Dans le cadre d’un plan communal pour la jeunesse, l’Université du Luxembourg vient de rendre publique une étude sur la jeunesse dans la commune de Kayl. Manière d’établir un état des lieux dans l’ancienne cité ouvrière.
Voir Kayl et mourir … d’ennui ? Est-ce vraiment ce à quoi l’on pense à 17 ans, lorsque des chercheurs de l’Université du Luxembourg vous demandent un entretien. L’Université a fait une étude sur la jeunesse commandée par le collège échevinal socialiste de la commune. Les jeunes justement, ils étaient déjà une des priorités des socialistes lors de la dernière campagne électorale à Kayl, en 2005. Cantonné à l’époque sur les bancs de l’opposition, Etienne Schneider fait entre-temps partie du collège échevinal et la jeunesse est un des domaines dont il a la charge. Il est vrai que cette commune aux confins méridionaux du pays, jouxtant Rumelange, n’est pas à proprement parler un pôle d’attractivité et qu’elle est souvent éclipsée par les grandes voisines comme Esch, Differdange et Dudelange.
A l’image de ses soeurs sudistes, l’identité de Kayl, et surtout celle de la localité de Tétange, a été forgée par la mine. Elle garde encore les stigmates de la désindustrialisation avec son taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale et une plus grande proportion d’ouvriers que d’employés. Pour rappel: tandis que 37,5 % des salariés ont un statut d’ouvrier sur l’ensemble du pays, cette proportion croît à 46,1 % pour la région du Sud. Mais avec ses 8.000 habitant-e-s, Kayl n’est qu’un grand village qui ne peut évidemment pas présenter la même palette d’activités que ses voisines. S’y ajoute encore le „clivage“ historique entre les localités de Kayl et de Tétange. La première, anciennement peuplée majoritairement de paysans, abrite désormais la population plus aisée, tandis que Tétange l’ouvrière est socialement plus défavorisée.
„Nous nous sommes demandés quels sont les besoins des jeunes de cette commune“, explique Etienne Schneider. Ainsi, dans le cadre du plan communal jeunesse, par lequel la ville de Luxembourg est déjà passée, l’Université du Luxembourg a été chargée de réaliser une étude qui a été présentée à la presse ce jeudi. Qu’il s’agisse de se balader en voiture, d’être dans la rue à „glander“ ou de passer du temps sur sa console de jeux vidéos, ces quelques loisirs énumérés dans l’étude sont ceux de jeunes ados de n’importe quelle ville, de n’importe quel village. Sauf que la structure sociale plus populaire de Kayl/Tétange fait que d’autres loisirs culturels ont un peu moins la côte que dans des quartiers où les classes moyennes prédominent.
Petits problèmes pour petite commune
De plus, l’étude révèle un certain nombre de points négatifs dénoncés par les jeunes. Les actes récurrents de vandalisme par exemple, qui avaient conduit cette année l’administration communale à engager une société de sécurité privée pour protéger les établissements publics. Ce qui n’a d’ailleurs pas manqué de faire grincer bon nombre de dents au sein du LSAP. Il y a aussi le parc municipal, qui, comme très souvent, est le véhicule des peurs plus ou moins fantasmées. Si les habitant-e-s savent qu’il n’y rode pas de grand méchant loup, l’absence d’éclairage la nuit et la présence d’individus ne les rassure pas plus. Sur ce plan, la commune a déjà prévu l’installation d’un éclairage adéquat. Bien intégrés dans la société de consommation, les jeunes déplorent également le manque de petits commerces, qui les pousse à prendre les transports en commun (dont la fréquence et le réseau laisserait aussi à désirer) pour se rendre dans les villes comme Esch ou Dudelange. Quelques progrès se dessinent néanmoins au niveau de la mobilité avec l’introduction prochaine d’un „Late Night Bus“.
Mais les difficultés que rencontre Kayl sont plus d’ordre sociologique. L’étude a beau relever que le sentiment d’appartenance à la commune est très élevé, que les jeunes apprécient le caractère somme toute assez tranquille de leur bourg, Kayl/Tétange n’en est pas moins traversée par des clivages assez forts. Helmut Willems, docteur à la faculté des lettres, des sciences humaines, des arts et des sciences de l’éducation, qui a dirigé l’étude, interrogé par le woxx, évoque une „segmentarisation“ de la jeunesse, en fonction des origines sociales et nationales. Ce phénomène très présent sur l’ensemble du territoire luxembourgeois se renforce évidemment dans une commune comme Kayl. Il faut toutefois relativiser: selon Willems, la tendance sociologique tend plutôt vers une „individualisation“ qui amoindrit le poids des origines sociales dans les choix de vie au profit des centres d’intérêts qu’un chacun développe personnellement. „Les origines sociales constituent malgré tout un facteur déterminant dans le choix des loisirs, du niveau d’éducation, et de la manière qu’a un jeune d’appréhender son avenir“, précise Willems et d’ajouter qu’il faut „prendre cela très au sérieux, sous peine d’élever deux générations distinctes que le système scolaire fait évoluer séparément“.
