Luxleaks : Diviser pour mieux régner

Surprise à la Cour de cassation jeudi matin : tandis que le jugement d’Antoine Deltour est cassé et renvoyé en appel, celui de Raphaël Halet est confirmé. En même temps, PricewaterhouseCoopers se retrouve sur le banc des accusés à Metz.

À partir de maintenant, les chemins d’Antoine Deltour…

Il faisait encore nuit ce jeudi matin sur le parvis de la Cité judiciaire quand les premiers soutiens aux lanceurs d’alerte et les médias de la Grande Région ont commencé à se rassembler. La dernière mobilisation pour Antoine Deltour et Raphaël Halet, comme le pensaient la plupart des personnes présentes, s’est révélée n’être que le prélude à de nouveaux procès. Deux procès pour être exact, car la Cour de cassation a tranché de façon inattendue : elle a cassé la condamnation en appel d’Antoine Deltour, qui devra donc être rejugé devant la Cour d’appel – autrement constituée qu’au procès de printemps 2017 – et elle a confirmé le jugement contre Raphaël Halet. Ce dernier, tout comme son avocat Bernard Colin, a confirmé son intention d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg : « C’était clair depuis le début pour moi. Je ne lâche rien », a déclaré le lanceur d’alerte devant les micros tendus par la grappe de journalistes après que la Cour de cassation a prononcé son arrêt.

Peu de respect pour le journalisme

Pourtant, aller seul à Strasbourg pourrait bien se révéler un handicap de taille pour Halet. Surtout que la Cour de cassation a retenu dans son prononcé l’appréciation de la Cour d’appel « que la divulgation des déclarations fiscales ne fournissait en l’espèce aucune information jusqu’alors inconnue pouvant relancer ou nourrir le débat sur l’évasion fiscale ». Il est vrai que les documents dérobés par Halet à son ex-employeur PWC étaient largement inférieurs en quantité et en qualité comparés à la masse de rulings copiée par Antoine Deltour.

Autre inconvénient pour Raphaël Halet : devant la cour de Strasbourg, le résultat du procès qu’il mène en parallèle au tribunal de grande instance à Metz, avec le journaliste Édouard Perrin, contre PWC ne vaudra pas grand-chose. Le lanceur d’alerte et le journaliste ont assigné en justice la firme d’audit à cause de la perquisition privée menée par cette dernière au domicile des Halet. Une perquisition qualifiée d’illégale, car elle ne visait pas uniquement les documents dérobés par l’ex-employé, mais avait aussi pour but d’établir qu’il était bel et bien une des sources de Perrin ; c’est pourquoi tous les mails de Halet ont été copiés aussi, ce qui est contraire à la protection des sources. Perrin et Halet veulent donc faire invalider l’ordonnance du même tribunal qui a mené à ladite perquisition. Ce qui aurait pour conséquence que le réquisitoire de PWC et du procureur David Lentz dans les première et deuxième instances contre Raphaël Halet ne serait plus fondé sur grand-chose. Mais en confirmant la sentence, la Cour de cassation a aussi évité que le lanceur d’alerte puisse se faire rejuger et blanchir au Luxembourg – il devra donc chercher son salut à Strasbourg.

Même si les chances de gagner contre PWC à Metz sont bonnes – le procureur s’est prononcé en faveur de Perrin et de Halet –, la victoire ne sera que symbolique. D’ailleurs, la défense de PWC dans ce procès parallèle devient de plus en plus absurde. Ainsi, l’avocat de la boîte d’audit a qualifié de « méthodes de grand banditisme » les méthodes de travail d’Édouard Perrin – notamment la boîte à lettres digitale morte, certes utilisée par certains truands, mais aussi outil indispensable au journalisme d’investigation pour protéger ses sources. Ce qui a fait dire à l’avocat de PWC que Perrin ne serait ni journaliste ni représentatif de sa profession. Étant donné l’influence politique des Big Four au Luxembourg, de telles déclarations ont de quoi faire froid dans le dos.

… et de Raphaël Halet se séparent. (Photos : © woxx)

Bande à part

Pour Antoine Deltour, le renvoi devant la Cour d’appel est une victoire d’étape néanmoins. D’ailleurs, son comité de soutien s’en est réjoui en exprimant « une véritable satisfaction » et en saluant une « victoire indéniable ». Et il y a de quoi : la Cour de cassation a reconnu que le jugement d’appel n’était pas tenable. Simplement parce qu’elle ne pouvait pas retenir que Deltour « remplissait les critères élaborés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de lanceur d’alerte »… tout en le condamnant pour ne pas avoir été un lanceur d’alerte au moment où il a choisi de copier les fameux rulings. Cette incohérence, qui était un vrai numéro d’équilibriste de la part de la Cour d’appel, a donc été invalidée et Antoine Deltour aura sa chance de se voir blanchi lorsqu’il repassera en appel.

En séparant leurs sorts, la Cour de cassation a surtout minimisé l’impact des lanceurs d’alerte, qui, même si Antoine Deltour s’est empressé de confirmer qu’il était « entièrement solidaire » avec Raphaël Halet, devront désormais faire bande à part dans leur quête de justice. Le dernier mot dans l’affaire n’est donc pas encore dit.


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