En l’espace d’un été, le parc de Merl est devenu le jardin d’une population jeune et urbaine.
Nul doute, il y a des jours d’hiver où le parc de Merl, avec ses bassins d’eau en béton de bunker allemand, peut faire monter en vous comme un goût de résignation. Vous marchez le long du plan d’eau et vous réalisez que les structures en béton sont les mêmes que celles qui ornent l’entrée du Conservatoire de musique non loin de là et les abords d’un quai de bus du forum Geesseknäppchen adjacent. Et cette pensée seule fera peut-être surgir en vous une lassitude qu’aussitôt vous attribuerez à votre traumatisme scolaire, dont à vos yeux les sculptures étranges qui ornent ce parc ne font qu’illustrer les ravages.
Si bien que pris de nausée, vous monterez à bord du prochain bus pour laisser derrière vous ce quartier symbole de l’ordre et de l’échec. À moins, bien sûr, que vous vous soyez déjà débarrassé de vos mauvais souvenirs, soit en les refoulant avec succès par volonté de conformité, soit en les surmontant au cours des années passées, si vous n’appartenez pas simplement à cette catégorie de veinard-e-s qui en lisant ces phrases se demandent à quoi elles peuvent bien faire allusion et qui auront eu ce qu’on appelle communément un « parcours sans faute »…
Dans ce cas, intrigué par la fréquence avec laquelle le parc de Merl avait tendance à ressurgir dans les conversations depuis ce printemps et la sortie des premiers rayons de soleil, vous aurez peut-être eu le réflexe de vous rendre sur place pour découvrir que l’endroit a pas mal changé – non pas tellement en lui-même, mais au niveau des gens qu’il attire.
1977
Et en effet, aux habitant-e-s traditionnel-le-s du quartier est venue s’ajouter au fil du temps une population jeune et urbaine de tous les quartiers de la ville. Alors que ce changement peut sans nul doute être attribué à la réouverture après rénovation du pavillon-restaurant, en avril, ou encore aux connexions de bus qui relient commodément au parc de Merl un quartier comme celui de Bonnevoie, par exemple, ce changement exprime probablement bien plus qu’un simple désir de consommer. Une chose probablement qui touche au sens et au destin même de tout parc, et du parc de Merl en particulier.
La question « Qu’est-ce qui fait un bon parc ? » est avant tout liée à celle de savoir comment on y vit. De ce point de vue, le parc de Merl offre une multitude de possibilités, en particulier pour les enfants, à commencer par une cage de trampoline, une aire de jeux avec toboggan et tyrolienne, une cour de basket et un terrain de foot.
« C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’ajouter une baie vitrée de ce côté-ci, pour que les parents puissent prendre un verre tout en ayant leur enfant à l’œil sur l’aire de jeux en face », explique Anne-Marie Holweck, dont le bureau Holweck Bingen a rénové le pavillon construit par son père Pol Holweck en 1977. « Au départ, ceci n’était qu’un terrain marécageux », se souvient ce dernier, ancien étudiant de Frei Otto à l’Institut des surfaces portantes légères de Stuttgart.
Japon
Pour l’architecte en retraite, qui n’avait que 25 ans à l’époque, cela a été son premier et dernier chantier. La première fois, il s’est naturellement senti « jeté à l’eau », en même temps qu’il a énormément appris. Au départ destinée à n’accueillir qu’un débit de boissons, la construction arachnéenne se développe autour d’un pilier central d’où partent seize poutres en bois de sapin « local », en aspect « brut de sciage ». Elle hébergeait à l’époque un logement pour le gardien du parc, qui a été supprimé à la rénovation pour libérer de l’espace. Si le pavillon bénéficie aujourd’hui d’une telle affluence, c’est avant tout parce qu’il dispose d’une terrasse élargie qui donne sur le plan d’eau. Le déplacement du local de cuisine et de celui des jardiniers permet à l’espace intérieur de mieux respirer.
