La censure d’une représentation de la famille grand-ducale jugée inapproprié par l’ambassadeur luxembourgeois en Belgique n’est qu’une infime partie de la censure quotidienne.
Oui, c’est un scandale. Mais non pas à cause des faits, mais parce qu’on en parle. Le fait que son excellence l’ambassadeur Alphonse Berns ait refusé la vision personnelle de la monarchie de l’artiste Steve Jakobs, ne ridiculise que le censeur lui-même. Finalement, les seuls pays à sanctionner durement des crimes de lèse-majesté, comme la Thailande par exemple, ne sont pas des exemples de démocratie. Ainsi, si Steve Jakobs avait ridiculisé le premier ministre, personne n’aurait crié au scandale – c’est donc la qualité d’appartenir à la monarchie qui crée le tabou. Et Jean Asselborn, qui défend son ambassadeur, aurait mieux fait d’y réfléchir à deux fois avant de légitimer cette censure. Il ne s’est sûrement pas fait beaucoup d’amis avec ce geste.
Pourtant, cette anecdote – qui ne rapportera en fin de compte qu’à l’artiste, car une meilleure pub ne s’invente pas – devrait nous mener à nous interroger sur le but même de la censure. Dans le cas d’Henri aux oreilles de Mickey, c’est la protection de la famille grand-ducale qui est invoquée. Censurer pour protéger : une maxime qui à première vue peut sembler illogique mais qui trouve toute sa saveur en analysant un peu les différents modes de censure. Car, par la censure, les autorités en place cherchent surtout à se protéger eux-mêmes, et dans un second temps, ils veulent protéger aussi la société d’elle-même.
Par exemple : la censure à l’ambassade de Bruxelles a suscité de nombreuses réactions. Mais plus intéressantes que celles-ci sont les non-réactions : dans le Wort par exemple, on ne trouvait pas un seul mot sur l’affaire. Ce qui est d’ailleurs monnaie courante dans ce journal : l’histoire de la jeune brésilienne excommuniquée pour avoir avortée ne s’y trouve pas non plus. Pourquoi les plus catholiques que le pape ont-ils choisi de censurer la censure ? – Tout simplement pour préserver leur fiction d’un Etat conservateur, une sorte de Disneyland où rien ne va mal et aussi pour ne pas avoir à attaquer un gouvernement dont ils sont le support. Le pouvoir, ou ses chiens de garde pratiquent la censure pour se préserver.
Mais d’autres formes de censure plus subtiles subsistent dans notre quotidien. Par exemple, le journaliste qui doit trier et donc hiérarchiser l’info est aussi un censeur – même s’il l’est involontairement. Un phénomène d’autant plus dangereux que les médias sont dépendants du secteur économique : le jour où l’on ne vendra que des informations que le public veut connaître est passé depuis longtemps, il suffit de regarder les JT sur les chaînes privées, surtout allemandes, pour s’en apercevoir. Big Brother plus important qu’une nouvelle famine dans le Tiers Monde – c’est déjà une forme de censure économique. Et on pourrait continuer la liste pour longtemps encore. La censure est comme l’eau : on la supprime sur le papier, mais elle trouve toujours un chemin pour s’insinuer dans nos vies. Et c’est normal, car représenter toute la vérité en permanence et sur tout est chose impossible.
Une chose, pourtant, est sûre : la censure est inhérente à la société, c’est un réflexe dont aucun régime ne peut s’offrir le luxe de ne pas en profiter. A défaut donc de supprimer la censure, il faut connaître les censeurs. Car, non seulement ce qu’ils suppriment est intéressant, le pourquoi l’est d’autant plus – il aide à comprendre les failles, les talons d’Achille de chaque régime qui en use et abuse. Ce qui peut aider beaucoup celles et ceux qui veulent changer les choses.