Il semblerait que le réalisateur Larry Clarke aime la censure. Sans l’existence de celle-ci, son dernier et cinquième film n’aurait probablement pas eu de raison d’être …
Vous vous souvenez sans doute du drame „Kids“ (1995), un portrait sombre, minutieux et déroutant d’adolescents et d’adolescentes newyorkais-es s’adonnant à toutes sortes de débauches, notamment sexuelles, et filmé-e-s à l’état brut, dans le moindre détail. Avec cette première réalisation, le photographe et cinéaste américain Larry Clarke avait fait pas mal de bruit, ne fut-ce que par sa confrontation au puritanisme audiovisuel d’outre-atlantique, inestimable garant de publicité.
Trois long-métrages plus tard, Clarke remettait ça, plantant cette fois-ci le décor dans le voisinage d’un village californien, Visalia. Un lieu anodin, sans âme et, apparamment, susceptible de rivaliser avec la mégalopole de la côte-est, pour ce qui est de l’ampleur de la décadence juvénile. C’est que les planches à roulettes y sont les mêmes.
Au coeur de l’action, des jeunes aux profils psychologiques fort différents, subissent tous une relation pour le moins ambiguë avec leurs tuteurs, incapables, pour leur part, d’assurer un quelconque lien cohérent avec une société en perdition.
Ils se prénomment Tate, Peaches, Claude, Shawn, Curtis et … Ken Park. Ils sont campés par des acteurs plus ou moins inconnus (James Ransone, Tiffany Limos, Stephen Jasso, James Bullard, Mike Apaletegui, Adam Chubbuck) impressionnants de crédibilité. En effet, leur implication psychologique et physique semble avoir été intense: nous observons ces jeunes acteurs, poussés aux confins de leurs corps et âmes, pour le meilleur et surtout pour le pire.
Au programme ce soir, vous l’aurez deviné: adultère, masturbation, partouze, inceste, violence, meurtre et certaines scènes d’humour noir fort réussies. Curieusement, si la perverison est montrée dans ses moindres détails, son origine est tout au plus insinuée. Le tableau, hyperréaliste, s’apparente à un documentaire, sauf que ce n’en est pas un. Tout au plus un constat, grincant et placatif, de ce que peuvent être les jeunes (et adultes) d’aujourd’hui, aux Etats-Unis ou ailleurs. Or, à l’heure des mineurs d’âge tueurs en série, on s’en serait un peu douté.
De l’autre côté de la barrière des générations, citons en particulier les performances de Wade Williams dans le rôle du buveur de bière professionnel, complètement dépassé par son fils, Claude, et non moins potentiellement pédophile, ainsi que Julio Oscar Mechose dans le rôle du puritain fou, „époux“ de sa fille Peaches, adolescente ô combien „impure“ …
Dans ce récit dépourvu de prise de position, de figure centrale et de dénouement réel, adolescent-e-s et adultes, tour à tour victimes et bourreaux, subissent leur existence avec un poids comparable (et considérable), troublant à coup sûr le spectateur, émerveillé ou scandalisé – selon ses motivations – par la dureté et l’exécution du propos. Ceci dit, on n’y apprend pas grand-
chose.
Quelle est donc la finalité d’un tel film? Après tout, l’horreur est omniprésente dans notre quotidien médiatique, et l’esthétisation du mal, dans n’importe quelle forme artistique, comporte un risque à ne pas sous-estimer. Tout n’est pas que jeu ou spectacle.
Quant à la dénonciation du mal-être, elle peut se faire de manière beaucoup plus abstraite, métaphorique. Plus fondée, aussi.
Il reste le narcissisme visuel, genre: admirez ce jeune maléfique en train de s’adonner à ses pulsions sado-masochistes … bavez devant mon gros plan:
l’éjaculation est réelle!
Il faut un public voyeuriste pour prendre plaisir à cela, ou intellectuel au point d’y imaginer autre chose, de se faire un autre film. Si vous brûlez d’envie de voir le personnage évoqué poignarder lâchement ses grands-parents parce que l’une „est une salope“ et l’autre „triche au scrabble“, ce film vous intéressera peut-être.
Si en revanche, vous persistez à croire que l’avenir appartient aux jeunes, gardez votre monnaie pour quelque chose de plus constructif.
A l’Utopia