La forme du pavillon obéit au concept de « métabolisme » en architecture, autrement dit, sa construction permet au besoin « d’agrandir le bâtiment existant » en partant de la structure de base, comme l’explique Pol Holweck. Une idée héritée de son intérêt pour les constructions en bois japonaises, qu’il a pu admirer de près lors d’un séjour d’étude au pays du Soleil levant en 1975, notamment à Nara, ville de temples. Voilà qui devrait expliquer l’aspect asiatique du parc de Merl… Une influence qui s’affirme plus clairement encore depuis la rénovation du pavillon : boiseries claires se détachant de poutres de couleur noire, sur fond de grandes baies vitrées et portes coulissantes.
Autour, le parc à proprement parler se développe avec une clarté et un ordre similaire. Il compte six entrées : trois rue de Bragance, deux boulevard Pierre Dupong et une autre avenue Guillaume. L’entrée principale se situe côté ouest, dans l’axe de l’Athénée de Luxembourg, souligné par une allée d’arbres qui donne sur le bassin d’eau de forme triangulaire.
Le parc entier, d’une surface d’environ 5 hectares, possède la forme d’un pentagone irrégulier – forme reprise par un chemin qui entoure le parc et permet de le traverser en entier. Si on l’emprunte à droite, on tombe sur la roseraie, traversée par de petits chemins qui permettent d’accéder aux plantes. Si on l’emprunte à gauche, on arrive à une intersection qui mène au pavillon. Les chemins se rejoignent tous deux au fond du parc, là où se trouve l’aire de jeux, mais où règne aussi le calme le plus grand, à l’ombre de vieux châtaigniers.
Nouvelles habitudes
Le parc est l’œuvre de deux paysagistes, l’un belge, l’autre employé de la Ville de Luxembourg. Pour apporter l’eau qui alimente le bassin avant de disparaître sous terre, il aura fallu creuser un puits de 80 mètres de profondeur pour accéder à la nappe phréatique (!). L’eau ferrugineuse pompée à la surface surgit de trois fontaines situées à quelques pas de là et teint en rouge les pierres à son passage. De là, elle coule sous forme de rivière vers le bassin principal.
Comparé au parc municipal ou encore au parc Neumann, au Limpertsberg, celui de Merl est jeune, comme le parc central du Kirchberg. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle il est aujourd’hui un lieu de prédilection aux yeux des gens âgés de trente ou quarante ans, qui viennent s’y reposer. Parce qu’il a le même âge ou presque qu’eux. Et parce qu’il leur rappelle leur enfance ou leurs années de lycée. C’est aussi à plusieurs égards un lieu vierge et neutre, ni trop chargé d’histoire ni trop grand, qui se situe à quelques kilomètres du centre-ville et de sa population. C’est le parc des résident-e-s et y venir, c’est avoir l’opportunité de les regarder vivre. C’est étudier cet art de vie qui peine à se développer au Luxembourg et constater qu’après tout, il existe encore des choses gratuites dans ce pays, où se sentir vivant n’est pas précisément encouragé. Sauf que tous les soirs, les portes de ce jardin d’Éden se ferment à 22h.
Toujours est-il que les nouvelles habitudes qui s’y développent, à quelques kilomètres du centre-ville, de façon excentrée donc, nous ramènent à la question très philosophique qui est de nous demander ce qu’au fond nous faisons en ce bas monde. Et qui permet, au-delà des questions sur le sens ou le non-sens de la croissance économique, par exemple, de développer une idée de ce qui compte vraiment dans la vie de chacun-e et d’observer les autres en train de vivre leur vie, de la même façon ou différemment dans un endroit on ne peut plus destiné à ce genre de méditations.
Qu’on parle des jeunes mamans, des lecteurs à l’ombre, des amoureux discrets, des nymphettes au bord de l’eau, du groupe d’ami-e-s en train de pique-niquer sur le gazon, de familles entières rassemblées autour d’une table, de celles et ceux qui courent, marchent, patinent, des joggeurs, des promeneurs de chiens ou des chats qui se promènent, des mères qui discutent entre elles ou des vieux qui se reposent sur un banc à l’ombre, des ados jouant au basket, ou de ce type qui tous les jours dessine des dinosaures sur un banc…
Tout cela contribue à nous réconcilier avec une idée de nous-mêmes et des possibilités qu’offre l’urbanité, surtout lorsque vous n’avez pas mis le pied dans ce quartier depuis longtemps et que vous le redécouvrez, avec cette particularité que les choses semblent se souvenir de vous… et non inversement.
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