PUBLICATION ANTICIPÉE: Un certain avenir

En fouillant les archives du woxx à l’occasion de la célébration de son 20e anniversaire, nous avons trouvé cet article étrange dans notre réseau informatique. Tout porte à croire qu’une brèche spatio-temporelle s’est insinuée dans notre server central, nous refilant ainsi un texte probablement rédigé en 2016 et dont nous ne savons pas s’il a pu être publié. Maintenant, c’est fait.

Une époque révolue : un Frieden de bonne humeur entouré d’anciens collègues de gouvernement faisant grise mine. Se doutaient-ils déjà de l’avenir du futur « Bon Comptable » ?

Le premier ministre et ministre du redressement financier et économique Luc Frieden (NAVP, Nationalalternativ Vollekspartei), s’est voulu rassurant ce mardi lors de son briefing commun avec son homologue, le premier ministre du Royaume Wallonie-Belgique (RWB) Elio Di Rupo : « La coopération renforcée que nous venons de conclure avec nos voisins wallons – pardon, belges – ne met en aucun cas en question la souveraineté et l’indépendance du Luxembourg. En ces temps de crise, c’est la solidarité qui doit l’emporter. »

Le terme solidarité doit sonner comme un voeu pieux aux oreilles de l’indéboulonnable premier socialiste de ce qu’il reste de la Belgique. L’accord d’indépendance accordé à la République flamande en janvier 2015 laisse la Wallonie exsangue. Et les durs affrontements de six mois entre Flamands et Francophones qui ont ensanglanté Bruxelles et sa périphérie continuent à maintenir une tension entre les deux nations nouvellement créées. Quant au gouvernement du RWB, composé des socialistes plutôt favorables au rattachement avec le Luxembourg et le Rassemblement Wallonie-France (RWF), qui prône une intégration à la République française, il n’est pas près de trouver une position déterminée. Côté nord, l’histoire se montre ironique : si les Flamingants ont enfin réalisé leur rêve d’indépendance, la situation économique catastrophique de leur pays, la non reconnaissance de l’indépendance flamande par d’autres pays – notamment l’Espagne où les autonomies basques et catalanes menacent régulièrement de proclamer leur indépendance – et la perte de Bruxelles, mise sous mandat provisoire des Nations Unies, les poussent à se rattacher aux voisins néerlandais. Les Flandres à nouveau hollandaises : c’est Charles Quint qui doit rire du fond de sa tombe.

« L’accord de coopération renforcée doit permettre à nos deux nations d’intensifier leurs relations et de contribuer à la reconstruction harmonieuse de leurs systèmes économiques respectifs. Les décisions engageant le RWB continueront d’être prises à Namur, tout comme celles engageant le Luxembourg continueront d’être prises à Luxembourg », ajoute Di Rupo. Les journalistes belgo-wallons présents ne semblaient pas être dupes : à Namur, la capitale du RWB, tout comme à Luxembourg, il est un secret de Polichinelle que les deux gouvernements travaillent à une fusion des deux Etats. Si pour l’instant, en RWB, c’est le camp luxophile qui semble avoir pris le dessus sur les francophiles, les intentions de Frieden ne sont un secret pour personne : d’une part parce qu’il est conscient de l’impossibilité de redresser l’économie du petit Luxembourg, après le « Tsunami financier » de 2012. D’autre part, parce qu’il se verrait bien à la tête de ce nouvel Etat. Déjà, la situation relativement plus saine des finances luxembourgeoises, imputée au « Bon Comptable », comme le surnomment désormais également certains de nos voisins du nord, commence à lui conférer une popularité croissante de l’autre côté des frontières.

Mais la section belge d’Amnesty et la Ligue des Droits de l’Homme belgo-wallone s’inquiètent, dans un communiqué de presse conjoint, de ce rapprochement : « Certes, le Grand-Duché du Luxembourg n’a pas aboli tous les droits démocratiques du pays. Mais le caractère autoritaire de la gestion des affaires publiques par le premier ministre luxembourgeois, ainsi que les pressions amplifiées sur les journalistes et les membres des ONG locales, nous inquiètent au plus haut point. » Ce qui a fait bondir le ministre de l’Intérieur, de la Défense et de la Promotion masculine, Fernand Kartheiser (NAVP) : « Le gouvernement luxembourgeois n’a de leçons à recevoir de personne. Que les organisations de défense de droits de l’homme belges balayent devant leur porte et s’occupent des responsables du génocide de Halle-Vilvoorde ».

Pourtant, comme le woxx l’avait rapporté (voir woxx 1348), les pressions commencent à prendre en effet un tournant inquiétant : l’interpellation par la police de notre rédacteur Richard Graf et sa mise en garde à vue durant deux jours, suite à la rédaction d’un éditorial critiquant le budget pour 2017, a certes soulevé un mouvement d’indignation des associations de journalistes, mais le gouvernement n’a toujours pas tenu à s’exprimer sur ce sujet. Et le ministre Kartheiser, en réponse à une question orale du député vert Jean Huss, s’est contenté de mettre ces interrogations sur le compte « d’une paranoïa sénile ». Sans parler de la mise en demeure du ministre de la Culture populaire et de la préservation de l’identité luxembourgeoise, Robert Mehlen (NAVP), à l’égard de différents journalistes culturels, dont notre collègue Luc Caregari, de cesser de privilégier la critique d’« oeuvres culturelles aliénées et décadentes, ne reflétant pas à sa juste valeur le caractère véritable du peuple luxembourgeois ».

