Depuis un an, une proposition de loi visant à moderniser la législation arriérée du Luxembourg en matière d’IVG croupit dans les tiroirs du parlement. Dans l’indifférence générale.
« Mon père se faisait traiter de meurtrier ». Ce père, c’était celui de Carlo Wagner, député libéral et ancien ministre de la santé. Comme son fils, il siégeait à la Chambre des député-e-s pour le DP et en 1978 avait approuvé la loi sur la libéralisation partielle de l’intervention volontaire de grossesse (IVG) au temps de la coalition sociale-libérale du gouvernement Thorn. A l’époque, le vote de cette loi avait fait vibrer les coeurs, et l’opposition chrétienne-sociale, l’Eglise ainsi que son organe de presse, le « Wort », avaient mené une de leurs campagnes violemment diffamatoires dont ils ont le secret… comme l’a rappelé le récent débat autour de l’euthanasie. Alors que la plupart des Etats modernes se sont dotés d’une législation décriminalisant l’avortement, le Luxembourg fait partie des « lanternes rouges » européennes.
En 2007 également – le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale de la femme – la députée socialiste Lydie Err a déposé sa proposition de loi autorisant une IVG sans besoin d’indication médicale comme le prévoit la législation actuelle (voir woxx 893). Pourtant, depuis le dépôt de la proposition de loi, plus personne n’en a vraiment parlé. Raison de plus pour le woxx de tenter de percer les raisons de ce mutisme.
L’accord gouvernemental passé entre le CSV et le LSAP en 2004 ne pipe mot d’une réforme de l’IVG. Les accords de coalition, c’est un peu comme les lois : ce qui n’est pas formellement interdit, est autorisé. Toutefois, les partenaires de coalition se seraient entendus que le sujet ne serait pas à l’ordre du jour : « Il y a un accord tacite entre les partenaires de coalition pour ne pas engager une réforme de l’IVG durant cette législature », explique au woxx Mars Di Bartolomeo, ministre de la santé (LSAP). C’est la raison pour laquelle le Conseil de gouvernement n’a pas délibéré sur la proposition de loi de Lydie Err.
Pas sous cette législature
Si, à titre personnel, le ministre se dit d’accord avec la proposition de sa camarade de parti, il n’envisage pas de briser la loyauté gouvernementale sur ce point, préférant « veiller à ce que la loi actuelle soit appliquée correctement ». De plus, il se félicite d’avoir autorisé la vente libre de la « pilule du lendemain » dans les pharmacies en 2005. « Mais si la discussion sur l’avortement venait à s’imposer, je n’émettrais pas d’avis négatif sur une éventuelle réforme. Je serais alors prêt à participer au débat », tient-il à souligner. Manière de dire que la balle est dans le camp de l’opinion publique et de sa capacité à faire pression.
C’est justement là que le bât blesse. Depuis le 8 mars dernier, le texte dort tranquillement dans un tiroir de l’administration camérale sans que personne ne s’en préoccupe. Ce n’est évidemment pas le CSV, déjà échaudé par le débat sur l’euthanasie, qui ira le repêcher. En toute logique, les organisations féministes devraient prendre le relais de Lydie Err. Bizarrement, ces dernières ne se sont pas vraiment impliquées dans le soutien à la proposition de loi.
Selon une comptabilité établie par le Planning familial en 2005 et 2006, 4 % des demandes d’IVG qui lui ont été adressées, l’ont été par des filles de moins de 16 ans et 50 % de femmes de moins de 25 ans. Et si l’avortement sans indication médicale est en théorie interdit, certains médecins le pratiquent tout de même, masquant l’intervention en « curetage ». Mais il vaut mieux que la femme dispose des connaissances nécessaires dans le milieu médical pour pouvoir bénéficier d’une telle intervention, ce qui favorise celles issues de milieux plus aisés. L’alternative reste le voyage dans un de nos pays voisins pratiquant légalement l’IVG : pour cela, la patiente doit débourser entre 250 et 300 euros, voire 500, sans espoir évidemment de se voir rembourser les frais. Ainsi, la législation actuelle est également facteur de discrimination sociale entre femmes.
