DRUM N‘ BASS: Pleine force inconnue

Full Force Records est un des labels les plus importants au niveau mondial dans la musique drum n‘ bass. Pourtant, les deux fondateurs ne sont pas prophètes dans leur propre pays.

Chook: DJ et producteur connu … mais pas dans son pays.
(photo: Full Force Recordings)

Ils s’appellent Chook et Matt. Ils sont deux dans cette affaire et en discutant avec eux, on a souvent l’impression d’être en face d’un couple marié depuis longtemps. La musique drum n‘ bass est leur passion commune, et le fait qu’au Luxembourg pas grand monde ne s’intéresse vraiment à ce qu’ils font, les soude l’un à l’autre. D’abord, évacuons un vieux cliché: la drum n‘ bass n’est pas de la techno, même si, pour des oreilles non rompues aux sons électroniques, la différence est mince. „La plupart des gens, quand ils parlent de drum n‘ bass, citent des artistes qui n’ont rien à voir,“ lance Chook. Cette musique est née dans les années 90 en Grande-Bretagne, qui une fois de plus a été à l’avant-garde de la musique actuelle. Et dans la drum n‘ bass il y a plusieurs sous-genres, comme c’est le cas pour chaque sorte de musique. „Le mainstream c’est le Jump Up, qu’on appelle aussi Clown Step. En fait, cela sonne un peu comme de la musique de cirque“, explique Chook, „Mais ce n’est pas la musique que nous produisons, on préfère largement le Neurofunk.“ L’apparition de ce genre vers la fin des années 90 coïncide avec la division de la scène drum n‘ bass en divers genres. Si le Neurofunk est un courant relativement petit face à l’ensemble du drum n‘ bass, le label des deux luxembourgeois figure au palmarès des trois labels les plus importants. „Le Neurofunk se distingue du Clown Step en ce qu’il est un peu plus calme et plutôt porté sur l’atmosphère que sur les beats. En plus il utilise des sons qui s’apparentent plutôt à la techno“, raconte Chook. „Et la thématique est différente – le Neurofunk utilise souvent des thèmes issus de la science-fiction,“ ajoute Matt.

Cirque vs. Science-Fiction

Quant à l’origine de leur passion pour cette musique, les chemins ont été difficiles et divers. Chook a plutôt commencé par écouter du hip-hop. „Je fréquentais beaucoup le Mono-Record-Store à Luxembourg – qui a aujourd’hui malheureusement disparu – et le patron, Sloggy, a toujours essayé de m’initier à la drum n‘ bass. Un jour, j’ai craqué,“ se souvient-il. Puis il se met aux turntables, entendez: tourne-disques. „La technique du scratch est vraiment difficile à apprendre. Les DJs que tu peux voir à la télévision ou en live répètent parfois jusqu’à huit heures par jour.“ Il fait ses premiers pas dans des bars de Luxembourg-Ville, comme le Lunatic à Bonnevoie ou encore l’Elevator à Hollerich. Pendant ses études à Londres, il découvre le Bug-Bar de Brixton où il se retrouve aussi assez vite derrière les platines. De retour au grand-duché il fait la rencontre de Matt lors d’un de ses propres sets à l’occasion de la fête nationale. „Dès que je l’ai entendu, ce fût le grand amour,“ se rappelle Matt, „et puis les longues sessions au téléphone ont commencé.“ Pour sa part, Matt a découvert la musique assez tôt, lors de ses études à Manchester. „J’ai pratiquement séché tous les cours pendant deux ans. Ma vie pendant cette période-là se réduisait à acheter des disques et les écouter à longueur de journée,“ se rappelle-t-il. Mais ce n’est que pendant un séjour outre-atlantique dans une école hôtelière – dont il ne garde pas les meilleurs souvenirs – qu’il commence à se mettre derrière les tourne-disques, lui-aussi. „Chaque mercredi, j’animais un lieu qui s’appelait Rapture Bar. Ce fût un temps formidable.“ Après une escale à Toronto, où il joue aussi quelques sets, il se retrouve au Luxembourg avec Chook.

