BERNARD BELLEFROID: La loi du père

« La régate » est un drame touchant, qui réussit à garder la balance entre sentiments et intimité.

Quand la dépendance entre père et fils devient dramatique et violente, le temps n’est plus aux bons sentiments.

L’adolescence est communément connue pour être une période de découvertes. Pour le jeune Alex, qui vit dans le centre de Namur, c’est surtout la découverte de son père et de sa violence qui marquent son passage à l’âge adulte. Alors que son entourage ne s’en rend pas compte, Alex souffre en silence. Son seul éxutoire est l’aviron qu’il pratique avec une frénésie qui correspond à la violence des coups que lui porte son géniteur. Ses entraînements réguliers sur la Meuse deviennent ainsi plus qu’une compensation – gagner le prochain championnat est devenu une obsession, la seule chose qui le fait vivre. Et en même temps, pour pouvoir participer, il doit taire ses problèmes. Chose difficile, vu qu’il rate régulièrement ses entraînements, parce que son père le retient ou qu’il le blesse de telle façon qu’il lui est impossible de ramer, voire de montrer son corps meurtri de coups et d’entailles.

Les psychologues qualifient ce genre de relation de „co-dépendance“. Le jeune homme ne peut pas lâcher la brute qui le maltraite pour deux raisons : il est – à part une demi-soeur – sa seule famille et il reste, malgré son comportement, un être meurtri lui-même. Ses coups sont aussi des appels à l’aide – une aide qu’Alex aimerait bien lui donner. Le père est un homme qui ne supporte pas la vérité – trop présente dans son quotidien. Ainsi, lorsqu’au cours d’une énième dispute, après que le père se soit fait jeter du supermarché où ils bossaient tous les deux, pour avoir refusé d’aider son supérieur à voler une palette d’alcool, Alex lui lance « T’es qu’un raté ». Tout se joue alors sur le léger décalage qu’il y a entre l’explosion des coups et insultes et le long moment où toute la souffrance défile sur le visage du père. Il sait très bien son ratage, il ne peut rien offrir à son fils. La mère est toujours absente – on ne sait d’ailleurs pas s’il s’agit d’un divorce ou d’un décès – et il ne supporte que très mal l’humiliation des petits jobs qu’il est contraint d’accepter pour faire survivre les deux. « Je n’ai jamais su comment m’occuper d’un gosse », dit-il vers la fin du film, après que la vérité ait éclaté au grand jour. Et c’est bien le seul moment où il supporte la réalité sans la combattre avec sa violence.

Les deux autres figures qui importent dans la vie d’Alex sont Sergi (Sergi Lopez, magnifique avec son accent méridional au bord de la Meuse), son entraîneur et Murielle, sa copine. Mais tous les deux restent dans l’incompréhension devant le comportement bizarre d’Alex. Ils prennent son silence pour du mépris et ses absences pour du non-foutisme. Et cela jusqu’à la fin.

« La régate » est un film remarquable à plus d’un titre. D’abord, c’est un psychogramme parfait qui joue sur les nuances. Même le père violent n’est pas l’incarnation du mal absolu, mais un homme qui souffre et qui ne sait pas contenir sa souffrance. Et Alex n’est pas qu’une victime, mais un jeune homme qui se découvre et commet lui aussi des fautes. Mais c’est surtout la discrétion du film qui étonne. Point de forçage sur les glandes lacrymales, pas de grands sentiments, ni de leçons de morale. La caméra sait garder les bonnes distances par rapport aux acteurs et suggère plutôt que de montrer les moments les plus intenses du film. En d’autres termes : « La régate » est sûrement une des meilleures co-productions luxembourgeoises de l’année.

« La régate », à l’Utopia.


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