Région du monde largement oubliée, la Papouasie occidentale fait face à l’introduction du capitalisme et à l’expansion du sida.
Par Antoine Lemaire et Carole Reckinger
La Papouasie occidentale est, pour beaucoup, une tache blanche sur la carte. Souvent confondue avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée (pays voisin et indépendant depuis 1975), cette région est aussi grande que l`Espagne, on y parle plus de 250 langues et elle abrite la deuxième plus grande forêt tropicale au monde. Loin de l’attention des médias internationaux mais étroitement liée aux intérêts commerciaux de quelques grandes multinationales, la Papouasie occidentale a été annexée par l`Indonésie en 1969. Les journalistes étrangers y sont interdits de séjour et le gouvernement essaye de faire taire toute demande d`indépendance afin de protéger ses intérêts économiques et géostratégiques dans la région. Le miracle économique indonésien, vanté par l`Occident, est en grande partie financé par la Papouasie.
Les habitants de l’intérieur montagneux ont vécu isolés du reste du monde pendant des milliers d’années jusqu’aux années 1960. L`arrivée de l`Indonésie les jette d`un jour à l`autre dans un système politique et économique radicalement différent. Face au capitalisme, les Papous sont totalement désemparés, et l`arrivée en masse de migrants indonésiens en quête de gains faciles ne fera que renforcer leur désavantage.
A Wamena, la ville centrale de la Cordillère centrale, nous rencontrons Ismaël, 24 ans. Il est très maigre et ne quitte plus sa petite maison de bois et de tôle depuis deux semaines. Comme tant d’autres jeunes hommes, il a quitté son village natal pour tenter sa chance à Timika, une ville minière à une heure de vol. La vie y était rude et après plusieurs années Ismaël est tombé malade. Il a pu revenir à Wamena, mais sa santé n’a cessé de se détériorer depuis lors.
La course aux richesses
La mine de Freeport-McMoRan, à Timika, est la plus grande mine d`or au monde. Ses méthodes musclées et dévastatrices pour l`environnement ont été fortement critiquées par les ONG locales et internationales. La police et l`armée indonésiennes sont employées pour maintenir l`ordre et assurer la protection de la mine depuis des années et les activités de la compagnie ont engendré un désastre écologique et sanitaire qui ne se limite pas à Timika et ses alentours, mais touche maintenant toute la Papouasie.
Freeport-McMoRan était la première mine étrangère en Papouasie. Le contrat d`exploration et d`exploitation a été signé en 1967 avec le gouvernement de Suharto, arrivé au pouvoir après un coup d`Etat militaire. Deux ans plus tard, la Papouasie est intégrée à l`Indonésie suite à un référendum très controversé organisé sous l`égide de l`ONU. 1.054 hommes, triés sur le volet, ont voté à main levée pour l’intégration à l’Indonésie.
Commence alors une véritable course aux richesses et une campagne de développement agressif, privilégiant l’exploitation des ressources avant tout. A l’exception d’une élite restreinte qui a participé à et bénéficié de cette campagne de développement, la majorité des Papous ont été marginalisés. Ainsi, malgré ses immenses ressources, la Papouasie reste la région la plus pauvre d’Indonésie. Les personnes vivant dans les zones rurales, c’est-à-dire 70 pour cent de la population, ont été presque complètement oubliées par les plans de développement, et l’accès à la santé et l’éducation reste un problème majeur pour ces populations.
Lors de l’arrivée de Freeport-McMoRan à la fin des années 1960 dans la région de Grasberg, la population indigène pratiquait l’agriculture de subsistance ainsi que la chasse et la pêche. Des villages entiers ont été expulsés et aucune clause du contrat d’exploitation ne stipulait que les populations déplacées devaient recevoir une compensation pour la perte de leurs terrains de culture et de chasse. La prise de contrôle des terres et des ressources naturelles par Freeport, approuvée par le gouvernement indonésien, a bouleversé ou complètement détruit l’économie et le mode de vie des populations locales. Déjà fortement fragilisées, ces communautés ont ensuite dû faire face à l’afflux de travailleurs indonésiens employés par la compagnie minière, ce qui a conduit à une nouvelle marginalisation économique, sociale, politique et culturelle.
De nouveaux centres urbains se sont créés autour de ces travailleurs migrants, pour la plupart des Javanais sponsorisés par les programmes de transmigration du gouvernement. Des jeunes comme Ismaël ont migré de partout en Papouasie pour tenter de trouver un travail et prendre part au rêve capitaliste. La population a explosé pour atteindre plus de 60.000 personnes, faisant de Timika la zone économique à la croissance la plus rapide d’Indonésie. La présence en grand nombre d’hommes non accompagnés de leur famille favorise alors l’apparition de la prostitution. L’armée, présente en grand nombre afin de protéger les intérêts de la compagnie minière, s’emploie ainsi à organiser le trafic de femmes en provenance d’autres îles de l’archipel et de gérer les maisons closes. Mais le gouvernement ferme les yeux et soutient toujours le plus important contribuable du pays.