Luxembourg: désert de la drum n‘ bass

„Assez vite Matt a commencé à vouloir monter un label. Alors que moi, j’étais totalement contre cette idée, car je me disais que, de toute façon, cela ne rapporterait pas grand chose. De la peine perdue quoi,“ argumente Chook. Mais c’est Matt qui a gagné, et en 2004 le premier disque de Full Force Recordings sort des presses.

Mais comment monter un label dans un pays qui ne possède même pas une scène adepte de la musique qu’on veut vendre? – Simplement en vendant à l’étranger. „De toute façon, nos disques ne sont que rarement achetés par des personnes privées pour les écouter à la maison,“ expliquent-ils. La clientèle se compose plutôt de DJs. Ce qui a l’avantage pertinent de leur permettre d’être joué dans les plus grands clubs autour du globe. Une sorte de marketing viral et gratuit en somme. Mais ce fait n’empêche pas que Full Force Recordings souffre des mêmes maux que l’industrie du disque en général: les ventes de vinyles et de CD sont en chute libre. Selon Matt: „Le problème, c’est que nous ne pouvons pas exister sans l’internet et qu’en même temps la piraterie nous nuit énormément.“ La seule issue pour l’instant c’est de miser plus sur la vente de MP3 téléchargeables et payants. Les gains de ce business ne dépassent pas un argent de poche ordinaire, mais sont les bienvenus. De toute façon, les deux ne vivent pas de leur label, qui, d’ailleurs, n’est pas une firme mais une asbl. Non subventionnée, cela s’entend, car le ministère de la culture luxembourgeois ne prête pas trop d’oreille à la musique drum n‘ bass. Ce qu’ils espèrent le plus, c’est que leur label leur permette de jouer encore plus en live et de toucher de meilleurs cachets. Jusqu’à présent, ils ont fait des apparitions dans des villes comme Rome, Londres, Berlin, Cologne, Gent ou encore La Haye. Mais c’est plus proche du Luxembourg, à Mannheim, qu’ils ont fait leurs meilleures expériences: „Mannheim, c’est le mekka de la drum n‘ bass sur le continent. Tous les disques qui sortent en Angleterre sont immédiatement joués dans la scène locale. Et chaque semaine, des DJs anglais y viennent secouer les platines,“ raconte Matt. Quant au Luxembourg, s’ils n’y vendent presque pas de disques, ils n’y jouent pas plus. „Au début on jouait un peu au Cafédelagare, qui n’existe plus. Finalement on fait des soirées à l’Elevator de temps en temps. Mais toutes les soirées qu’on a montées hors de Luxembourg-Ville se sont soldées par des échecs.“ Or, le fait de ne pas être prophètes dans leur terre natale ne les arrête pas dans leur enthousiasme.

„Nous fonctionnons de la façon suivante: Je passe mes journées et mes nuits devant l’ordinateur sur internet et je chatte avec des artistes. Si leurs trucs me plaisent, j’entre en contact avec eux et on envisage des collaborations,“ explique Matt. Tandis que Chook s’occupe plutôt du côté créatif lui-même en produisant sa propre musique, Matt n’est „que“ DJ. „Et mon premier critique,“ ajoute Chook. La méthode employée leur a permis de sortir des disques d’artistes venant de pays aussi divers que la Russie ou la Nouvelle-Zélande – qui d’ailleurs, possède une scène florissante, subventionnée, elle, par l’Etat …

Pour le futur, les deux envisagent un éventuel passage à la professionalisation en rendant notamment leur label plus commercial. Même s’ils divergent encore un peu sur ce point, ils sont au moins d’accord sur une chose: il faut pousser davantage la vente de MP3. „Si nous vendons 20 fois plus de MP, alors on pourra en vivre,“ a calculé Matt, „et ne produire que de la musique pendant toute notre vie.“

www.fullforcerec.com


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