne tout récemment la création, en juillet dernier, d’une pièce un peu particulière et très représentative de son imagination fertile et de son érudition. « Les orgues de Sax » a rassemblé de nombreux saxophones en différents endroits de la cathédrale de Strasbourg, à l’occasion du millénaire de ses fondations. Le souffle humain venu d’un instrument très récent (à peine 150 ans) rendait hommage à un instrument vénérable, l’orgue, indissociable des églises et des cathédrales. Structurée avec rigueur, la pièce est basée sur une trinité de thèmes grégoriens. À l’issue d’un concert, certains spectateurs croyaient même avoir entendu l’orgue de la cathédrale accompagner les saxophones !

Cette revue des différentes facettes du musicien ne serait pas complète sans mentionner son intérêt pour les collaborations avec des collègues venus d’horizons différents, en général au sein de petits ensembles. Il a notamment joué avec les musiciens de jazz Didier Lockwood, Antoine Hervé, Andy Emler, Dimitri Naïditch, Yaron Herman ou Bobby McFerrin. Le 22 avril, il se produira avec Joël Grare, percussionniste et compositeur qui n’hésite pas à utiliser des cloches de vaches accordées, et Didier Malherbe, multi-instrumentiste à vent dans la mouvance des musiques du monde et poète, dans un trio qui promet rien moins qu’un « tour du monde en 80 minutes ».

On l’a vu, Jean-François Zygel est homme de communication. Laissons-lui donc le dernier mot : qu’aimerait-il dire à propos de la seconde partie de sa résidence aux mélomanes grand-ducaux qui ne connaissent pas encore toute sa palette musicale ? « Tout simplement : venez ! Prenez plaisir à me suivre dans mes différents délires artistiques… En fait, créer et partager sont pour moi un seul et même mouvement. Je ne pourrais pas faire d’émissions de télévision ou de ‘Dating’ si je n’étais pas improvisateur, je ne pourrais pas improviser si je n’étais pas compositeur, et je n’aimerais pas composer sans avoir aussi le plaisir de transmettre au plus large public possible. » À bon entendeur…

Prochains concerts de la résidence de 
J.-F. Zygel à la Philharmonie les 20 janvier, 2 février, 22 et 25 avril. Deux ateliers d’improvisation le 23 avril également.

Quelles sont les qualités d’un bon pianiste improvisateur ?

« Il doit tout d’abord avoir des qualités instrumentales : savoir faire sonner le piano, avoir une polyphonie claire, un bon sens de l’équilibre et un jeu de pédales à la hauteur de sa dextérité au clavier. Il doit d’autre part aimer l’harmonie, prendre plaisir à inventer ses enchaînements d’accords. Il lui faut également travailler avec acharnement tous les aspects du rythme, notamment en collaborant avec des batteurs et des percussionnistes. Il lui faudra aussi apprivoiser les principales formes et les principaux styles de l’histoire de la musique, et ne manquer aucune occasion de travailler avec d’autres improvisateurs, classiques, jazz ou des musiques du monde. Enfin, il doit s’attacher à développer des formes, des techniques et un univers personnels. »


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