World Trade Center, le premier film à thématiser les événements du 11 septembre 2001 n’est rien d’autre qu’un film de catastrophes ordinaire. C’est en effet une catastrophe.
Si Oliver Stone a voulu rendre son film sur les attaques contre le World Trade Center aussi insoutenable que les événements eux-mêmes, il a gagné son pari haut la main. Préférant les platitudes, il ne s’inquiète pas du tout des implications complexes de cette journée qui a définitivement changé la face du monde. Au contraire, il préfère tirer le portrait de deux héros, policiers, pères de famille modèles ensevelis sous les gravats des deux tours, de leurs petites préoccupations de tous les jours. Peut-être a-t-il voulu montrer que l’héroï sme peut aussi se trouver dans les petits gestes de tous les jours, dans le „non-nous-ne-changerons-pas-notre-mode-de-vie-à-cause-des-terroristes“ tant prôné après les attaques. Au vu de la situation en 2006, c’est une idée d’un goût plus que douteux. Entre-temps, plus de soldats américains ont péris et périssent tous les jours dans les bourbiers irakien et afghan que lors les attaques du 11 septembre. Et le monde n’est définitivement pas devenu un lieu plus sûr grâce à la politique américaine post-9.11.
Le 11 septembre commence comme une journée ordinaire à New York. Il y a les petites taquineries dans la brigade des flics, des chauffeurs de bus scolaires qui chantonnent dans leur embouteillage et des brokers stressés en hâte de multiplier leur fortune à Wall Street. Et soudain le mal arrive. Une ombre passe au-dessus des têtes des gens, un tremblement de terre fait vibrer les verres d’eau sur les bureaux, un peu comme dans Jurassic Park. Tout va très vite. Trop même. Au point au Stone se voit obligé de montrer les visages des hommes au ralenti pour bien faire passer le message: oui, tout le monde est un héros ce jour-là. Prêt à mourir pour sauver des vies. Ce qui en somme est le boulot de chaque policier partout sur la planète. Qu’ils soient ensevelis sous les tours n’arrive pas tous les jours. Mais miser seulement sur la dimension spectaculaire sans se soucier des implications internationales – en tout cas pas au-délà d’un petit tour du monde médiatique qui ne dure que quelques secondes totalement superflues – en revient à capituler d’avance devant la dimension réelle de 911. A quand un film sur des sauveteurs irakiens sous les bombes américaines dans nos cinémas? On risque de l’attendre longtemps. Et si cela devrait se faire un jour, combien de critiques de cinéma occidentaux crieraient à la propagande pour l’ennemi?
World Trade Center est tout simplement un film dépourvu d’empathie. Il se réduit à la pure dimension américaine, sans jamais transcender cette perspective. Par exemple les nombreux flash backs des deux policiers ensevelis montrent une vie familiale à l’américaine des plus banales et des plus saines. Tous les deux sont mariés, ont des gosses et aiment leurs femmes autant que leur boulot et leur patrie. Pour la mixité, Stone a choisi un Blanc – le sergent-chef – et un Chicano, moins gradé. Et pour ne pas oublier les Noirs on insère une scène où la femme blanche du sergent console une mère noire d’un garçon d’ascenseur enseveli lui-aussi mais sans chance de s’en sortir.
En somme Stone livre l’alibi parfait pour ceux qui croient toujours qu’une vengeance aveugle est nécessaire et que l’Amérique a la mission de rétablir la justice en réponse à ce qui est arrivé ce jour-là. Tout comme le marine solitaire qui, bravant tous les interdits, pénètre sur le site en ruines pour rechercher les survivants – retrouvant par „hasard“ les deux ensevelis – avant de s’engager volontairement en Irak. Heureusement que même les Américains commencent à douter des bienfaits du patriotisme qui a vu le jour le 9.11. Et heureusement aussi que le film de Stone soit sorti aussi tard. Ainsi, les dégâts provoqués par ce navet coulé dans une sauce patriotique bien grasse peuvent être limités.
World Trade Center, à l’Utopolis