Droits humains : pour l’ONU, la finance doit rendre des comptes

Une mission de l’ONU demande au Luxembourg de soutenir l’inclusion de la finance et des fonds d’investissement dans la future directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises. La société civile salue cette proposition vis-à-vis de laquelle autorités et professionnels de la place financière mettent le pied sur le frein.

La finance est exclue du devoir de vigilance

Pour responsabiliser le secteur financier sur ses prêts et investissements, il doit être inclus dans la directive sur un devoir de vigilance, estiment des experts de l’ONU (Photo : Christine Roy/Unsplash)

Le 1er décembre, le Conseil européen adoptait sa position sur la future directive sur le devoir de vigilance des entreprises (voir woxx 1713).  Le même jour débarquait à Luxembourg un groupe de travail de l’ONU venu évaluer les efforts déployés par le pays pour identifier, prévenir et traiter les effets négatifs des activités des entreprises sur les droits humains et l’environnement. La concordance bien à propos de ces deux rendez-vous doit tout au hasard, puisque la mission des Nations unies était initialement programmée en juillet mais avait été reportée à la demande du gouvernement luxembourgeois. Quant au futur texte européen, il contraindra les entreprises à analyser les risques de leurs activités pour les droits humains et l’environnement, d’y remédier lorsque des violations sont commises et d’indemniser les victimes. Il sera en quelque sorte l’héritier des « Principes directeurs » adoptés en la matière par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2011.

À l’issue de leur visite de neuf jours, les experts des Nations unies ont « encouragé le Luxembourg à soutenir l’inclusion du secteur financier et des fonds d’investissement » dans l’élaboration de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises. « De telles activités peuvent et ont pu avoir des répercussions négatives sur les droits de l’homme », a déclaré Robert McCorquodale, qui représentait le groupe de travail lors de son passage au grand-duché. Les experts voient également dans ce texte à venir « une occasion pour le Luxembourg de se positionner en tant que leader dans la région, en particulier en matière de finance durable, qui inclut les droits de l’homme, les questions environnementales et le changement climatique ».

Mettre les fonds à l’abri

Les recommandations de l’ONU vont à l’encontre de la position défendue plus ou moins ouvertement par les professionnels de la place financière, qui veulent mettre le secteur financier à l’abri du texte européen. Ils cherchent plus spécialement à préserver les fonds d’investissement, l’un des piliers de l’économie nationale. Les organismes de promotion de la place financière, à l’image de l’Alfi, argumentent dans ce sens. Des lobbyistes représentant l’industrie internationale des fonds ont également fait valoir ce point de vue lors d’un échange avec le ministère des Finances.

De son côté, la société civile luxembourgeoise « salue expressément » la prise de position de l’ONU sur le secteur financier, selon un communiqué de l’« Initiative pour un devoir de vigilance ». Cette coalition de 16 organisations milite depuis plusieurs années pour l’adoption d’une loi nationale sur ce sujet. Avec des centaines d’ONG européennes, elle surveille comme le lait sur le feu l’avancée des travaux sur la directive de l’UE. Depuis plusieurs mois, leur attention se focalise sur le secteur financier, que d’aucuns souhaiteraient voir exclu du champ d’application du futur texte européen.

Inquiétude justifiée

Leur inquiétude est au demeurant justifiée au vu de la position adoptée par le Conseil européen le 1er décembre. « Dans cette proposition, le secteur financier est de facto exclu de la directive », réagissait alors Antoniya Argirova pour l’ONG ASTM. Officiellement, les États membres plaident pour l’inclusion de la finance dans la directive. Dans les faits, plusieurs ont manœuvré en coulisses pour multiplier les exemptions et redéfinir la notion de « chaîne de valeur » de façon à dédouaner le secteur financier de ses responsabilités sur l’usage qui sera fait des prêts et investissements accordés aux entreprises.

Lors de l’ultime réunion du Conseil européen sur le sujet, le représentant luxembourgeois auprès de l’UE a regretté « que le niveau d’ambition de la proposition initiale de la directive n’ait pas pu être maintenu », tout en se ralliant aux modifications excluant de facto le secteur financier.

L’adoption de la position du Conseil européen sur la directive pour un devoir de vigilance, le 1er décembre, ouvre la voie aux négociations avec la Commission européenne et le Parlement européen en vue de l’élaboration définitive du texte, dont l’entrée en vigueur n’interviendra pas avant au moins trois ans.


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