À la surprise générale, Xavier Bettel a bloqué, le 24 février, les sanctions européennes contre Kigali, dont l’offensive militaire dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) menace la paix régionale. Le ministre des Affaires étrangères veut privilégier le dialogue entre la RDC et le Rwanda, pays avec lequel il a resserré les liens ces dernières années et dans lequel il a eu des engagements humanitaires personnels par le passé.

Xavier Bettel au Rwanda en 2009, lorsqu’il accompagnait une ONG luxembourgeoise à titre personnel. (Photo : Fabien Grasser)
Le refus de Xavier Bettel de sanctionner le Rwanda a contrarié la Belgique lors du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, ce lundi 24 février, à Bruxelles. Les autres pays de l’UE étaient surpris, tant l’adoption de sanctions contre Kigali semblait relever d’une ultime formalité. Depuis janvier, entre 3.000 et 4.000 soldats rwandais ont envahi la RDC pour appuyer la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) dans sa conquête du Kivu, région frontalière du Rwanda, réputée pour la richesse de son sous-sol. Cette violation du droit international a des conséquences humanitaires tragiques et menace la paix dans la région. Elle est condamnée par l’ONU et l’UE. Londres a déjà suspendu la plupart de ses aides au Rwanda.
Xavier Bettel juge prématuré de punir Kigali et plaide pour une approche graduée. « Cette semaine, il y a des négociations qui ont lieu entre les ministres des Affaires étrangères africains. Je pense qu’il est important, avant de vouloir prendre des sanctions contre le Rwanda, d’attendre ce résultat, ces trois ou quatre prochains jours, pour voir si on va dans la bonne direction », a justifié le chef de la diplomatie luxembourgeoise. Ce blocage inattendu du grand-duché interroge dans les capitales européennes. Elle aurait surpris jusqu’à la délégation permanente du Luxembourg auprès de l’UE, qui a été bien en peine d’expliquer immédiatement la position du pays.
Au Luxembourg, le député David Wagner interroge Xavier Bettel sur le sujet depuis des semaines. Après une question parlementaire et une motion demandant l’arrêt de la coopération avec le Rwanda, l’élu Déi Lénk veut maintenant interpeller le gouvernement en séance publique à la Chambre. Il suspecte la coalition CSV-DP de favoriser les intérêts du secteur financier dans cette affaire. Explication : depuis 2021, le Luxembourg intensifie sa coopération avec le Rwanda. Parmi les projets soutenus, le « développement du Kigali International Financial Centre » fait tiquer le parlementaire. « Nous voulons aider à construire une place financière dont le but sera d’attirer des entreprises qui vont priver les autres pays africains de ressources fiscales », accuse David Wagner dans un podcast diffusé sur le site de Déi Lénk. Ce 26 février, la députée écologiste Sam Tanson a emboîté le pas à l’élu de gauche, interrogeant à son tour le ministre sur sa position.
En juin 2024, Xavier Bettel a scellé la bonne entente entre le grand-duché et le Rwanda, au cours d’une rencontre à Kigali avec le président Paul Kagamé, qui veut s’affirmer en leader régional. Avant d’accéder aux responsabilités gouvernementales, Xavier Bettel avait déjà tissé des liens au pays des mille collines, en s’engageant à titre personnel dans l’association luxembourgeoise Femmes Développement, au tournant des années 2010. Celle-ci aidait notamment les veuves du génocide de 1994, dont le souvenir meurtrit toujours le pays. En septembre 2009, Xavier Bettel avait participé à l’inauguration d’une école cofinancée par l’ONG luxembourgeoise et une fondation italienne, un événement alors couvert par l’auteur de cet article pour le compte d’un autre titre de presse.
Objectif Katanga
Fort des relations établies au fil des ans au Rwanda, Xavier Bettel veut peser en faveur d’une résolution du conflit en cours, suggère sa réponse (tardive) à la question parlementaire du député Déi Lénk. Dans un récent entretien téléphonique avec son homologue rwandais, le ministre « a demandé des gestes concrets d’engagement dans les processus de médiation en cours », précise le document, qui fait état de contacts réguliers avec les deux parties au conflit.
Peine perdue. Depuis le Conseil européen du 24 février, le M23 pousse son avantage militaire vers le sud de la RDC, dans le Katanga, poumon économique du pays, qui regorge également de minerais essentiels, mondialement convoités. Kinshasa évoque au moins 7.000 morts depuis janvier. Des dizaines de milliers de personnes fuient les combats, notamment vers la Tanzanie et le Burundi voisins. Celles et ceux qui ne partent pas ou ne le peuvent pas s’exposent aux brimades, pillages et viols que leur font subir les soudards des deux camps. Xavier Bettel précise dans sa réponse à David Wagner que le Luxembourg accordera 1,2 million d’euros à la RDC en faveur des victimes du conflit. On est décidément trop bons.

