EUTHANASIE: On ne badine pas avec la mort

Après la théorie, la pratique. La loi sur l’euthanasie est en vigueur depuis plus d’un an, mais un grand nombre de questions restent en suspens.

« Le baiser de la mort »
de Jaume Barda.
Aussi effrayant soit-il, mieux vaut encore que l’ultime départ se fasse en douceur.

Elle avait attaqué l’Etat luxembourgeois dans ses fondements. La Grande Faucheuse avait fait, fin 2008, son irruption dans le débat politique national, brisant le consensualisme presque génétique de la classe politique locale. Acte premier : le partenaire de coalition du CSV, le LSAP avait adopté, lors de débats houleux aussi bien au sein de la population que parmi ses représentant-e-s à la Chambre, la proposition de loi des député-e-s Lydie Err (LSAP) et Jean Huss (Verts) visant à dépénaliser l’euthanasie. Fait rare au Luxembourg, une coalition rompant avec le schéma majorité/opposition, réunissant presque tous les député-e-s du LSAP, du DP et des Verts ainsi que Jacques-Yves Henckes, ancien député libéral mais siégeant depuis 1994 pour l’ADR, avait approuvé le texte. Encore plus marquant, une députée CSV, Nancy Kemp-Arendt, avait franchi le Rubicon et s’était ralliée aux adhérents de ce texte que son parti avait farouchement combattu.

Deuxième acte : personne ne s’y attendait, mais il le fit. Cela rappella un peu à l’image de son oncle défunt, l’ancien roi des Belges, Baudouin, qui avait abdiqué pour une journée afin de ne pas avoir à signer la dépénalisation de l’avortement dans son pays, le tout aussi catholique grand-duc Henri refusa de sanctionner le texte et fit ainsi éclater une grave crise constitutionnelle tout en réanimant, pour le plus grand plaisir des républicains, le débat sur la monarchie. Finalement, le tout se termina à l’américaine avec un « happy end » : après moult combats, larmes et rebondissements, le parlement vota une modification constitutionnelle, le texte fut promulgué et la rebelle Nancy Kemp-Arendt ne termina pas sur le bûcher de la Sainte Eglise apostolique et romaine.

Depuis mars 2009, date à laquelle la loi sur la fin de vie fut publiée au Mémorial, le Luxembourg a officiellement rejoint le petit concert des Etats ouverts à l’euthanasie ou au suicide assisté. Après la mise en forme juridique, le second round doit être consacré à la mise en pratique. Chose sensible, car non seulement l’exercice de l’euthanasie constitue une nouveauté en soi pour le monde hospitalier et médical, mais elle est d’autant plus sensible qu’elle touche à la question hautement inconfortable mais inéluctable de la mort.

Aussi n’est-il pas étonnant que l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMDL) a annoncé ce vendredi qu’elle n’entendait pas se dissoudre, mais que dans cette seconde étape, elle faisait face à de nouveaux défis supplémentaires. « Il existe un grand déficit au niveau de l’information », affirme Christophe Schiltz, président de l’ADMDL. Et de citer l’exemple de ce patient qui s’est vu refusé dans un hôpital son droit à l’euthanasie. La loi est en effet claire sur ce point : si les médecins peuvent refuser à titre individuel de pratiquer une euthanasie pour des raisons de cas de conscience ou de convictions personnelles, tous les établissements hospitaliers doivent offrir cet ultime service. Le médecin récalcitrant doit alors communiquer le dossier à un autre confrère qui prendra en charge l’euthanasie.

Mauvaises informations et manque de moyens

Si l’époque du militantisme en faveur d’une loi pour l’euthanasie est donc révolue pour l’ADMDL, ses activités s’orientent désormais plutôt en direction de la consultation et de la formation. « Nous sommes énormément sollicités, mais nous avons besoin de moyens supplémentaires pour venir à bout de toutes les demandes », explique Schiltz. Actuellement, l’association compte, selon ses propres dires, 900 membres, mais ce sont principalement les onze membres du conseil d’administration qui prennent en main le travail de conseil et d’information. « Nous aurions au moins besoin d’un poste à mi-temps », ajoute-t-il. En plus de cela, l’ADMDL voudrait également un local, car actuellement son adresse postale est auprès d’un particulier. Une solution serait de partager un tel local avec d’autres a.s.b.l. dans la même situation et des discussions en ce sens sont d’ailleurs menées.

