La série italienne « M – l’enfant du siècle » raconte l’accession brutale de Benito Mussolini au pouvoir, entre 1919 et 1925, de la fondation du mouvement fasciste à l’effacement de la démocratie. Elle a connu un succès exceptionnel dans le pays de Georgia Meloni lors de sa diffusion en janvier.

L’acteur Luca Marinelli incarne le visage et la voix de Mussolini, dictateur impitoyable, calculateur et névrosé. (Photo : Fremantle et The Apartment)
« M – l’enfant du siècle » est une série sur Mussolini inspirée des romans de l’écrivain italien Antonio Scurati, titulaire, en 2019, du « Premio Strega », le prix littéraire le plus prestigieux d’Italie. Présentée en avant-première au Festival international du film de Venise en 2024, la série a été diffusée en janvier dernier en Italie sur Sky Atlantic. Les deux premiers épisodes (sur un total de huit) ont rassemblé une audience de plus d’un million de personnes la première semaine (plus de deux millions pour le premier épisode), à la fois à la télé que sur la plateforme en ligne. Le réalisateur est le britannique Joe Wright, l’auteur de « Orgueil et Préjugés », « Reviens-moi » ou encore « Anna Karénine ».
Les événements se déroulent entre 1919 et 1925. Au sortir de la guerre, Benito Mussolini est l’ancien rédacteur en chef du journal « Avanti ! », l’organe du parti socialiste, dont il a été exclu en raison de sa position pro-guerre. En 1919, il fonde son propre journal, « Il Popolo d’Italia » ainsi que les « Fasci Italiani di combattimento », un mouvement né de l’adhésion d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale qui s’efforcent de se réinsérer dans la société. Dans un premier temps, ils revendiquent des réformes audacieuses (comme le droit de vote pour les femmes et l’abolition du sénat royal) et sont favorables à la république, tout en affichant un nationalisme farouche et une aversion à l’égard des socialistes.
Le mouvement se distingue immédiatement par son style politique agressif et violent. Il est l’un des acteurs du premier épisode de guerre civile dans l’Italie d’après-guerre : l’affrontement avec un cortège socialiste qui a lieu à Milan, le 15 avril 1919, et qui se termine par l’incendie de la rédaction du journal « Avanti ! ». C’est le signe d’un climat de violence et d’intolérance qui va s’aggraver au fil des mois et des années.
Lorsqu’il était encore socialiste, Mussolini fréquentait les salons d’intellectuels, où il a notamment rencontré Margherita Sarfatti, critique d’art issue d’une riche famille juive vénitienne et épouse du socialiste Cesare Sarfatti. Elle devient la maîtresse de Mussolini pendant plus d’une décennie, attirée par la volonté politique de cet homme, pourtant un rustre sur le plan culturel. Il tente par tous les moyens de se faire une place dans les cercles importants en exploitant sa relation avec Sarfatti, à l’image du protagoniste du roman « Bel ami » de Guy de Maupassant, qui utilise ses liens avec des femmes haut placées pour son profit personnel. En 1915, Mussolini épouse civilement Rachele Guidi, avec laquelle il aura quatre enfants. Rachele est une femme d’origine modeste qui, comme le dictateur, vient de Romagne. Elle est l’épouse soumise classique, qui accepte passivement les aventures extraconjugales de son mari, souhaitant jouer un rôle plus central dans la vie de ce dernier.
Prévaricateur machiste
Le fasciste typique est un prévaricateur, un machiste, un opportuniste et un violent. Il est avide d’un pouvoir qu’il utilise comme un outil pour s’enrichir aux dépens des autres. La violence est principalement dirigée contre les socialistes dans les campagnes, qui sont en ébullition dans l’immédiat après-guerre. Pendant le « biennio rosso » (« Les deux années rouges », 1919-1920), les paysans réclament la distribution des grandes propriétés foncières et décident de les occuper. Dans les villes industrielles du nord du pays, les ouvriers organisent des grèves pour demander des salaires plus élevés, des horaires de travail plus courts et de meilleures conditions.
Lors des élections de 1921, le parti socialiste obtient 123 sièges contre 32 pour les fascistes. Les candidats de Mussolini se présentent sur une liste appelée « listone », qui réunit tous les candidats qui ne sont pas de gauche (catholiques, libéraux, fascistes) contre le « danger » socialiste. Pour cette raison, la liste est soutenue par les propriétaires terriens et la bourgeoisie industrielle.
Mussolini veut désormais faire du mouvement fasciste un parti politique. Pour ce faire, la violence doit être contrôlée, afin de ne pas effrayer les potentiels alliés. Le programme du parti fasciste s’éloigne très largement de ses revendications de 1919. Il prévoit la limitation du pouvoir du parlement, l’exaltation de la nation, le retour au privé de certains services de l’État (chemins de fer et téléphone) et l’interdiction des grèves dans les services publics essentiels.
En 1922, Mussolini estime que le moment est venu de passer à l’action. D’un côté, il négocie avec des libéraux comme Giovanni Giolitti, qui avait été plusieurs fois premier ministre, la formation d’un nouveau gouvernement intégrant des ministres fascistes. D’un autre côté, il prépare une concentration des squadristes armés dans la capitale.