Dans son édition de mercredi, le quotidien belgo-wallon « Le Soir » s’interroge d’ailleurs sur la forme de constitution qu’une possible Confédération belgo-luxembourgeoise pourrait prendre : « Quid de ce qu’il nous reste de la Belgique et de ses libertés ? Notre nation, à l’avant-garde des révolutions libérales au 19e siècle, va-t-elle brader ses valeurs démocratiques pour une union douteuse avec le régime autoritaire de M. Frieden ? Nous avons su conserver nos libertés malgré les sanglants affrontements qui nous opposèrent aux Flamands. La Belgique a certes été amputée de sa partie septentrionale, mais son esprit démocratique est resté intact. Nous avons assez souffert et nous souffrons assez pour nous priver de ce qu’il nous reste de plus cher : la liberté ».

« Le gouvernement luxembourgeois n’a de leçons à recevoir de personne. Que les organisations de défense de droits de l’homme belges balayent devant leur porte et s’occupent des responsables du génocide de Halle-Vilvoorde ».

Si les éditorialistes du Soir et une bonne partie de l’intelligentsia de gauche ainsi que les syndicats du Royaume restent farouchement opposés à toute forme de rattachement de leur Etat croupion, leurs mises en garde ne trouvent guère d’échos. Un rattachement à la République française, voulu par le Consul Nicolas Sarkozy, n’est certes guère envisageable aux yeux de tout démocrate. L’adoption de la constitution de la 6e République (ou du 3e Empire, comme disent les mauvaises langues), dont les pouvoirs du chef de l’Etat ne sont limités que par une assemblée élue par les « créateurs de richesses », celles et ceux concerné-e-s par le « bouclier fiscal » plafonné à 20 pour cent, n’a plus rien de cette république autrefois encore adulée par certains rattachistes. Et ses affinités avec Silvio Berlusconi, président à vie de la République sociale et des libertés italienne, effraient même une partie de la droite traditionnelle.

Mais voilà : si une partie de la gauche belgo-wallone pouvait accepter une fusion avec le Grand-Duché, la « retouche constitutionnelle » opérée par Luc Frieden en 2014 inquiète désormais les plus luxophiles outre-Attert, même si Elio Di Rupo se dit confiant que le « renforcement des liens entre le Luxembourg et le RWB saura influencer positivement la culture démocratique des deux pays ». Encore des voeux pieux ?

Probablement : l’ajout dans la constitution luxembourgeoise d’un article permettant « au ministre en charge des finances de prendre, en temps de crise financière et économique, toutes les mesures nécessaires pour redresser l’économie nationale sans en référer au pouvoir législatif », rappelle de mauvais souvenirs. Il n’est d’ailleurs pas un hasard si les premiers doutes publics furent formulés par Radio Latina, la radio lusophone : le commentateur y rappelait qu’un certain Oliveira de Salazar avait débuté sa carrière de dictateur de manière similaire.

Mais qui aurait prévu, il y a dix ans encore, que la situation mondiale puisse changer aussi radicalement des systèmes politiques réputés pour leur stabilité ? Alors que d’aucuns croyaient encore que le G20 d’avril 2009 allait sortir le monde que le capitalisme avait plongé dans ce qui n’était alors que le début de la crise économique, les années qui suivirent ne firent qu’aggraver la situation. La banqueroute de certains Etats membres d’une Union européenne à l’existence de plus en plus symbolique n’affecta pas seulement l’Italie dont Berlusconi paracheva la quasi-fascisation déjà entamée des années plus tôt. Et tandis que la Grande-Bretagne et l’Allemagne ne parvenaient plus à sortir d’une instabilité politique permanente, Nicolas Sarkozy profita des grandes émeutes d’octobre-décembre 2011 pour décréter l’état d’urgence, changer la constitution et s’approprier la quasi-totalité des pouvoirs, manière d’étouffer dans l’oeuf une révolution naissante et de faire arrêter Olivier Besancenot.

2012 marqua également un tournant dans la vie politique luxembourgeoise. Les mesures d’austérité réclamées par les Verts et les libéraux firent éclater le LSAP, dont l’aile gauche fusionna avec déi Lénk pour former l’AFS (Allianz fir den Sozialismus). Même le parti communiste rejoignit la nouvelle formation. Avec la perte de sa majorité, il ne restait d’autre alternative au gouvernement Asselborn-Meisch-Bausch que de convoquer des élections anticipées, remportées haut la main par le tout nouveau NAVP, fruit d’une fusion entre l’ancien CSV et l’ADR et emmené par Luc Frieden. Et si la tentative de l’ancien premier ministre Jean-Claude Juncker de réveiller une UE moribonde en faisant adopter à la hussarde un texte de réorganisation organique lui permit d’accéder à la présidence de celle-ci, il ne dirige plus qu’un tigre de papier impuissant.

A moins d’un an des élections législatives de 2017, il reste peut-être un espoir que la donne politique change. Le gouvernement Frieden est-il toujours aussi certain de remporter ces élections ? Sa politique est-elle aussi populaire que les sondages commandés le prétendent ? En tout cas, le climat d’intimidations et de pressions croissantes peut aussi être interprété comme un signe de la grande nervosité du NAVP, face à la recrudescence ces deux dernières années de l’ASF. Mais au train où vont les choses, le NAVP pourrait avoir l’idée de se passer d’élections. Nous vivons une époque tourmentée et l’incertitude que les prochaines élections pourront avoir lieu est aussi grande que l’improbabilité de la publication de cet article.


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