Côté financement, l’association est également en contact avec le ministère de la Santé. Raoul Frank, conseiller de direction adjoint au ministère qui est également le fonctionnaire en charge du secrétariat de la Commission d’évaluation et de contrôle sur l’euthanasie et le suicide assisté (CECESA), fait néanmoins valoir le contexte budgétaire actuel : « La situation est un peu plus problématique car le gouvernement veut réaliser dix pour cent d’économies dans tous les ministères ». Le choix de Christophe Schiltz, membre actif du LSAP, comme nouveau président de l’ADMDL n’est donc peut-être pas dû au hasard et pourrait faciliter les pourparlers avec son camarade ministre de la Santé. En tout cas, il faudra attendre la fin de l’année, lorsque le budget de l’Etat pour l’exercice 2011 sera ficelé, pour savoir si les doléances de l’ADMDL auront trouvé un écho.

L’attente est d’ailleurs le maître mot concernant un certain nombre de questions. Notamment celle du nombre d’euthanasies qui jusqu’à présent ont réellement été effectuées. L’ADMDL ne dispose pas de ces chiffres et le ministère (« je peux juste vous dire qu’il y en a un bon nombre », nous a confié Raoul Frank) ne peut pas les communiquer et pour cause : la loi stipule qu’au bout de deux années de pratique, la CECESA doit délivrer un rapport sur les pratiques tout en veillant à ce qu’elles se soient déroulées en conformité avec la législation. Avant ce délai, toutes les données doivent rester confidentielles. D’ailleurs, une fuite de la part d’un des membres de la commission avait donné lieu à un article dans le Tageblatt du mois de janvier, ce qui avait fortement déplu. Depuis, la présidente de la commission, la juge Eliette Bauler, se refuse à tout commentaire.

Il en va de même des dispositions de fin de vie. C’est ce document que chaque individu peut remplir et transmettre à la CECESA et dans lequel il lui communique la manière dont il voudrait être traité en cas d’accident ou de maladie grave menant probablement à la mort. C’est dans ce document, renouvelable tous les cinq ans et qui peut être annulé à tout moment, que l’on peut anticiper une situation dans laquelle l’on serait amené à désirer de mettre volontairement fin à ses jours. Toutes ces données seront révélées dans le courant du mois de mars 2011.

Une autre question reste toutefois en suspens : celle des soins palliatifs. Lors de la conférence de presse, Jean Huss est revenu sur une étude d’un institut canadien qui avait révélé que entre juin et novembre 2007, 208 cas de fins de vie « non naturelles » dans la région flamande en Belgique. Sur ces 208 personnes, 142 avaient expressément fait une demande d’euthanasie, tandis que les 66 restantes étaient en soins palliatifs. Or, les soins palliatifs se terminent souvent par une sorte d’euthanasie « light », appelée « sédation terminale », c’est-à-dire que l’on administre à certains patients en phase terminale des doses très élevées d’anti-douleurs et de morphines qui peuvent précipiter la mort. « La sédation terminale et l’euthanasie se différencient surtout par le laps de temps que la mort met pour intervenir », estime Schiltz.

Or, si l’euthanasie est encadrée par une législation très stricte, l’AMDML critique le flou juridique de la sédation terminale. Par ailleurs, Raoul Frank nous a confirmé que les cas de sédation terminale ne sont pas comptabilisés et ne sont même pas communiqués à la CECESA.

Le problème actuel, c’est l’opposition faite dans certains milieux entre les soins palliatifs et l’euthanasie. « Les deux sont complémentaires », souligne Schiltz. Mais pour l’instant, les relations entre l’ADMDL et Omega 90, l’organisation qui prend en charge les soins palliatifs, se situent au « niveau informel ». Et Schiltz d’ajouter : « Après tout, les deux auteurs de la loi, Jean Huss et Lydie Err, ainsi que le président d’Omega 90, Mil Majerus, siègent tous les trois à la Chambre et se côtoient régulièrement ».

Une étude de l’ULB a démontré en 2008 que les médecins qui ont oeuvré pour la dépénalisation de l’euthanasie ont été ceux qui, dans les années 80, avaient été les pionniers des soins palliatifs et que les craintes de dérives en défaveur surtout des personnes âgées et des invalides ne sont pas justifiées. Il serait peut-être temps qu’au Luxembourg aussi, soins palliatifs et euthanasie cessent d’être considérés comme antagonistes. Au final, la Grande Faucheuse égalise tous les dogmes.


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