C’est ainsi que débute, dans les derniers jours d’octobre, ce que l’on appelle la marche sur Rome. Le 28 octobre 1922, les fascistes entrent dans la capitale sans rencontrer de résistance des forces de l’ordre ou de l’armée. Mussolini attend le déroulement des événements depuis Milan. Le roi d’Italie Vittorio Emanuele III refuse de signer le décret d’état de siège que lui sommet le président du conseil Luigi Facta, qui démissionne dans la foulée.
Le gouvernement Mussolini obtient le vote de confiance de la Chambre des députés le 17 novembre 1922, peu après la marche sur Rome, par 306 voix contre 116 et 7 abstentions. Le 29 novembre, le sénat lui emboîte le pas par 196 voix pour et 19 contre. Ce vote de confiance est lié à l’accord des libéraux et des populaires avec le programme présenté par Mussolini. Pour cette raison, jusqu’au 1er juillet 1924, le gouvernement est composé de représentants fascistes, populaires, libéraux et nationalistes. Mais cette organisation n’est que transitoire, car la victoire écrasante aux élections générales de 1924 permet à Mussolini de purger les autres forces politiques et de former un gouvernement à parti unique.
Purge et parti unique
Dans un climat d’intimidation de plus en plus évident, le seul à avoir le courage de défier Mussolini est le député socialiste et secrétaire du parti, Giacomo Matteotti. Le 10 juin 1924, à Rome, il est enlevé et dépouillé du sac contenant ses documents par un groupe des squadristes. Embarqué de force dans une voiture, il est poignardé à mort. Son cadavre, abandonné dans la forêt de Quartarella, à quelques kilomètres de la capitale, ne sera retrouvé que deux mois plus tard. Sous la pression de l’opinion publique, la police découvre et arrête facilement les assassins de Matteotti. Jugés, ils sont condamnés à des peines légères et libérés après quelques mois de prison.
Dix jours avant son assassinat, le 30 mai 1924, Giacomo Matteotti avait dénoncé devant le parlement les irrégularités ayant marqué les élections du 6 avril précédent, à l’issue desquelles les fascistes avaient obtenu 65 % des voix et plus des trois quarts des sièges. Outre une loi électorale injuste voulue par Mussolini, le scrutin avait été marqué par les menaces et la violence des fascistes pendant la campagne électorale, les tricheries dans le décompte des bulletins de vote et le découragement de nombreux électeurs de l’opposition.
Les partis sont divisés et effrayés. Les élus de l’opposition abandonnent tout simplement le parlement, espérant une intervention du roi. Mais l’inepte Vittorio Emanuele III n’intervient pas pour défendre la constitution. La conséquence la plus grave de cet épisode est que, suite au retrait de l’opposition, la Chambre des députés cesse de se réunir et Montecitorio, le palais qui l’abrite, ferme littéralement ses portes.
La série s’achève avec Mussolini qui revendique la responsabilité « morale, politique et historique » de l’assassinat de Matteotti dans un discours prononcé à Montecitorio le 3 janvier 1925. La démocratie s’est vidée peu à peu de sa substance pour laisser place à la dictature.
Images sombres et lugubres
« M – l’enfant du siècle » se caractérise par un style narratif et une esthétique très particuliers, où le grotesque se mêle au théâtral et la satire au dramatique. Le résultat est inhabituel. La série est le fruit du travail de Stefano Bises et Davide Serino, les deux scénaristes qui ont défini les principales caractéristiques de cette série, où la réalité historique est déclinée sur un ton presque onirique et exagéré. La bande originale est composée par Tom Rowlands, du duo britannique de musique électronique The Chemical Brothers. La juxtaposition d’un style musical contemporain avec un récit des années 1920 permet à la série de dégager une énergie inhabituelle.
Cette série produite par Fremantle et The Apartment est un tourbillon qui captive aussi grâce à des choix stylistiques efficaces, comme faire parler le protagoniste face à la caméra, en brisant le quatrième mur, comme s’il confiait au public spectateur ses prochaines actions et la raison de certains choix. L’acteur Luca Marinelli incarne ainsi le visage et la voix d’un dictateur impitoyable, calculateur et névrosé, qui utilise l’anti-politique comme clé pour défaire le système libéral, en dirigeant un groupe de personnes dépossédées et violentes qui ont besoin d’un leader et d’une mission.
Le style de Joe Wright est reconnaissable à l’attention portée aux détails et à la cinématographie : les images sont sombres et lugubres pour signifier le climat morose de l’époque et le futurisme des années 1920 est fortement reconnaissable dans les décors. La série est ponctuée de nombreuses scènes de sexe et de violence. Le sexe représente une métaphore pas si implicite que cela : le choix de ne montrer que des positions sexuelles où la femme est soumise est une image de la domination du dictateur sur elles. Seule Margherita Sarfatti est mieux considérée que les autres personnages féminins (très peu nombreuses) pour des raisons évidentes d’opportunisme. Mais elle se trouve, elle aussi, dans une posture d’infériorité dans la relation pas si clandestine qu’elle entretient avec le Duce.
La série nous montre comment la violence des squadristes et la paresse des libéraux, des catholiques et de la monarchie ont été au cœur de la conquête du pouvoir par Mussolini. Comme une forme avertissement sur le présent, qui nous fait réaliser comment la transition d’une démocratie fragile à une dictature peut s’opérer de manière insidieuse, aux mains de personnages égocentriques et avides de pouvoir.