RELIGION ET LAïCITE: Dieu n’est pas encore mort !

Alors que les débats au sujet de la séparation de l’Eglise et de l’Etat refont surface, l’anticlérical Romain Durlet démissionne du groupe de travail socialiste « Laïcité et tolérance ».

Sarko chez les calotins : en bon réactionnaire, le président français estime que «l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé».

Elle se vend comme des petits pains. Des petits pains multipliés, évidemment. Depuis quelques mois, la Société biblique de Genève vend la bible à 1,50 euro. Un prix discount qui a favorisé la vente, de septembre à décembre 2007, de 500.000 exemplaires du livre chrétien dans l’ensemble du monde francophone. Rien qu’en France républicaine et laïque, la vente des livres saints s’est chiffrée, pendant cette période, à 200.000 unités. Pour le mois de février, une réimpression de 200.000 est prévue. Pourtant, certains catholiques critiquent aussi cette initiative, se désolant du bradage de la bible. Le christianisme serait-il en train de rivaliser avec la pornographie sur le terrain commercial ?

Quoi qu’il en soit, le thème religieux à de nouveau le vent en poupe, aussi bien auprès de ses adeptes que de ses détracteurs. Si le monde musulman connaît actuellement une résurgence de l’islam politique et extrême, que les lobbies chrétiens fondamentalistes continuent à jouer un rôle à la Maison blanche et que les concurrents républicains et démocrates à la fonction suprême débattent de sujets aussi farfelus que le lieu de naissance du prochain messie, l’Europe n’est pas plus épargnée par ce « roll back » mystique. L’élection du très traditionaliste cardinal Josef Ratzinger à la tête du Vatican témoigne d’un durcissement de la hiérarchie catholique.

Ce durcissement se fait ressentir tout particulièrement en Espagne, où l’Eglise locale, nostalgique du national-catholicisme, mobilise depuis des mois contre les réformes de société du gouvernement socialiste de Zapatero, en matière de mariages homosexuels, d’instruction religieuse ou de « divorce rapide ». Evidemment, les post-franquistes du Partido popular de l’ancien chef de gouvernement José María Aznar, relaient avec férocité ces attaques contre le « laïcisme radical » que l’Eglise espagnole impute au gouvernement. Le 30 décembre 2007, elle a même réuni, lors d’une manifestation monstre sur la Plaza Colón à Madrid, quelques centaines de milliers de manifestant-e-s en faveur de la « famille chrétienne ».

Avec l’élection à la présidence de la république française de Nicolas Sarkozy, la laïcité française n’est pas non plus épargnée des coups de boutoir réguliers de celui qui devrait être son protecteur suprême. Ce catholique convaincu ne cache pas sa volonté de mettre un terme à la version actuelle de la laïcité, lui préférant ce qu’il appelle une laïcité « positive », concept qu’il évoqua une première fois en 2004, dans son livre intitulé « La République, les religions, l’espoir » et qu’il oppose à une laïcité « agressive et sectaire ».

Les fans de dieu

Au Luxembourg, l’élément déclencheur du retour du débat religieux, notamment sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ainsi que sur la place des cours de doctrine catholique dans l’école publique, a été l’annonce du conventionnement de l’islam avec l’Etat, à l’instar d’autres cultes comme le catholicisme, le christianisme réformé, le judaïsme et le christianisme orthodoxe. Car voilà, les tenant-e-s des cours de religion catholique sont désormais confrontés à l’ancienne mise en garde des anti-cléricaux, à savoir qu’un jour d’autres cultes pourraient demander d’être traités sur un pied d’égalité et de pouvoir professer leurs opinions à l’école.

Le gouvernement, et en particulier son ministre des cultes, François Biltgen (CSV), en était conscient : s’il est impossible de refuser à l’islam luxembourgeois ce qui est permis aux autres chapelles, comment l’électorat conservateur va-t-il réagir dans l’hypothèse de l’étude du coran à l’école publique ? Rien d’étonnant que Biltgen souligna, lors d’une conférence de presse l’an passé, que la majorité des musulman-e-s du Luxembourg sont d’origine balkanique et non pas africaine ou orientale. Entendez : ils nous sont culturellement proches et moins militants. Le sujet prit pourtant un tour polémique à partir de la déclaration de la députée CSV Françoise Hetto-Gaasch en faveur d’une alternative au cours de religion, sous la forme d’un cours d’éducation aux « valeurs ». Le pire ennemi se trouve souvent dans ses propres rangs, même au CSV.

Pour couronner le tout, une poignée d’étudiants ont lancé, l’année passée, le site internet sokrates.lu, qui est entre-temps devenu une des principales plateformes virtuelles de la gauche locale. Si les débats les plus divers y sont menés dans les différents forums, l’initiative s’attache prioritairement à la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Elle a d’ailleurs forgé une alliance – « Bündnis fir Trennung vu Kirch a Staat » – regroupant notamment l’Union nationale des étudiant-e-s du Luxembourg, les Jeunesses socialistes, les jeunes Verts, les jeunes libéraux, déi Lénk ainsi que la Libre pensée et Liberté de conscience (Libco).

