« Sanxia Haoren », ou « Still Life » en anglais, est un film remarquable pour deux raisons : il montre l’autre versant du miracle économique chinois et il démontre que le cinéma asiatique n’a pas fini de nous surprendre.
La Chine – celle que nous connaissons des JT ou des débats télévisés – monte en puissance, des megacities y poussent comme des champignons et des centaines de millions de travailleurs oeuvrent chaque jour au déclin de l’Ouest en produisant plus, mais beaucoup moins cher et toujours avec un petit sourire narquois sur les lèvres. Par contre, la Chine que le réalisateur Zhangke Jia a filmée disparaît. Sous les flots, sous les coups rythmés des colonnes de démolisseurs ou tout simplement comme ça, comme une personne qui tout à coup n’est plus là. « Sanxia Haoren » fonctionne surtout grâce à la métaphore de la disparition. Une ville, Fengjie, doit disparaître sous les flots pour que le rêve du camarade Mao se réalise : le Barrage des Trois-Gorges, qui doit aider à subvenir aux besoins énergétiques croissants du pays. On connaît la délicatesse des bureaucrates chinois, et les petites gens qui remarquent un beau matin que quelqu’un leur a peint le signe « à démolir » sur leur maison ne s’offusquent que pour la forme. Et puis elles retombent dans leur léthargie.
Tout le monde semble fatigué dans ce film. C’est un peu comme si le réalisateur avait voulu peindre une contre-image de la Chine telle qu’elle aime se voir représentée. Il y a les longs travellings sur les joueurs de cartes dans l’intro du film, la quasi-catatonie permanente de Han, qui ne semble que bouger pour travailler ou pour manger, et la patience incroyable de Shen, la jeune infirmière qui part à la recherche de son mari disparu de sa vie il y a deux ans. C’est comme si la disparition – celle de la ville, celle du mari et celle de la femme de Han (il ne l’a pas vue depuis 16 ans) – hypnotisait tout le monde et faisait sombrer le film dans une sorte de demi-rêve. Zhangke Jia accentue cet aspect en intégrant quelques petits moments surréalistes comme le passage d’un ovni ou encore le fait que sur chaque chantier les marteaux des démolisseurs battent un rythme précis. La ville est perdue de toute façon et plus personne ne reste sur place, tout le monde n’est que de passage, que ce soit dans une autre province ou dans une autre vie.
La force de « Still Life » est de captiver sans les trahir ces mouvements par les moyens du cinéma et de leur donner un cadre digne.
« Sanxia Haoren », à l’Utopia