CLIMAT ET DÉVELOPPEMENT: Une fausse bonne idée

L’Action Solidarité Tiers Monde (ASTM) a mis en lumière les faces cachées des mécanismes dits de développement propre, auxquels le Luxembourg va avoir recours pour remplir ses engagements de Kyoto.

Joindre l’utile à l’agréable, c’est ainsi que le gouvernement luxembourgeois présente le recours aux projets climatiques dans des pays du Sud. En effet, « malgré de grands efforts », le grand-duché ne parviendra pas à tenir ses engagements en matière de réduction du CO2 par ses propres moyens. Plutôt que de payer des amendes, le gouvernement entend investir dans des projets de « clean development mechanism » (CDM). De tels projets consistent à réduire les émissions dans les pays du Sud, ce qui est utile puisque ces pays n’ont aucune contrainte dans le cadre des accords existants. Et les CDM permettent de comptabiliser une partie de ces réductions pour le compte du pays industrialisé partenaire, ce qui est très agréable pour le Luxembourg.

Afin de porter un regard critique sur cette présentation idyllique des CDM, l’ASTM avait invité à un séminaire samedi 6 octobre, en présence d’expert-e-s. En effet, après trois ans d’expérience avec des projets de ce type, le bilan n’est guère enthousiasmant. La plupart des projets labellisés « clean development mechanism », en réalité, ne sont ni propres ni ne servent au développement.

« Tout cela est une grosse blague », estime Kushal Yadav du Centre pour la science et l’environnement à New Delhi. Il donne l’exemple du village de Pembur, où se trouve une centrale énergétique reconnue comme projet CDM. Elle est supposée fonctionner sur base de déchets forestiers et ne pas affecter l’environnement, conformément aux critères de Marrakech (voir encart). La réalité est très différente: on abat de précieux arbres exprès pour la combustion et la consommation d’eau a fait baisser le niveau de la nappe phréatique. Les habitants de Pembur auront certes moins de CO2 à leur compte, mais surtout, ils auront moins de riz à manger.

La plupart des projets labellisés « clean development mechanism » ne sont ni propres ni ne servent au développement.

« C’est l’équivalent de la pratique des pays riches d’envoyer leurs déchets vers les pays en voie de développement pour s’en débarasser à bon compte », commente Yadav. Il évoque encore les certificats de CO2 qu’on vend aux voyageurs en avion pour soulager leur mauvaise conscience. Ainsi l’agence britannique « Climate Care » incite des paysans indiens à remplacer leurs pompes à diesel par des pompes à bras. Comme ni le père ni la mère ne sont disponibles pour ce travail supplémentaire, ce seront les enfants qui actionneront les pompes. Et le voyageur, arrivant en Inde et ignorant la manière dont ses émissions sont « rachetées », s’étonnera de la « persistance » du travail des enfants en Inde.

Tous les projets CDM sont-ils nuisibles ? « J’ai examiné nombre de projets qu’on présentait comme ‘excellents’, j’ai à chaque fois été déçue », assure Jutta Kill, de l’ONG britannique Sinkswatch. Or, le gouvernement luxembourgeois assure vouloir respecter à cent pour cent les fameux critères de Marrakech. Son premier projet opérationnel, à Nejapa au Salvador, est sans doute à la hauteur de cette exigence. Il s’agit de capturer et de brûler du méthane, un puissant gaz à effet de serre, qui s’échappe d’une décharge. Ultérieurement, grâce au savoir-faire du partenaire canadien Biothermica, cette combustion servira à produire de l’électricité. D’autres projets en Inde sont en attente, parce que le partenaire français n’a pas rassemblé assez d’informations sur l’impact environnemental. Cela ne surprend guère Kill, qui prédit au Luxembourg un dilemme douloureux : faute d’avoir trouvé des projets CDM vraiment propres, il faudra soit tricher sur les critères, soit renoncer à « racheter » le dépassement d’émissions. Il faut craindre que le gouvernement passera alors par une solution de facilité : renforcer ses investissements dans les « carbon funds », qui engloutissent déjà une bonne part du budget spécial Kyoto. Ces « funds », gérés par des institutions comme la Banque mondiale, investissent massivement dans des projets considérés comme douteux par les ONG.