En effet, le système scolaire luxembourgeois aggrave la ségrégation entre nationalités et Kayl est loin de faire exception à la règle. Si parmi les élèves luxembourgeois 32 % fréquentent l’enseignement secondaire, la proportion décroît sensiblement parmi les autres nationalités (25 % pour les Français, 16,7 % pour les Italiens, 14,3 % pour les Portugais et seulement 8,3 % pour les ressortissants de l’ex-Yougoslavie). Ce que Helmut Willems caractérise comme une „dysorientation“ d’un système qui devrait plutôt constituer un „correctif“, ne devrait, malgré certaines réformes substantielles du système scolaire, pas complètement disparaître. Le refus obstiné de l’establishment luxembourgeois d’introduire une forme de tronc commun a beau tranquilliser les classes moyennes et supérieures luxo-luxembourgeoises, mais elle ne contribue pas à combler le fossé entre enfants de classes et d’origines différentes.
Jeunesse segmentée
Cette séparation se fait clairement ressentir au niveau de structures comme la Maison des jeunes „Jugendtreff“ à Kayl. L’étude en donne un aperçu: près de la moitié des jeunes garçons d’origine étrangère ne la fréquente pas et près d’un tiers n’en a pas entendu parler. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer: entre les courriers toutes boîtes et la distribution des brochures présentant les activités proposées, le „Jugendtreff“ est tout sauf discret. Etienne Schneider déplore également le manque de mixité à la maison des jeunes, ce qui n’est toutefois pas une singularité de Kayl. Ce serait aussi dû au fait que certains groupes de jeunes ne souhaitent pas se rencontrer. « Pour le dire en termes plus crus, si demain une demi-douzaine de jeunes d’origine yougoslave voulait fréquenter la maison, cela en ferait fuir d’autres », constate-t-il amèrement.
Cette analyse est partagée par Helmut Willems qui parle d’une « polarisation entre certains groupes de jeunes qui convoitent chacun la maison ». Ce phénomène plutôt répandu n’entache toutefois pas la bonne marche de l’établissement. Et Carole Wictor, une éducatrice qui travaille au « Jugendtreff », relativise l’idée selon laquelle la maison ne reflèterait pas assez l’hétérogénéité sociale de la commune, même si elle admet que la majorité des visiteurs sont issus du secondaire technique. Mieux, en comparaison avec les expériences qu’elle a pu faire en période de stage dans d’autres communes, elle se montre assez satisfaite du « Jugendtreff » : « L’ambiance ici est assez calme, les jeunes y font preuve de plus de motivation pour participer aux activités et se montre en règle générale respectueux des autres. » Il n’empêche : les réflexes grégaires, la formation de « cliques », est un trait de caractère fortement développé auprès des adolescent-e-s et cela se répercute sur la clientèle de la maison.
Etienne Schneider ne voit pas de solution miracle. «On ne peut tout de même pas forcer certaines catégories de jeunes de la fréquenter ou non. De toute façon, une commune de la taille de Kayl ne peut se satisfaire d’une seule maison de jeunes. Il en faudrait au moins deux ou trois, au moins une dans la localité de Tétange. » En effet, Schneider ne trouve pas l’emplacement de l’unique maison de jeunes idéale : en pleine localité de Kayl et sur la place de l’Hôtel de ville, ce qui lui confère un caractère un peu trop « institutionnalisé ».
Evidemment, la mixité sociale reste un idéal pour l’ensemble des maisons de jeunes. Mais tout le monde n’éprouve tout simplement pas le besoin de s’y rendre. A mesure que les jeunes s’approchent de l’âge adulte et en fonction de leur origine sociale ou de leur niveau d’instruction, ils peuvent déployer un nombre d’activités culturelles, sportives, associatives ou politiques de manière plus autonome. C’est bien connu : le milieu dans lequel évolue un individu participe à son épanouissement social ou bien au contraire, à son isolation. Dans cet ordre d’idées, une structure telle que le « Jugendtreff » est bienvenue : apprendre à vivre en communauté, tisser des liens sociaux et d’amitié, prendre des responsabilités, mais aussi découvrir de nouvelles expériences à travers le nombre d’activités respectables et les voyages organisés. Sans oublier la possibilité d’y trouver un certain soutien moral ou scolaire en cas de difficultés à l’école ou au sein de la famille. Mais on ne peut évidemment pas attendre d’une maison de jeunes qu’elle efface les distinctions sociales d’une société inégalitaire. Elle n’en est que le reflet.