Deux garçons, un père, un paysage … le premier film d’Andreï Zviaguintsev est un véritable petit chef-d’oeuvre.

Au bout de la ligne, l’incertain.
Andreï (Vladimir Garine) et Ivan (Ivan Dobronravov) sont deux frères aux caractères assez différents. Avec plus ou moins de réussite, ils essaient de faire „comme les grands“. Leur référence, leur défi, c’est la bande d’amis qu’ils ont en commun. A travers ceux-ci, ils se frottent, comme tous les adolescents, au monde des adultes. Le film ouvre sur une épreuve de courage que seul l’ainé, Andreï, parviendra à surmonter. Ivan, pour sa part, restera assez profondément marqué par cet „échec“ dû à son caractère sceptique et craintif. Il est conscient de ce frein psychologique, craint d’être lâche, comme le suggèrent frère et copains. Or, comme la plupart des garçons, il veut être un homme. La querelle avec Andreï est donc logique, mais elle sera de très courte durée. En effet, leur mère, sensée arbitrer le conflit, leur annonce une nouvelle pour le moins surprenante: leur père est revenu …
Ils ignorent tout de ce personnage, qui les a quittés pour des raisons obscures, il y a plus de dix ans. Celui-ci décrète qu’ils partiront pendant deux jours: ils iront à la pêche.
L’excursion s’apparentera davantage à un voyage initiatique au cours duquel les deux frères essaieront de percer le mystère du père, recourant à des stratégies diamétralement opposées, à l’image de leur personnalité. Qui est-il, cet individu? Pourquoi est-il revenu? A quoi bon l’appeler papa? Andreï optera pour la diplomatie et les concessions. Ivan, quant à lui, tentera la confrontation à maintes reprises, d’autant plus que l’excursion tourne au périple et que les plans du père changent sans cesse. Celui-ci affiche une détermination toute militaire. Ses décisions, souvent incompréhensibles pour ses fils, sont sans appel. Sa sévérité, son intransigeance révèlent un profond désir de rattraper le temps perdu, comme s’il s’agissait de refaire leur éducation en quelques jours, quitte à recourir à des sanctions radicales. Soucieux d’inculquer ses notions de virilité, l’adulte sera perçu comme un défi par l’un et comme une menace par l’autre.
Pourtant, l’homme n’est pas de marbre. Derrière son masque autoritaire, il cache un amour refoulé, qu’il ne parvient pas à exprimer. Pas encore. S’en rendront-ils compte? A temps?
On s’attendait à trois personnages, Zviaguintsev nous offre trois archétypes pour exprimer les paradoxes et contraintes inhérentes à la condition masculine. Le scénario, très sobre en apparence, puise aussi bien dans la psychanalyse que dans la mythologie biblique ou le symbolisme. Proche du „road movie“ pour ce qui est de la forme, „Le Retour“ est d’un réalisme déconcertant. D’une beauté époustouflante, les images traduisent à merveille l’interaction, souvent conflictuelle, entre l’homme et son environnement. Sans recourir au moindre artifice, les protagonises révèlent un éventail émotif aussi vaste que subtil. Pourtant, c’est le caractère métaphorique du récit qui marque le plus. En effet, au delà du drame humain, nous assistons à une projection universelle du passage à l’âge adulte, dont les messages, multiples, sont perçus „entre les lignes“. C’est toute la magie de ce film, primé à juste titre au dernier festival de Venise.
Il semble confirmer la nouvelle règle selon laquelle, au Grand-Duché du moins, c’est dans les salles les plus modestes qu’on a droit au meilleur cinéma.