Malheureusement, il est impossible de se procurer les chiffres exacts des femmes résidant au Luxembourg qui optent pour cette solution. Bien que l’Organisation mondiale de la santé demande régulièrement ces chiffres à l’Etat luxembourgeois, celui-ci se soustrait à cette responsabilité en invoquant le secret médical. Ce que réfute la présidente du Planning, Danielle Igniti : « Dans cette logique, on ne tient alors aucune comptabilité d’aucune maladie ». D’ailleurs, une fonctionnaire du ministère de la santé, contactée par le woxx, concède que cette question « constitue un trou noir », tout en insinuant que ces chiffres ne seraient pas vraiment souhaités. Les seules chiffres disponibles sont ceux récoltés par le Planning qui affirme recevoir chaque année entre 200 et 300 demandes d’IVG.
Alors que les célébrations de la journée internationale de la femme approchent, les organisations féminines passent à côté de la problématique. Réunies en congrès lundi dernier, les Femmes socialistes (FS) ont surtout discuté des quotas sur les listes électorales. Si aucune action des FS n’est prévue à ce sujet, leur présidente Claudia Dall’Agnol dit soutenir la proposition de loi. Une action commune avec d’autres organisations de femmes est-elle possible ? « Je peux me l’imaginer, il ne faut pas attendre les hommes pour le faire à notre place ! »
Aucune mobilisation
Les femmes non plus, apparemment. Ainsi, le Conseil national des femmes du Luxembourg (CNFL), la confédération des organisations féminines, est apparemment dans l’incapacité de prendre position. Sa présidente actuelle, la députée CSV Christine Doerner, ne semble pas non plus enthousiaste à s’exprimer sur ce sujet. Les multiples sollicitations du woxx sont restées sans réponse. Il faut aussi dire que l’organe est très hétérogène et rassemble des organisations de toutes les tendances politiques et religieuses, donc aussi des organisations catholiques.
Mais du côté progressiste, ce n’est pas mieux. Lidia, une fédération qui regroupe des associations de femmes plutôt de gauche, ne s’est pas non plus exprimée sur ce sujet. La responsable de l’organisation, Nicole Lorentz, concède qu’il est « vrai que l’initiative devrait venir de nous en tant qu’organisation progressiste », mais que « nos associations sont portées par des bénévoles elles-mêmes à nouveau engagées dans diverses autres associations ». En gros, pas de lutte faute de combattantes. Idem auprès du Centre d’information et de documentation des femmes (Cid-femmes). Christa Brömmel, la responsable pour la politique des femmes, avoue que son organisation n’a rien entrepris depuis le dépôt de la proposition de loi. Consciente néanmoins de l’importance du sujet, elle rappelle que le Cid-femmes maintient sa revendication de libéraliser la loi sur l’IVG.
Au niveau politique, le texte n’a pas plus de chances d’aboutir sous cette législature. Lydia Mutsch (LSAP), la présidente de la commission parlementaire de la santé, est encore toute secouée par la tourmente autour des textes sur les soins palliatifs et de l’euthanasie, votés la semaine passée : « Je viens d’apprendre que le Conseil d’Etat n’accorde pas de dispense de second vote sur les deux textes. Ce sujet va donc accaparer les travaux de la commission pour un certain temps. » Par ailleurs, la commission sera également occupée par la création du statut unique. En clair, la réforme de l’IVG devra attendre.
Côté chrétien-social, la députée Nancy Kemp-Arendt, qui s’est illustrée en votant en tant que seule membre de sa fraction en faveur de l’euthanasie, pense également qu’une modernisation de la loi sur l’avortement est nécessaire. « D’un côté, je trouve édifiant qu’avec tous les moyens de contraception à disposition de nos jours, ce genre de problème puisse encore se poser. Mais de l’autre côté, je ne veux pas interdire à une femme la possibilité de disposer de son corps », explique Kemp-Arendt. Elle ne croit pas que cette loi sera votée avant les prochaines élections, mais elle pense que son parti devrait engager une réflexion sur ce sujet. Il ne manquerait plus que ça : que le CSV réalise une revendication historique du mouvement féministe.