LANGUES: Un accident de l’histoire ?

En lançant une offensive pour la langue luxembourgeoise, le CSV s’avance dans un terrain miné, qu’il ne veut pas laisser aux tendances d’extrême-droite.

« L’identité luxembourgeoise est un accident de l’histoire », a déclaré François Biltgen en tant que président du comité national du CSV lors de la présentation de l’offensive, avant de se jeter dans une longue explication historique sur la construction de notre identité nationale. S’il est juste que le seul fait que ce pays existe a moins à voir avec une forte identité nationale qu’avec les aléas de l’histoire, il n’en demeure pas moins vrai que la langue luxembourgeoise en tant qu’élément fondateur d’une identité nationale présente quelques handicaps majeurs.

D’abord, presque personne dans ce pays ne peut – honnêtement – prétendre écrire correctement notre langue. Ecrire en luxembourgeois dans la vie quotidienne a repris la côte indéniablement. Pourtant, lorsqu’on envoie des mails ou des sms, ce n’est pas la langue du Renert qui se retrouve sur les écrans, mais un amalgame entre plusieurs langues pourvus de néologismes qui feraient r(o)ugir un Lex Roth – le grand défenseur de « notre langue ». De plus, si l’existence d’une littérature luxembourgeoise est indéniable, elle reste et restera tout aussi indubitablement marginale, économiquement et culturellement parlant. Car la réalité linguistique au grand-duché est autre : elle est plurilingue, et le plus souvent le luxembourgeois a tendance à être relégué au troisième rang des langues officielles, derrière le français et l’allemand. Vouloir changer une telle situation en légiférant est absurde et relèverait de la démagogie, ça, même le CSV le sait. C’est pourquoi il tente de relativiser la donne. En déclarant que le luxembourgeois serait une langue « inclusive » qui ne rejette pas ceux qui ne la parlent pas ou que très moyennement, le parti chrétien social tente de concilier les extrêmes : d’un côté les associations d’étrangers qui critiquent toujours l’obligation de parler la langue du pays pour en obtenir la nationalité et de l’autre les Luxembourgeois chauvins qui pâtissent du fantasme de perte d’identité à cause de « l’invasion » étrangère.

Ces derniers, malheureusement, appartiennent aussi en partie à l’électorat potentiel des conservateurs et le parti ne peut les ignorer. Comme disait le philosophe et nihiliste roumain Emile Cioran : « On n’habite pas un pays, on habite une langue ». Il n’y a qu’à parcourir le web luxo pour tomber sur des sites patriotiques et se rendre compte que la langue est un de leurs premiers chevaux de bataille. Ces éternels nostalgiques d’un passé inexistant rêvent d’un pays où tout le monde serait forcé de parler luxembourgeois, alors qu’eux-mêmes savent à peine l’écrire – comme on peut le constater dans les commentaires. La question est de savoir à quoi servent les mesures préconisées par le CSV ? Renforcer la référence à la langue dans la constitution n’apporte pas grand chose – d’ailleurs celle-ci reste rédigée en français. Publier des brochures ? – Un moyen discret et efficace de campagne électorale à droite. Renforcer le luxembourgeois à l’école ? – Avec les temps qui courent, il serait plus avisé d’enseigner le chinois dès le précoce pour préparer les gosses au monde à venir. Seul un traitement universitaire de la langue – qui manquait jusqu’à présent – est utile. Mais forcer les étrangers à parler une langue qui ne leur rapporte strictement rien, ne sert qu’à satisfaire une certaine clientèle qu’on trouve sur les comptoirs de bistrots, cachés derrière leurs préjugés.

En bref : personne ne pourra prétendre que le CSV n’est pas déjà en train de mener sa campagne électorale.


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