Le monde fantastique du dessin animé reste la meilleure façon de s’évader quand on veut retrouver ses émotions d’enfant. Pour preuve, „Les Triplettes de Belleville“.
Depuis la présentation en compétition de „Shrek“, le Festival de Cannes se donne un point d’honneur à présenter chaque année un film d’animation, quelle que soit l’origine de la production. Cette année, ce n’est ni „Disney“ et encore moins „Dreamworks“, qui se sont fait la part belle du lion, mais bien une production belgo-franco-canadienne intitulée „Les Triplettes de Belleville“ et signée Sylvain Chomet.
Champion est un petit garçon mélancolique, élevé par sa grand-mère, Madame Souza, qui ne sait que faire pour lui redonner le goût de vivre. Elle lui découvre la passion du vélo et l’encourage par un entraî nement assidu, lui permettant de pouvoir enfin participer au Tour de France.
Un jour, lors d’une étape, il se retrouve à la traî ne et se fait embarquer par la voiture-balai. Seulement, celle-ci n’avait rien d’officiel. Il s’agissait d’un véhicule maquillé par la mafia française et conduite par deux malfrats. Une disparition qui entraî nera sa grand-mère, accompagnée de son inséparable chien Bruno, de l’autre côté de l’océan jusqu’à Belleville, où elle fera la connaissance de trois stars déchues du music-hall des années trente appelées „Les Triplettes de Belleville“. Ensemble, elles partiront à la recherche de Champion.
Par des caricatures bien ciblées, on passe du monde du cyclisme et son célèbre „Tour de France“, pour aboutir à la découverte d’une mégalopole imaginaire répondant au nom de Belleville, se situant sur un continent aux allures d’outre-atlantique, sur fond de Montmartre en s’arrêtant quelque peu sur le star système du music-hall et le monde pourri de la mafia française.
Il faut reconnaître que l’on ne peut rester indifférent à l’aura que dégagent, tout au long de ce long métrage d’animation, les personnages. Tout comme les clins d’oeil offerts, par pastiche, à certains grands, que ce soit du cinéma ou de la chanson, à travers une traversée intemporelle de quelques décennies. Tout le monde s’y retrouve et s’identifie à un moment ou un autre en fonction des souvenirs que cela rappelle. On se retrouve enfin devant une évolution de la société qui nous interpelle par sa véracité, nous confrontant à la dure réalité de l’existence, tout en n’ayant pas nécessairement l’impression que tout n’est que moquerie, même si l’on aborde, d’une certaine manière, l’Amérique avec son mode de vie et le nombre incroyable d’obèses.
A travers cette caricature, Sylvain Chomet en profite pour égratigner les Anglophones, qui ont une véritable répulsion vis-à-vis des plats d’escargots ou de cuisses de grenouilles. Un savant cocktail urbanistique est également rendu à merveille par un graphisme en 3D très bien utilisé, ne laissant rien au hasard, pour nous faire dire que ces paysages existent vraiment, que Belleville se situe à mi-chemin entre Paris et New York et que les habitants sont nos voisins, que leur existence est proche de la nôtre et que leur histoire est aussi la nôtre.
Sylvain Chomet avait une idée bien précise quant à l’utilisation de la combinaison des effets 2D et 3D. Il s’est entouré de plusieurs équipes, belge et canadienne, pour arriver à la création des images qu’il voulait voir à l’écran. Et surtout, il a fait un choix méticuleux des couleurs pour arriver à des scènes impressionnantes comme celle de la tempête et de l’explosion dans les marais ou, plus simplement, pour donner un effet de profondeur aux décors des plans larges panoramiques de Belleville.
De Tati à Keaton
Probablement absorbé par tous ces détails techniques et une réalisation parfaite, il en a oublié l’essentiel, à savoir un scénario plus précis – par exemple, on ne sait pas ce qui est réellement arrivé aux parents de Champion – et des scènes un peu moins longues qui, comme elles sont maintenant, ennuient le spectateur par moments de par son côté insistant, comme pour s’assurer que son message passera bien.
Enfin, on peut lui reprocher ses nombreuses références cinématographiques, allant de Jacques Tati à Buster Keaton, en passant par Terry Gilliam, car rien ne nous assure que tous les spectateurs les remarqueront et pourront alors profiter de ces clins d’oeil. „Les Triplettes de Belleville“ est un long métrage à double sens, que l’on peut aisément détester, si l’on ne parvient pas à entrer rapidement dans le monde fantastique de Sylvain Chomet.
Brigitte Lepage