Un prix lourd à payer
Cette course au profit en Papouasie, si elle propulse sans aucun doute la croissance économique de l`Indonésie, s`accompagne toutefois d`un drame passé sous silence. En effet, si l`impact environnemental de l`industrie minière est bien connu, son impact social et sanitaire l`est souvent moins et Freeport a sans aucun doute contribué à ce que la Papouasie devienne la région d`Asie la plus touchée par le virus du sida.
Alors que la plupart des épidémies nationales se sont stabilisées, l`Indonésie est un des seuls pays où le taux d`incidence du VIH continue à augmenter. Cette situation est due, en particulier, à l`explosion des infections par le VIH en Papouasie, qui malgré sa faible population représentait 15 pour cent des nouvelles infections en Indonésie pour l`année 2011 et est maintenant en proie à une épidémie généralisée. Le taux de prévalence y est 11 fois le taux moyen national et a maintenant atteint 3,5 pour cent (1) (2). Ces chiffres ne sont que la pointe de l`iceberg. En effet, le dépistage dans certaines villes n`a commencé qu`il y a quelques années et les cas de VIH non encore détectés sont encore nombreux et ne peuvent être calculés avec précision.
Les Papous sont souvent réticents à se rendre dans les rares hôpitaux du pays et ne s`y rendent que s`ils ne peuvent plus marcher ou travailler. Ismaël, lui non plus, ne voulait pas. Mais son père invite Paulus, un infirmier travaillant pour une ONG locale. Celui-ci se rend vite compte de la gravité de la situation et emmène le jeune homme à l`hôpital. Là, le test de dépistage s`avère positif. Le VIH reste méconnu parmi les Papous, et rares sont ceux qui en connaissent les modes de transmission ou les effets sur la santé. Sans pouvoir en être sûrs, il semble probable qu’Ismaël ait contracté le VIH à Timika.
Timika est la ville au taux d`infection le plus haut de Papouasie. Les transformations démographiques, culturelles et sociales engendrées par la présence de l’industrie minière ont favorisé la transmission du sida au sein d’une population appauvrie et marginalisée. Mais les hommes papous sont très mobiles, se déplaçant de leurs villages vers les villes, ainsi qu’entre les différents centres urbains. Cette mobilité favorise la propagation du virus, et toute la Papouasie est maintenant touchée, même dans des villages très isolés.
Le taux d’infection au sein de la population papoue est près de deux fois plus important que chez les migrants indonésiens, représentatif des inégalités socio-économiques qui règnent entre les deux groupes (3). Contrairement au reste de l’Indonésie, où l’épidémie est concentrée chez les groupes à haut risque tels que les toxicomanes et les prostituées, en Papouasie elle s’est fortement propagée parmi la population à bas risque. Les autorités indonésiennes mettent souvent en cause les pratiques sexuelles papoues, mais les programmes de transmigration et de développement des industries minières et forestières ont fait exploser la prostitution dans la région, qui participe à la propagation du virus. Les connaissances en matière de santé sexuelle sont extrêmement faibles, non seulement parmi les prostituées papoues mais parmi la population papoue en général.
Le développement effréné et la course aux richesses profitant à une minorité nationale et internationale ont un effet désastreux sur la majorité. Pour ne rien arranger, l’armée indonésienne a annoncé cette année qu `elle allait envoyer plus d’un millier hommes en Papouasie pour aider à la construction de 1.500 kilomètres de routes afin d’accélérer le développement de la région. La société civile s’inquiète cependant de la présence accrue de militaire dans les régions reculées. De plus, des ONG condamnent cette course au développement et font remarquer que la construction des routes servira principalement à faciliter l’accès aux ressources forestières, dont plusieurs compagnies sont gérées par des proches de l’état-major. La population locale paiera une fois de plus un prix lourd pour la présence des militaires et l’extraction des ressources de leurs terres ancestrales.
(1) Variables utilisées: Papua and West Papua census 2010 (3,593, 803) HIV statistic 2012 13.196 = 3,7 %. En prenant en compte la croissance démographique depuis 2010, le chiffre est arrondi à 3,5 %.
(2) Plus de 13.000 personnes ont été testées séropositives dans les deux provinces.
(3) ASCI Research Report No. 12, September 2008: „AIDS, Security and Conflict Initiative. Indigenous welfare and HIV/AIDS risks:
The impacts of government reform in the Papua region, Indonesia?,
http://asci.researchhub.ssrc.org/working-papers/ASCI%20Paper%2012-Claire%20Smith.pdf.