Le court métrage « Livre d’heures » de Suzan Noesen est actuellement présenté dans la BlackBox du Casino. Peut-être pas une vidéo d’art, mais un touchant plaidoyer cinématographique pour la solidarité intergénérationnelle.
C’est une réalité désormais connue : nombre de vidéos que propose la BlackBox du Casino – Forum d’art contemporain appartiennent plus au registre du cinéma qu’à celui… de l’art contemporain. À tel point que lundi dernier, avant une projection dont l’imminence était annoncée par un décompte, on pouvait même entendre un couple anglophone plaisanter sur l’absence de pop-corn. Mais si « Livre d’heures » est d’abord un film de fiction écrit et scénarisé – la preuve en est le soutien affiché du Film Fund –, il ne dénote pas pour autant dans ces lieux consacrés à l’art.
En effet, le film offre à voir en partie le processus de création d’une artiste : Suzan Noesen s’y met en scène lors de la préparation d’une toile pour une exposition. Les livres d’heures du Moyen Âge, d’ailleurs, étaient des recueils souvent illustrés avec talent. Et s’ils étaient d’abord destinés à l’édification des fidèles catholiques, celui de la réalisatrice ne s’aventure pas dans les méandres de la foi, mais garde le principe du déroulement journalier. C’est donc sa vie quotidienne avec sa grand-mère dans un village luxembourgeois qu’elle porte à l’écran, suivant le plan des textes médiévaux en quatre parties : « Les motifs », « Les heures vierges », « L’office du temps » et « Les psaumes pénitentiels ».
Alternant avec des images – qu’on devine oniriques – d’une jeune fille à vélo dans des collines, Suzan Noesen installe d’abord son ambiance en proposant une succession de plans serrés sur son travail de peinture et sur les tâches quotidiennes de sa grand-mère. Dès les premières secondes, le décalage de génération est sensible. Pas seulement à la vision des rides ou de leur absence, mais aussi à la précision plus ou moins assurée des gestes, à la stricte nécessité de l’épluchage des pommes de terre qui contraste avec la caresse d’un pinceau sur une toile. Oui, ces deux femmes, bien qu’apparentées, ne partagent pas la même vision de la vie. Mais elles cohabitent, elles communiquent, elles se sentent bien ensemble.
De quoi peuvent-elles bien parler alors, réunies au moment des repas ? Justement, de petites choses qui créent les liens : le plaisir de travailler au jardin, l’importance de la mémoire à travers le fleurissement de la tombe du grand-père. À partie narrative différente, cinématographie différente : avec une caméra sage, au moyen de longs plans fixes, Suzan Noesen capte l’essence de la relation entre elle et son aïeule, faite autant de bavardages que de non-dits, autant d’un fossé entre générations que de liens du sang qui rapprochent. En procédant ainsi, elle permet à toutes et à tous de se projeter dans son histoire, sans la polluer par un montage énergique et ostentatoire où seules superhéroïnes et superhéros se reconnaîtraient.
À la croisée des chemins entre documentaire et film de fiction, « Livre d’heures » est un court métrage attachant qui mêle la mise en abyme artistique à une véritable réflexion sur la cohabitation des générations. Ses 25 minutes sont une pause intelligente dans la cohue du centre-ville, et valent le détour par le Casino.