SIDERURGIE: Tragédie grecque

Le groupe ArcelorMittal ne va définitivement pas changer d’avis sur le site de Gandrange. Reconstruction d’un leurre systématique.

La sidérurgie lorraine meurt lentement et ce n’est pas la faute à ses ouvriers.

Voir des métallurgistes défiler devant les quartiers généraux du groupe ArcelorMittal dans l’avenue de la Liberté est devenu une triste habitude pour les riverains du siège. A chaque fois qu’un site est en danger, c’est la même histoire : les patrons promettent d’écouter les syndicats, les politiques promettent d’aider à trouver des solutions et les syndicats essaient d’être diplomates pour faire avancer les choses. Idem pour ce qui s’est passé pour Gandrange. L’intention du groupe ArcelorMittal de fermer la moitié du site et de supprimer 595 emplois a d’abord été une surprise pour les concerné-e-s. Gandrange a pendant longtemps été – et surtout avant la reprise d’Arcelor par le magnat indien – l’usine-type que le groupe voulait promouvoir. Une sorte d’accessoire pour l’image, l’illustration de la « corporate identity » de Mittal, dont le principal atout était de dire à celles et à ceux qui doutaient des bonnes intentions de Lakshmi Mittal : « Regardez ce qu’on a fait en Lorraine. On a investi dans un site délaissé par Arcelor, on a embauché des jeunes et on les forme même pour donner un avenir à la sidérurgie dans la région ». Même les syndicalistes de Gandrange étaient – une fois n’est pas coutume – entièrement d’accord avec leur patron.

Mais il semble bien que cela n’ait été qu’un leurre. Dès l’annonce de l’intention d’ArcelorMittal de vouloir partiellement fermer le site et ne garder que le laminoir, les syndicats ont réagit. Hors des manifestations et séquestrations de la direction, qui appartiennent au folklore traditionnel de la lutte syndicale, ils se mettent à élaborer un contre-projet. « Notre idée était de démontrer que le site de Gandrange était tout à fait viable, à condition d’y investir », commente Didier Zint, secrétaire général du syndicat métallurgie-sidérurgie nord-lorraine (CFDT). Avec l’aide d’un expert et en utilisant des chiffres fournis par ArcelorMittal, le contre-projet a vu le jour. « D’autres experts nous ont même félicités de cette excellente analyse », raconte Zint. Mais déjà pendant l’élaboration de ce papier sur lequel se basaient les espoirs de centaines d’ouvriers, le groupe sidérurgique ne s’est pas montré très coopératif. « Nous avons demandé plusieurs fois à rencontrer des membres de la direction d’ArcelorMittal, mais nous n’avons jamais été reçus, ces messieurs étant en voyage d’affaires permanent ».

Alors que le contact avec la direction du groupe ne s’est jamais vraiment établi, cette dernière a été prompte à classer le contre-projet. « Ils ont mis notre projet à la poubelle, en argumentant que les chiffres sur lesquels le document est basé sont faux », rapporte Zint. Et selon lui, ce ne serait pas la seule contradiction dans l’argumentation du groupe.

Mittal conteste ses chiffres

Pour Zint, une chose est claire dans le comportement du groupe : « Il s’agit décidément d’une décision à caractère politique. Pour ArcelorMittal, l’intérêt principal est de ne pas créer de précédent ». S’il est vrai qu’accepter l’expertise d’un syndicat est certainement une pilule amère pour le patron d’une des plus grandes multinationales de la planète, on peut se demander pourquoi ArcelorMittal a déclaré vouloir cautionner ce projet, quitte à attendre qu’il soit fin prêt. Le soupçon que le groupe ait purement et simplement agi par démagogie flotte dans l’air.

