Le Mudam frappe fort avec son hommage à David Wojnarowicz, artiste, poète, musicien et activiste du New York des années 1980 – qui nous rappelle que l’évolution de la société n’est pas si linéaire.
Si en 2019, les homophobes notoires comme le vice-président des États-Unis d’Amérique, Mike Pence, ont toujours un pouvoir politique et médiatique considérable, cela veut dire que le combat commencé entre autres par David Wojnarowicz n’est pas fini – tout au contraire.
Né en 1954 dans le New Jersey, Wojnarowicz est abandonné par ses parents et devient vite un enfant des rues et un artiste saisi, voire transi, par la rage de s’exprimer. D’abord poète et écrivain, il se tourne vite vers la peinture et la musique – notamment en tant que membre du groupe de new wave, voire no wave « 3 Teens Kill 4 », qui malgré sa courte existence a posé quelques jalons en ce qui concerne l’utilisation de samples et de loops dans la musique pop. En 1983, Wojnarowicz quitte d’ailleurs le groupe afin de poursuivre sa carrière d’artiste.
Marqué par la crise du VIH/sida qui ravage la scène homosexuelle de New York, l’artiste célèbre son lien très fort avec sa propre homosexualité et montre dès les débuts un activisme politique contre la politique officielle qui veut au mieux ignorer le problème. Une tendance qui va se fortifier encore quand après le décès de son meilleur ami et amant Peter Hujar, il apprend que lui aussi est infecté – il va en décéder en 1992 âgé de 37 ans. De là, il a tiré son œuvre la plus emblématique, « Untitled (One Day This Kid …) », un autoportrait de l’artiste enfant avec un texte engagé contre l’homophobie ambiante. C’est du Wojnarowicz à l’état pur : une iconographie simple et directe, mais misant sur l’émotion plutôt que sur la revendication.
Un autre pendant de son œuvre est son amour de la littérature et surtout des auteurs homosexuels auxquels il s’identifie : il y a Rimbaud, dont il confectionne un masque qu’il fait porter par des ami-e-s dans les rues de New York, ou Jean Genet, dont il fait carrément un saint. Cette tendance à créer un art ouvert aux influences extérieures se poursuit pendant toute sa carrière. Beaucoup de ses travaux sont dédiés à des connaissances ou des ami-e-s et, en ce sens, on peut qualifier Wojnarowicz d’artiste empathique. Contrairement à certains ego monstrueux qui dominaient et dominent toujours les scènes artistiques, il avait un sens du collectif inné ; la solidarité n’était pas pour lui une parole vide de sens, mais une réalité vécue. Probablement aussi parce que pendant toute sa vie, il n’a jamais vraiment connu de confort matériel et que ses premières œuvres sont faites de matériaux récupérés. Il en a aussi retenu un certain amour pour les lieux abandonnés dans lesquels l’art peut fleurir. Cette culture du « trashy » éphémère existe encore aujourd’hui – même sous nos latitudes, si on pense aux expositions « sauvages » du collectif Cueva dans le sud du grand-duché.
En ce qui concerne les peintures de Wojnarowicz, qui forment tout de même la majeure partie de l’exposition, à côté des photos, elles célèbrent toutes un style oral, doté d’une grammaire iconographique propre faite de motifs récurrents (comme le Christ qui se fait manger par des fourmis rouges). Toutes font également référence à des idées politiques. Que ce soient les droits homosexuels, ceux des indigènes ou les conflits en Amérique du Sud, une multitude de sujets sensibles sont soumis au traitement imagé de Wojnarowicz.
Une exposition donc qui vaut le coup d’être vue et pour laquelle le Mudam organise son lot d’événements et de conférences dans le cadre du World AIDS Day en fin de semaine.