« Un changement du style de vie est indispensable. Plus on attend, plus ce sera difficile. »

Mais les critiques des CDM ne se contentent pas de dénoncer l’impact négatif dans les pays d’accueil. La validation des projets se fait en ayant recours à des consultants copieusement payés pour multiplier les rapports et les évaluations. De surcroît, cela ne sert à rien : les sociétés de conseils font du « copier coller » pour satisfaire à tous les critères, comme le montre sur un exemple Kushal Yadav. « C’est normal quand les clients choisissent leurs propres certificateurs », estime Jutta Kill, « Il ne faut pas oublier que des sommes énormes sont en jeu. » Ce désir de produire des crédits d’émissions par tous les moyens a engendré d’autres dysfonctionnements. Ainsi, la moitié de tous les crédits CDM actuellement reconnus provient d’une dizaine d’usines où l’on récupère des gaz. Les projets basés sur l’incinération du HFC-23, un hydrofluorocarbure dégagé lors de la production de réfrigérateurs, ont été particulièrement critiqués : selon un calcul de la revue « New Scientist », ils ont engendré des crédits d’une valeur de six milliards de dollars, alors que le coût réel de la mesure ne dépasserait pas cent millions.

Plus généralement, on peut douter si ce type de projet contribue vraiment à économiser du CO2. Certains investissements auraient eu lieu de toute façon, et pour chaque crédit racheté, un pays industrialisé peut émettre un peu plus. Ainsi, les 60.000 barils de pétrole économisés au Salvador correspondent à plusieurs millions de litres de carburant que le Luxembourg peut continuer à vendre sur l’aire de Berchem. De surcroît, cela freine la prise de conscience dans les pays industrialisés. « Un changement du style de vie est indispensable », dit Kill, « plus on attend, plus ce sera difficile. » Après avoir passé beaucoup de temps à évaluer des projets CDM, elle met en garde l’ASTM de trop s’impliquer dans la recherche des « bonnes CDM ». Face à des défis comme la dépendance des énergies fossiles de nos sociétés et les besoins de transferts d’argent et de technologie du Nord vers le Sud, elle se demande si « chaque minute passée à réfléchir sur les CDM n’est pas une minute de perdue ».

Les conclusions que tire l’ASTM de ce séminaire sont consultables sous www.astm.lu (en allemand). Le lien « Die Lizenz, Geld in den Wind zu schießen » permet de télécharger un dossier de 2006 consacré à ce même sujet.

Les CDM, de Kyoto à Marrakech

Les « clean development mechanism » (CDM) font partie des « flexible mechanisms » (FM) prévus dans le protocole de Kyoto adopté en 1997. Ces mécanismes permettent aux pays industrialisés de réaliser une partie des réductions d’émissions en dehors de leur territoire. L’idée, mise en avant notamment par les Etats-Unis avant qu’ils ne se retirent du protocole, était de permettre une adaptation au moindre coût. Les détails des FM ont été réglés en 2001 lors de la conférence de Marrakech, notamment les critères à remplir pour qu’un projet soit reconnu CDM. Ceux-ci comprennent notamment l’impact environnemental, les effets en matière de développement, la consultation des acteurs locaux et l’additionnalité – le fait que ces projets apportent un plus par rapport au « business as usual ». Le Luxembourg, qui devra compenser quelque quatre millions de tonnes de CO2 par an, a créé un fonds spécial Kyoto, alimenté notamment par une faible surtaxe sur les carburants. Ce fonds, doté de 500 millions d’euros sur cinq ans, sera utilisé pour des mesures domestiques, mais surtout investi dans des FM. Les ONG environnementales et de développement se sont toujours prononcés contre un recours massif à cette solution. Ils invoquent le texte du protocole de Kyoto, qui définit les FM comme « supplémentaires » par rapport aux mesures de réduction domestiques. Mais le gouvernement estime que l’absence de limite chiffrée lui permet de couvrir plus des deux tiers de ses réductions par des projets à l’étranger.


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