Mais il reste un espoir : la politique. Même si l’intervention de Bling-bling Sarkozy a Gandrange a aussi été taxée de démagogie politique par ses adversaires, la CFDT place toujours quelque lueurs d’espoir dans le président de la République : « Nous avons sollicité une entrevue à l’Elysée », raconte-t-il, « afin de voir ce qui est la `solution française‘ évoquée par le président lors de sa visite à Gandrange. Il devrait même y avoir une nouvelle rencontre entre Sarkozy et Mittal dans les jours qui viennent, mais le géant indien laissera-t-il s’amadouer par le président français ? Rien n’est moins sûr, déjà que la première fois que les deux hommes se sont vus, cela n’a rien rapporté de concret. La même chose serait d’ailleurs à attendre de l’initiative de la députée PS Aurélie Fillipetti, qui voudrait appeler notre Jean-Claude Juncker national à entrer dans la ronde : « Je n’en pense pas grand chose de cette idée », commente Zint, « peut-être qu’ensemble Sarkozy et Juncker pourraient obtenir quelque chose de Mittal, mais l’espoir est trop mince pour tabler là-dessus ». Ensemble, tout devient possible ? Tu parles ?

Ce qui manque surtout aux ouvriers de Gandrange : des perspectives concrètes, même négatives. Rien n’est plus démotivant que de ne pas savoir où le sort vous mène et de continuer à travailler en même temps. Les repreneurs éventuels, dont les médias ont étayé les noms ces derniers mois, se sont tous rétractés un à un. Ce qui ne surprend nullement Zint : «Il est absolument clair qu’ArcelorMittal n’a jamais eu l’intention de céder l’intégralité du site de Gandrange à un concurrent. C’est même très compréhensible. Mais qui voudrait acheter un demi-site dans une région dans laquelle il faut faire des investissements ? ». Les efforts des hommes politiques, dont le maire d’Amnéville Jean Kiffer, de chercher des repreneurs potentiels, auront donc été vains.

Pas de repreneurs

Mais ce n’est pas pour autant que l’intersyndicale va baisser les bras. En effet, il y a aussi des nouvelles moins apocalyptiques de la part d’ArcelorMittal. Ainsi, il est question de supprimer environ 20 emplois en moins sur le site de Gandrange et le groupe a même fait entendre que l’idée de co-financer un centre de formation des métiers de la sidérurgie « l’intéressait ». A part ça, le plan de restructuration reste assez flou : « Nous ne savons toujours pas comment reclasser les ouvriers de Gandrange au Luxembourg, car apparemment ce serait impossible selon nos confrères syndicalistes luxembourgeois ». Tandis que le transfert de certains emplois sur le site de Florange a déjà été avalisé par le gouvernement français, selon les dires du premier ministre François Fillon. Cela n’empêche malheureusement pas que beaucoup d’employés plus âgés vont se retrouver au chômage avant de pouvoir toucher une retraite qui s’annonce maigrichonne. Car qui emploiera des personnes de plus de 50 ans dans la sidérurgie en Lorraine, si ce n’est ArcelorMittal ? « Pour ceux-là, rien n’a été prévu », précise Zint « Je trouve que cette attitude est contradictoire de la part de notre gouvernement. D’un côté, il allonge la durée du temps de travail pour que tout le monde puisse travailler plus pour gagner plus, de l’autre, il accepte que des personnes plus âgées se retrouvent à la porte, sans cligner de l‘?il ».

Toujours est-il que c’est la démarche de M. Mittal qui outre le plus les syndicalistes: « Nous sommes très remontés contre le groupe. Le mépris dont ils ont fait preuve en mettant le contre-projet à la poubelle est contre-productif. Cette manière arrogante ne les aidera pas pour les négociations futures. ArcelorMittal ne sort pas grandi de cet exploit. Le groupe a joué au poker menteur et avec les syndicats et avec les politiques. En promettant de belles choses, ils ont leurré tout le monde. Car, à la fin, ça représente quoi un petit investissement pour une firme qui a fait un bénéfice de 7 milliards d’euros en 2007 ?».

L’histoire du site de Gandrange et de la lutte de ses ouvriers pour avoir au moins un droit de regard sur leur sort démontre une fois de plus que les belles paroles ne valent pas grand-chose, quand le gain est en jeu.


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