Le dernier évènement en date est certainement la démission, au mois de décembre, d’une des figures de l’anticléricalisme, de Romain Durlet, journaliste au Tageblatt et ancien conseiller communal socialiste dans la capitale, de son poste de président du groupe de travail du LSAP « Laïcité et tolérance ». Deux autres membres du groupe lui ont emboîté le pas, à savoir l’ancien commissaire de district Jean-Pierre Sinner et Charles Hentges. Révélée récemment par RTL, l’information peut paraître surprenante alors que le débat sur la position des cultes dans l’Etat luxembourgeois ne s’est plus aussi bien porté depuis longtemps.

« Comme a dit André Gide : `Il est un temps de rire, il est un temps d’avoir ri‘ », commente Romain Durlet en reprenant André Gide, pour justifier sa démission. « Cela fait 15 ans que nous nous occupions de ce groupe de travail, et aucune de nos prises de position, pourtant approuvées par tous les congrès du parti, n’a jamais été prise en compte », s’explique-t-il, amer. Mais la goutte qui a fait déborder le vase est d’une autre nature. En surfant sur le site du parti, Durlet a eu la surprise de constater que le « responsable » de « son » groupe était le député socialiste et chef de groupe au conseil communal de Luxembourg, Marc Angel.

Ce dernier, pour sa part, ne comprend pas l’attitude de Romain Durlet. Comme pour chaque groupe de travail interne, le comité directeur du parti nomme un « responsable », à côté du président du groupe, qui lui est élu par ses membres. Mais l’interprétation de Durlet est légèrement différente : « Un membre du comité directeur doit accompagner chaque groupe, mais c’est le président du groupe qui en reste le responsable ! ».

Durlet crucifié

Romain Durlet aurait-il été victime d’un putsch ourdi par la direction ? C’est ce que l’on pourrait croire en lisant les propos du président Alex Bodry, relatés par le « Journal », selon lesquels le groupe de travail « Laïcité et tolérance » n’aurait pas fait preuve du « réalisme nécessaire ». Officiellement, la ligne du groupe de travail ne changera pas en l’absence de Romain Durlet. « Nous allons continuer à travailler sur les acquis », explique Angel. La prochaine réunion du groupe désignera par ailleurs un nouveau président. Et d’ajouter qu’il trouve « dommage qu’il (Durlet, ndlr) nous ait quitté, car il avait toujours de très bonnes idées ». Les bonnes idées suffisent-elles ? Selon Angel, le groupe de travail sous la présidence de Durlet n’avait plus d’activités propres depuis un certain temps : « On m’a demandé de le réactiver ».

En-dehors des divergences d’interprétation des statuts, il semble toutefois qu’Angel et Durlet tirent un bilan différent du travail du LSAP en faveur de la laïcisation de la société. Là où Angel voit quelques « avancés », notamment la création du « Neie Lycée » qui dispense un cours d’éducation aux valeurs, Romain Durlet est plus tranchant : « Le parti est obsédé par la participation gouvernementale avec les chrétiens-sociaux. Mais ces derniers n’accepteront jamais que l’on touche à l’église ! Au moins, si la coalition était sans eux, nous pourrions faire des progrès et même avoir le poste de premier ministre ».

« Je ne suis pas contre une coalition sans le CSV, au contraire. Mais ce n’est pour l’instant pas possible. Et il faut savoir où sont les priorités », rétorque Angel. Le député s’interroge sur le fait de savoir si la séparation de l’Eglise et de l’Etat « intéresse vraiment les gens » et pense à d’autres progrès que le parti peut atteindre dans d’autres domaines, comme la réforme scolaire.

« Evidemment, à l’heure actuelle, les gens s’intéressent plutôt à l’avenir de leurs emplois », estime Cécile Paulus, présidente de Libco. Et d’enchaîner : « D’autres ont peut-être aussi peur de le perdre, étant donné que l’Eglise catholique en pourvoit beaucoup à travers des organisations comme la Caritas ». Plus que spirituelle, l’Eglise catholique luxembourgeoise est surtout une institution de pouvoir au sein de laquelle associations, presse, parti, syndicats, initiatives locales et autres constituent un véritable enchevêtrement d’intérêts particuliers. Et Cécile Paulus de craindre que, finalement, le cours d’éducation aux valeurs pourrait tout aussi bien se révéler être un « cours de religion caché ». L’association qu’elle préside a d’ailleurs demandé que des représentants laïcs puissent être intégrés à la commission nationale d’éthique qui élabore le programme de ce nouveau cours. Une chose est sûre : au Luxembourg, l’Eglise est l’institution qui a le plus expérimenté le pouvoir. Et elle n’est pas prête à le lâcher.


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